Protéger les mineur·es des crimes et délits sexuels et de l’inceste

Le gouvernement avait annoncé un interdit clair : les majeurs ne pourraient plus « avoir » une activité sexuelle avec une personne mineure de moins de 15 ans (ou de moins de 18 ans en cas d’inceste). Nous y avons cru. Et nous sommes trahi·es: le texte en cours de discussion parlementaire maintient le droit des agresseurs. Appel aux sénateurs et sénatrices.

Laure Ignace, juriste[1]

Catherine Le Magueresse, juriste[2]

Le Sénat est appelé à se prononcer, en seconde lecture, sur la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, dite « PPL Billon ». Ce texte (n°447) examiné en commission des lois mardi 23 mars, sera soumis au vote des sénateur·trices jeudi 25 mars.

Ce calendrier, extrêmement serré, laisse peu de temps pour un débat citoyen alors même que le texte comporte un certain nombre de dangers et d’absurdités. Il est donc impératif de le modifier.

Dans ce contexte, et pour parer au plus urgent, nous concentrerons notre analyse critique sur l’article 1er de la PPL.

Tout en faisant nôtre l’analyse pertinente de la PPL par l’association « Face à l’inceste », nous voulons étendre notre critique à la prise en compte des violences sexuelles par le droit car c’est toute la cohérence de la répression des violences sexuelles qui pose aujourd’hui question.

I. L’objectif affiché de la PPL : « protéger les mineur·es des crimes et délits sexuels et de l’inceste »

En 2017, l’affaire de Pontoise fut un électrochoc pour nombre de français·es qui avaient alors découvert que notre Code pénal ne garantit guère les droits des mineur·es en cas de violences sexuelles : les enfants se voient appliquer la même définition du viol (ou de l’agression sexuelle) que celle applicable aux victimes adultes : comme eux, les enfants ont à prouver, en plus de la pénétration sexuelle endurée, que l’agresseur a eu recours à une « violence, contrainte, menace ou surprise » (les VCMS dans la suite de ce texte).

Pour mieux « protéger les mineur·es », il s’agit donc aujourd’hui de poser – à l’instar de nombreux autres pays – un interdit légal prohibant tout contact sexuel entre un·e majeur·e et un·e mineur·e de 15 ans, ou de 18 ans en cas d’inceste. Cette avancée majeure est toutefois fortement compromise par plusieurs amendements déposés par le gouvernement ou par des député·es.

II. Un projet dévoyé par le gouvernement

Par un amendement (n°CL76) déposé en commission des lois par le gouvernement et défendu par le ministre de la justice Eric Dupond-Moretti, il est introduit une exception de taille à l’interdit légal posé : il s’appliquera seulement si la victime et l’agresseur ont au moins cinq ans d’écart d’âge.

Selon l’exposé de cet amendement, « Les définitions de ces nouvelles infractions doivent respecter les exigences constitutionnelles, à savoir les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité, ce qui implique qu’on ne peut pénaliser les amours adolescentes, et donc impose de prévoir un écart d’âge entre l’auteur et sa victime, qui existe du reste dans de nombreuses législations étrangères pour appliquer les nouvelles incriminations. Il est proposé de fixer cet écart à cinq ans. »

Tout au long des débats devant l’Assemblée nationale, le ministre de la justice s’est posé en défenseur des « amours adolescentes » et a invoqué le principe de proportionnalité pour justifier cet écart d’âge.

Or, le dit principe n’impose pas un tel écart d’âge, voire le proscrit au regard de l’impératif de protection des mineur·es. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs statué en ce sens (V. CEDH, 2011, G c/ United Kingdom, n°37334/08).

La solution retenue par l’Assemblée nationale engendrerait des situations inacceptables telle que celle-ci :

       Une fille de 11 ans victime de plusieurs viols entre ses 11 ans et ses 14 ans par un mineur de 17 ans au début qui, aux derniers viols, aura atteint 19 ans, ne pourra jamais se prévaloir de la nouvelle définition du viol. Tant que l’agresseur est mineur, c’est la définition du viol « classique » qui s’applique (puisque la nouvelle exige qu’il soit majeur) et elle devra prouver les VCMS. Lorsqu’il devient majeur, elle devra toujours démontrer les VCMS puisqu’ils n’ont pas 5 ans d’écart.

Cette clause indûment appelée « clause Roméo et Juliette » doit être supprimée.

III. Des mineur·es de 13 à 15 ans exclu·es de la protection qui leur est dû par un interdit légal défaillant

D’autres dispositions votées à l’Assemblée nationale, combinées avec l’introduction de l’exigence d’un écart d’âge, marquent un recul pour la protection des mineur·es de 13 à 15 ans.

– La réduction du champ d’application du délit d’atteinte sexuelle par l’introduction de l’exigence de caractériser une pression

Actuellement, les mineur·es de moins de 15 ans, peuvent à tout le moins bénéficier des dispositions de l’article 227-25 du Code pénal qui réprime toute atteinte sexuelle commise (même sans VCMS), par un majeur (quel que soit son âge).

