Question écrite n° 15284 de Mme Esther Benbassa (Paris – CRCE-R) publiée dans le JO Sénat du 16/04/2020 – page 1771
Mme Esther Benbassa attire l’attention de M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique, sur le développement de l’application smartphone « StopCovid » et de son système de « tracking ».
Dans un entretien au Monde, en date du 8 avril 2020, le ministre des solidarités et de la santé et le secrétaire d’État chargé du numérique ont déclaré réfléchir au développement d’une application pour smartphone, destinée à « limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes sociales de transmission ».
Le dispositif qui semble être choisi par l’exécutif serait une application dont le téléchargement devrait être volontaire et fonctionnerait grâce au Bluetooth, sur un modèle mis en œuvre à Singapour.
L’avantage de cette application pour les libertés individuelles est qu’elle n’utilise pas la géolocalisation, qu’elle ne centralise pas les informations sur une base de données et que celles-ci sont supprimées tous les vingt et un jours. Elle ne peut pas non plus être installée sans le consentement de son utilisateur.
Toutefois, cette application présente de nombreux risques.
Tout d’abord celle de la banalisation d’une cyber-techno-police, qui sera en mesure d’analyser l’activité humaine. Cette dimension pose un véritable problème éthique et ouvre la voie à des systèmes de surveillance plus poussés, comprenant notamment la géolocalisation ou la collecte de données personnelles, susceptibles de mettre à mal les libertés individuelles.
Le deuxième problème soulevé est celui de son efficacité. Pour parvenir à détecter à grande échelle les malades en mesure de propager le Covid-19, il faudrait que l’application soit utilisée par une majeure partie des Français. L’exemple de Singapour n’est pas particulièrement concluant : leur logiciel a été téléchargé un million de fois pour une population totale de 5,7 millions de personnes, lorsqu’on sait que les Singapouriens sont beaucoup plus « connectés » que les Français. L’application n’a par ailleurs pas empêché un confinement de la cité-État ultérieur à la sortie du logiciel.
Le risque en France serait que le dispositif ne trouve que trop peu d’usagers pour être efficace à l’échelle nationale. Sans téléchargement massif de l’application, celle-ci ne peut avoir de réelle efficience. Notre territoire national étant touché par une fracture numérique, des citoyens se trouveraient d’office exclus de la détection.
De surcroît, il ne peut être ignoré le danger que ce logiciel ouvre la voie au ciblage des populations contaminées, créant mécaniquement leur exclusion de la société.
Enfin, la dimension volontaire du projet devrait également être questionnée. En temps de crise, si le Gouvernement incite moralement à avoir recours à l’application, le libre-arbitre du citoyen pourrait se trouver biaisé en raison de la pression sociale. En l’occurrence, le volontariat n’en serait plus un, puisqu’il serait contraint.
Ainsi, elle lui demande quels seront les garde-fous mis en place, afin que l’application puisse être conciliable tant avec le respect de la vie privée, qu’avec le consentement libre et éclairé de la population française.
En attente de réponse du Secrétariat d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique