Que va devenir la France avec tous ces gays et toutes ces lesbiennes? Jour 2 (Le Huffington Post, 6 avril 2013)

par Esther Benbassa, Sénatrice EELV du Val-de-Marne, Directrice d’études à l’EPHE (Sorbonne)

Là, j’ai les oreilles qui tintent. J’entends mal ? Je rêve ? « Un enfant a besoin de dire ‘maman' ». « Les premiers mots d’un enfant sont ‘maman' ». Et c’est de cela que nous allons priver les bambins de couples gays. Allons, allons, nous aimons tous notre maman. Mais il faut se rendre à l’évidence : on peut avoir deux « mamans », deux « papas », et ça n’arrive pas que dans les familles homos. Les familles recomposées, c’est cela, et depuis longtemps déjà. Les enfants de couples gays ne verront donc jamais de femmes ? C’est ça qu’on veut nous faire croire ? Qu’ils n’auront, les pauvres, aucuns référents féminins et vice versa ?

Frigide Barjot, idéologue de la droite au Sénat

Les discours des anti-mariage-pour-tous tournent décidément parfois aux contes de fées pour enfants naïfs. Mais il y a pire aussi : « les homosexuels sont une communauté », « les parents homosexuels ne sont pas (= ne peuvent pas être) des parents comme les autres ». J’en passe et des meilleures. On va jusqu’a décontextualiser Maurice Godelier pour lui faire dire le contraire de ce qu’il dit. D’autres, un peu plus à court culturellement, nous citent quelques vers ringards… La famille est sacrée. La filiation traditionnelle immuable. Le monde ne bouge pas. Pas eux, en tout cas. Pas la société française. Pas la leur, c’est certain.

« Bioéthique », « courage », « généalogie lisible », on nous sert les plats les plus étranges et dans le plus étrange désordre. Tout ça pour sauver une défunte trinité : maman-papa-enfant. Tout ça pour flatter des électeurs. Ce sont les troupes de Frigide Barjot qui dictent leurs discours aux parlementaires de droite. On appelle cela démocratie. Comme l’a dit la Garde de Sceaux, elles ont fait « main basse sur la République ». Frigide Barjot, dernière idéologue de la droite. On en est là. Quand la droite parle de décadence, elle sait de quoi elle parle.

Moi, je n’ai rien contre le débat entre les pour et les contre. Mais là nous sombrons dans la médiocrité. Dans le vide argumentaire. Dans une répétitivité pathétique, qui cache mal, au fond, un certain manque de conviction. Je suis submergée de lettres d’insultes et de menaces, plusieurs de mes collègues aussi. C’est donc ça le débat démocratique ? Un pays où l’on a tant de mal à échanger et à débattre a-t-il un avenir? « Tout ce qui est moderne n’est pas bon. » Oui, j’ai bien entendu cela. Insondable profondeur du propos. Comment allons-nous prendre le train de l’avenir ?

Vendredi noir et long

Dernière trouvaille de la droite sénatoriale, avant-hier. Mise en application ce vendredi : dépôt d’une motion référendaire par le groupe UMP. Ah, le referendum ! Le modèle suprême est invoqué : De Gaulle en 1962 ! La parole rendue au peuple, s’en remettre à sa sagesse, voilà la solution. Le summum de la démocratie. Les représentants du peuple ne servent à rien. Renvoyons-les chez eux. Ca lui coûtera moins cher, au peuple. Allons-y, à chaque nouveau débat, interpellons directement le peuple. Faisons un referendum. Ce sera la fête tous les jours ! Epandons soigneusement le terreau du populisme. Et bienvenue à Marine Le Pen.

Cette idée géniale m’a valu un réveil matinal après une nuit très courte. Réunion de la commission des lois à 9h30. Un nombre de voix égal à droite et à gauche, en raison de l’absence de quelques sénateurs de gauche. On s’en remet donc à la sagesse du Sénat. Que de sagesse, décidément ! Retour en hémicycle. Toute une journée perdue. Motion référendaire. Puis motion d’irrecevabilité. Puis motion tendant à opposer la question préalable. Puis motion de renvoi en commission. Le lyrisme bas-de-gamme cache mal la manœuvre. Un « mère illumine le foyer », certes. « Racines », « filiation », « sacralité du mariage ». Mais pas un mot sur l’égalité des citoyens.

Finalement, après des heures de débats usants, toutes les motions seront rejetées. Pauvres ruses de la droite qui rêve de renvoyer le mariage-pour-tous aux calendes grecques. Combat d’arrière-garde pour satisfaire la clientèle de Civitas. Allons, je m’éclipse. J’ai une distraction ce soir : je suis chez Frédéric Taddei pour parler… laïcité, racolage, et Cahuzac ! Ça me changera. Je vais voir pour la première fois Eric Zemmour de près. Je vais sûrement être impressionnée… Et lundi, retour sur le pont. On va gagner !

Mais il va falloir se battre. Vous savez ce qu’ils ont imaginé ? On a le concubinage. On a le PACS. On a le mariage. Créons donc l' »union civile » ! Voilà ce que propose la droite. Lesbiennes et gays, mariez-vous si vous le voulez, mais surtout pas d’enfants. Voilà ce que serait l’union civile. Un mariage au rabais pour des citoyens au rabais. Que va-t-on encore mettre dans la corbeille de la mariée jusqu’a la fin des débats ? Je vous mettrai courant. Mais ça commence à ressembler à un libre-service. Il y aura bientôt quatre articles en magasin. A vous de choisir !

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