Or, les dispositions votées le 15 mars modifient le droit positif pour rendre obligatoire la preuve des VCMS, quelle que soit l’atteinte sexuelle (pénétration ou acte relevant de l’agression sexuelle) dont des mineur·es entre 13 et 15 ans sont victimes. En effet, les député·es ont voté un alinéa à l’article 227-25 C. pen. : « En l’absence de pression sur le mineur, le délit n’est toutefois pas constitué si la différence d’âge entre le mineur et le majeur est inférieure ou égale à cinq ans. »

Cette disposition est dangereuse à plusieurs titres. En introduisant une nouveau mode opératoire de « pression sur le mineur », non défini, le risque est grand d’ouvrir un nouveau champ d’interprétation jurisprudentielle de la notion, qui ne sera probablement pas à l’avantage des victimes.

Le terme de pression n’est utilisé actuellement, en répression des violences sexuelles, que dans la définition du harcèlement sexuel, au délit assimilé, très peu utilisé par les victimes et donc très peu manié par les professionnel·les du droit. Les magistrats seront tenté·es de s’en remettre aux modes opératoires classiques ce qui revient à réintroduire dans l’article 227-25 C. pen., les VCMS, qui en sont justement dépourvus (depuis 1832).

Les mineur·es entre 13 et 15 ans se trouveront dans la situation ubuesque d’avoir à démontrer les VCMS en cas de pénétration ou acte bucco-génital imposé par un majeur entre 18 et 20 ans (nouvelle définition du viol de l’article 222-23-1 du C. pen.) et ne pourront même plus bénéficier d’une correctionnalisation en atteinte sexuelle, certes imparfaite, mais permettant au moins de sanctionner ces violences sexuelles car ils et elles devront démontrer « la pression » exercée par l’adulte, et ce, même si cet adulte de 18 à 20 ans, a autorité sur la victime ou abuse de l’autorité que lui confère ses fonctions !

C’est un recul majeur, qui a été supprimé grâce à un amendement déposé par la sénatrice Marie Mercieren commission des lois le 23 mars. Cette suppression doit demeurer en 2ème lecture devant le Sénat.

– La répression de l’inceste atténuée par l’introduction de la mention de l’autorité de l’incesteur

Le nouveau crime de viol incestueux est rédigé ainsi par l’Assemblée « Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue un viol incestueux qualifié d’inceste tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait » (article 222-23-2 du Code pénal).

La mention de « l’autorité de droit ou de fait » à la fin de l’article n’a aucun sens sauf à exiger d’une victime de prouver l’autorité qu’a sur elle son frère majeur par exemple et donc de réintroduire une difficulté qui n’est pas théorique. Elle doit donc absolument être retirée. Or, l’amendement en ce sens déposé par Esther Benbassa en commission des lois a été rejeté.

Par ailleurs, limiter la répression des viols incestueux sans débat sur le « consentement » aux viols commis sur les victimes mineures, revient a contrario à permettre un débat sur le consentement des victimes majeures et donc la preuve dans ce cas, des modes opératoires (VCMS) utilisés par l’incesteur. C’est parfaitement honteux de la part des autorités de faire peser cette preuve sur les victimes d’inceste qui ont atteint la majorité.

L’inceste heureux, « l’inceste consenti » selon les termes de M. Dupond-Moretti, n’existe pas, hormis dans la tête des incesteurs et des avocats qui les défendent.

En outre, selon la mouture actuelle, l’inceste entre mineur·es relèvent des définitions du viol et de l’agression sexuelle actuelles. Ainsi une enfant violée par son aîné de moins de 18 ans devra continuer de démontrer qu’il a exercé violence, contrainte, menace ou surprise pour parvenir à ses fins. Comme nous le démontrerons dans la partie VI, cet exemple montre une fois de plus que la définition du viol actuelle n’est pas adaptée pour permettre aux victimes d’obtenir la reconnaissance de ce qu’elles subissent. L’évidence qu’un grand frère entre 13 et 18 ans (par exemple) a, par son simple statut, l’ascendant sur sa sœur mineure de moins de 10 ans (par exemple) devrait rendre impossible tout débat sur le « consentement » de la victime. Et pourtant, cette ineptie va perdurer avec les dispositions votées.

IV. Un régime de répression des actes sexuels dans un cadre prostitutionnel incohérent.

Si l’on peut se réjouir de la désignation des « clients » de mineur·e de 15 ans comme des violeurs, on ne peut que dénoncer l’incohérence globale de la répression des « clients ».

