par Anissa Boumediene,
INTERVIEW – Esther Benbassa, vice-présidente de la Commission spéciale du Sénat, explique à «20 Minutes» pourquoi le Sénat a rejeté la pénalisation des clients des personnes prostituées…
C’était l’une des mesures phares de la proposition de loi, mais elle a été retoquée. Ce mardi, les membres de la Commission spéciale du Sénat ont adopté la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, après l’avoir vidée de sa mesure la plus forte portant sur la pénalisation des clients des personnes prostituées. Une décision qui réjouit les associations d’aide aux travailleuses du sexe, qui combattaient cette mesure depuis plusieurs années. Esther Benbassa, vice-présidente de la Commission spéciale du Sénat, revient pour 20 Minutes sur les raisons qui ont poussé le Sénat au retoquage.
Pourquoi avoir voté contre la pénalisation des clients?
C’est une mesure qui allait plonger les personnes prostituées dans une plus grande précarité. Cette décision est le fruit d’une réflexion basée sur l’écoute. Des mois durant, nous avons auditionné au Sénat de nombreuses personnes prostituées et associations d’aide aux travailleurs du sexe. Je suis également allée à leur rencontre à Belleville ou encore au Bois de Boulogne, entendre tous ces témoignages qui unanimement rejetaient la pénalisation du client.
D’un point de vue politique, la pénalisation serait d’une grande hypocrisie. D’un côté, la prostitution est légale, soumise à l’impôt, mais de l’autre on viendrait donner une amende aux clients, ça n’a pas de sens. D’autant qu’en pratique, c’est un échec cuisant. Aucun des pays ayant entrepris de pénaliser les clients des prostituées n’a obtenu de résultats satisfaisants. En Suède, seuls 450 clients ont été arrêtés en 2011, c’est dérisoire et cela n’a pas permis de faire reculer la prostitution d’un pouce ni de lutter efficacement contre la traite des êtres humains.
En quoi la pénalisation des clients impacterait les prostituées?
Ce serait la voie ouverte à la précarisation et à l’isolement. Les prostitués, hommes ou femmes, seraient poussés à travailler sur Internet, à recevoir à domicile ou dans des zones reculées. Pénaliser les clients reviendrait à pénaliser les prostituées. C’est tout un réseau d’aide qui leur serait moins accessible, à l’image de l’Association du Bus des femmes, qui assure des permanences mobiles dans les rues de Paris et sa région pour assurer information, prévention et écoutes aux personnes prostituées.
L’une des conséquences directes, c’est que les clients auraient peur de l’amende de 1.500 euros prévue dans le texte initial, mais cela ne les dissuaderait pas de recourir au sexe tarifé. Il y aurait certes moins de clients, mais les relations sexuelles seraient soumises à leurs conditions, et le rapport de force serait en leur faveur, avec un risque réel de recul du port du préservatif.
Au final, des femmes déjà précarisées le seraient encore plus.
Qu’est ce qui serait efficace pour lutter contre la traite des êtres humains et la prostitution?
Il faut en priorité dégager des moyens financiers pour aider les personnes qui veulent sortir de la prostitution. Ce sont généralement des femmes pauvres, sans diplômes, sans ressources, et qui n’ont pas d’autre choix que de vendre leur corps. Même les jeunes étudiantes sont de plus en plus touchées. Il faut permettre un meilleur accès au logement, augmenter les bourses étudiantes, favoriser la formation et aider les étrangers à obtenir des titres de séjour.
La pénalisation est inefficace. Nous vivons dans une société de plus en plus répressive, mais les résultats sont contre-productifs. Par ailleurs, tenter de raisonner un client d’une cinquantaine d’années ne marchera jamais. Il faut sensibiliser le public dès le plus jeune âge, mettre en place des campagnes d’information, et apprendre aux plus jeunes qu’il n’est pas normal qu’un rapport sexuel soit tarifé.
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