Par Delphine Legouté
Jeudi 28 mars, l’abrogation du délit de racolage public – actif et passif – visant les personnes prostituées arrive au Sénat. D’un côté, Esther Benbassa, sénatrice écolo à l’initiative de la proposition, qui compte revenir sur la loi de 2003, loi qui a fait du racolage un délit passible de deux mois d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende.
De l’autre, les sénateurs socialistes, favorables sur le papier à la fin de ce délit mais … plus tard. Ils estiment que le racolage doit être traité à la faveur d’un texte global, promis avant la fin de l’année par le gouvernement. Résultat, à deux jours de la discussion, le groupe PS tente de tuer dans l’oeuf le texte d’Esther Benbassa.
> Option n°1 : renvoyer la proposition de loi à plus tard
A la tête de cette action, on trouve le sénateur-maire de Clamart, Philippe Kaltenbach. Le 25 mars, il dépose à la dernière minute, au nom du groupe PS, une demande de motion de renvoi en commission des lois. Autrement dit, un texte faisant en sorte que la proposition d’Esther Benbassa soit repoussée, voire même “enterrée”, selon l’avis de la sénatrice.
Philippe Kaltenbach explique au Lab cette nécessité, selon lui, d’attendre :
Tout le monde est d’accord sur le fond. Le délit de racolage instauré sous Sarkozy pointe du doigt les prostituées et ne montre pas de résultat. Mais nous voulons que cette question soit abordée dans un large texte parlant racolage mais aussi abolition, proxénétisme, réinsertion, traite …
En supprimant le racolage sans aucune contrepartie, on pourrait accuser les socialistes de favoriser la prostitution. Alors que nous tenons une position abolitionniste.
En effet, comme Le Lab le soulignait ici, certains parlementaires et des associations féministes ne comprennent pas que la législation sur le racolage public se fasse indépendemment du reste. Au point pour ces associations de s’opposer frontalement à la proposition d’Esther Benbassa.
Ce mardi, en réunion de groupe, la motion de renvoi a finalement été abandonnée. “Ca ne valait pas le coup d’entrer en conflit avec les écolo en enterrant leur texte”, explique au Lab un autre participant. Restait au groupe socialiste une autre carte à jouer.
> Option n°2 : “amender le texte pour mieux le verouiller”
Ceinture et bretelles. La proposition d’Esther Benbassa sera bien votée le 28 mars mais le groupe socialiste présentera un amendement pour la modifier en profondeur.
Si le texte original prévoit d’abroger purement et simplement le délit de racolage (et donc l’article 225-10-1 du code pénal), l’amendement socialiste ajouterait un détail d’importance : les prostituées seraient toujours passibles d’une amende. Soit le système existant avant la loi Sarkozy de 2003.
Une “précaution a minima” pour Philippe Kaltenbach qui craint un “vide juridique” le temps que le gouvernement mette en oeuvre le large texte prostitution promis.
Un autre parlementaire socialiste avoue ne faire confiance “ni à Esther Benbassa qui, au bout du compte, souhaite faire de la prostitution un métier”, “ni au calendrier du gouvernement qui change en permanence”. Pour lui, cet amendement est donc un “filet de sécurité” :
On va voter cette proposition. Mais autant la verrouiller en l’amendant.
Un amendement qui suscite la colère d’Esther Benbassa, persuadée jusqu’à lundi qu’elle avait le soutien des socialistes. “Attérée”, elle raconte au Lab n’être plus sûre de rien avant le vote de jeudi :
Il s’est passé un mini coup d’Etat ! Mercredi dernier, tout le monde était d’accord pour voter la proposition [le texte d’Esther Benbassa et de la rapporteure Virginie Klès a été adopté en commission des lois le 20 mars, les socialistes ne l’avaient alors pas amendé, ndlr]. Et j’apprends hier que tout est remis en cause !
Je ne veux accuser personne mais cela donne une très mauvaise image des parlementaires qui changent d’avis et sont divisés. Je ne comprends pas ce mic-mac.
> Le gouvernement sommé de se prononcer
Dans le camp Benbassa comme dans le camp socialiste, chacun assure qu’il a le soutien des cabinets ministériels concernés, à savoir ceux de Christiane Taubira et de Najat Vallaud-Belkacem. Le gouvernement se trouve donc au milieu d’un jeu de pressions réciproques.
La sénatrice écolo a ainsi “entendu” que le gouvernement “s’opposerait” à l’amendement PS qui déforme son texte. A l’inverse, Philippe Kaltenbach avance que les deux ministres ne se prononceront pas :
Ni “favorable”, ni “défavorable”, elles ont promis de s’en remettre à la sagesse du Parlement.
A deux jours du débat, l’entourage de la ministre des Droits des femmes refuse de se positionner entre les deux camps.
Ni Christiane Taubira, ni Najat Vallaud-Belkacem n’ont donné de position définitive ces derniers mois dans la presse, les deux préfèrant insister sur le texte global prévu pour la fin de l’année.
Chez les socialistes, un sénateur sceptique estime que le gouvernement a “acheté la paix avec les Verts” sur ce dossier et ne devrait pas montrer de signe visible d’opposition.
Contacté à ce sujet quelques semaines plus tôt, l’entourage de Najat Vallaud-Belkacem semblait à l’époque vouloir laisser les choses se faire :
Si le texte de la proposition de loi concerne seulement l’abrogation du racolage passif, le gouvernement ne s’y opposera pas.