Trois régimes coexisteraient :

– lorsque la personne prostituée a moins de 15 ans : la pénétration est un crime de viol et l’auteur encourt 20 ans de prison (selon la proposition de loi)
– lorsque la personne prostituée a entre 15 et 18 ans : la pénétration est un délit et l’auteur encourt 5 ans de prison (selon la proposition de loi)
– lorsque la personne prostituée a plus de 18 ans : la pénétration est une contravention et l’auteur encourt une… amende ! (selon le Code pénal)

Quand on sait que la majorité des personnes prostituées sont entrés en prostitution à leur minorité, quel message leur est envoyé en leur disant qu’avant 15 ans, elle sont victimes d’un criminel, après d’un délinquant puis à partir de 18 ans, qu’elles sont victimes d’un comportement contraventionnel ?

V. Le texte adopté par l’Assemblée nationale ne remplit pas l’objectif de clarté de la loi, ni celui d’un interdit clair et sans équivoque des violences sexuelles commises sur les mineur·es recherché initialement

Selon le texte voté par l’Assemblée nationale, le viol devient une réalité protéiforme. Il peut en effet être :

D’une part : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, « ou tout acte bucco-génital » commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol » (article 222-23 C. pen.).

D’autre part : « Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur,lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans » (article 222-23-1 C. pen.).

Enfin : « Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue un viol incestueux qualifié d’inceste tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait » (article 222-23-2 C. pen.).

Le viol n’a donc aucune définition claire et sans équivoque applicable à tou·tes : il est constitué si des VCMS sont prouvées mais peut l’être sans, si la victime a moins de 15 ans, hormis dans le cas d’un adulte qui a moins de 5 ans d’écart avec elle. Une règle, une exception puis une exception à une exception.

A cela s’ajoute une définition restrictive de l’inceste.

D’autres modifications nuisent à la lisibilité de la loi :

– Sur la modification de la rédaction concernant les pénétrations et actes bucco-génitaux commis sur la personne de l’auteur

Voici la rédaction retenue par l’Assemblée nationale : « Art. 222-23-1. –Hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans.(…) ».

L’Assemblé nationale a modifié la rédaction du « commis sur la personne de l’auteur » consacrée dans la définition du viol actuelle en « commis sur l’auteur par le mineur ».

Cette modification est préjudiciable d’une part par cohérence de rédaction avec la définition du viol actuelle, d’autre part, cette formulation place la victime dans un rôle « actif » alors même qu’elle subit un viol.

Il est donc nécessaire d’harmoniser les définitions en retenant celle déjà présente à l’article 222-23 C. pen.

L’ensemble de nos critiques valent pour les modifications apportées par l’Assemblée aux infractions réprimant les agressions sexuelles.

VI. Ne pas modifier la définition du viol pour tou·tes est absurde

Il est dommageable que depuis 3 ans que le Parlement débat de l’amélioration du droit relatif à la répression des violences sexuelles, il soit fait l’économie de la réflexion sur une modification de la définition du viol pour toutes et tous, majeur·es et mineur·es.

Les débats en cours et les solutions adoptées démontrent à quel point il est absurde de laisser perdurer la définition du viol actuelle. Le garde des Sceaux n’a cessé de marteler au cours des débats, qu’il était nécessaire de ne pas criminaliser les « amours adolescentes ». Il a également martelé aux opposant·es à l’écart d’âge, une affirmation totalement fausse : « si ce n’est pas consentic’est un viol ! ».

La définition actuelle du viol ne dit pas cela et il serait temps que tout le monde le comprenne, les parlementaires en premier lieu. Ce qu’elle dit c’est qu’en droit, une pénétration sexuelle est considérée « non-consentie » si l’agresseur a usé de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, ce qui est particulièrement difficile à démontrer dans la très grande majorité des viols commis par des proches des victimes, soit 80% des viols.

La définition du viol est construite en partant du présupposé que nous sommes toutes et tous a priori consentant·es à être pénétré·es sexuellement par tout un chacun, dans n’importe quelle circonstance. Nous ne sommes plus considérées, « consentantes » uniquement si nous démontrons qu’il a usé d’un des modes opératoires (VCMS).

Des milliers de pénétrations sexuelles non consenties échappent totalement à la répression : dire non, pleurer, rester sidérée face à un agresseur, c’est à dire exprimer d’une manière ou d’une autre, qu’on ne veut pas de cette pénétration, ne fait pas de nous des victimes de viol au sens de la loi.

Il est temps que les parlementaires se saisissent du sujet et inscrivent dans la définition du viol l’obligation de s’assurer du consentement positif de l’autre, comme le demande la Convention du Conseil de l’Europe dite convention d’Istanbul que la France a ratifiée.

[1] Co-fondatrice de l’association Prendre le droit – Féministes pour un monde sans viol[s].
[2] Autrice Des pièges du consentement. Pour une redéfinition pénale du consentement sexuel. Edition iXe, mars 2021.

Lien de l’article : https://blogs.mediapart.fr/catherine-le-magueresse/blog/240321/proteger-les-mineur-es-des-crimes-et-delits-sexuels-et-de-l-inceste