Par Esther Benbassa
Sénatrice EELV
LE PLUS. Il avait été introduit en 2003 par Nicolas Sarkozy et interdisait à toute personne prostituée le racolage « y compris par une attitude même passive ». Ce délit vient d’être abrogé par le Sénat, sur proposition de la sénatrice EELV Esther Benbassa. Cette dernière, également directrice d’études à l’École pratique des hautes études, explique pourquoi la mesure était contre-productive et dangereuse.
Édité par Hélène Decommer Auteur parrainé par Jean-Marcel Bouguereau
Enfin ! Le délit de racolage public instauré en 2003 par Nicolas Sarkozy vient d’être abrogé par le Sénat après maintes péripéties.
Au sein même du PS, les divisions étaient grandes
J’y travaille depuis des mois. Après que la proposition de loi visant à cette abrogation que j’avais déposée, avec le groupe écologiste, dès octobre 2012 avait été retirée de l’ordre du jour du Sénat en novembre, à la demande expresse du gouvernement et de la ministre aux Droits des femmes, je suis revenue à la charge, arrachant finalement le feu vert espéré.
Les divergences, au sein même du groupe PS du Sénat, entre abolitionnistes, visant d’abord à une éradication du système prostituteur, ceux qui souhaitaient parer au plus urgent en abrogeant le délit de racolage public, et ceux, enfin, peu nombreux, qui entendaient revenir à l’avant 2003, où le racolage actif était passible d’une contravention, ont un peu compliqué les choses, jusqu’au dernier moment . Jusqu’au vote final.
Un vrai parcours du combattant, pour obtenir une abrogation sans condition, pour que les personnes prostituées, qui sont des victimes, ne puissent plus dans le même temps être tenues pour des coupables et traitées comme telles.
Pourquoi abolir ce délit était capital
En faisant basculer les personnes prostituées, femmes, hommes, transgenres, dans la clandestinité, la loi de 2003 n’avait fait que les précariser davantage. Elles étaient désormais isolées, toujours plus reculées, dans des camionnettes, des sous-bois, sous des tentes, ou par internet chez elles ou chez les clients, contraintes en raison de la raréfaction de la demande à accepter des rapports sans préservatif, ce qui a fait remonter en flèche les maladies sexuellement transmissibles et le VIH. Victimes de violences redoublées aussi, devenues des cibles toutes désignées en raison, justement, de leur isolement et de leur stigmatisation. Le harcèlement policier ne faisant que dégrader un peu plus leurs conditions de vie au quotidien.
Si tout cela avait au moins servi à traquer plus efficacement les proxénètes, on aurait pu dire que cette loi avait été utile. Tel n’a pas été le cas. D’autant que toutes les personnes prostituées ne se trouvent pas sous la coupe de proxénètes ou de réseaux mafieux. La prostitution occasionnelle des étudiant (e)s, des mères de famille précaires se développe hors réseau.
En général, les Français(e)s opèrent souvent à leur compte, se mettent en auto-entreprise, paient leurs impôts et leurs charges, mais sans vraiment bénéficier des droits d’un(e) citoyenn(e) français ordinaire. Les personnes prostituées étrangères, elles, sont en revanche majoritairement la proie des réseaux, mais leur mise en garde à vue pour délit de racolage n’a jamais vraiment permis de recueillir des informations utiles.
Ne pas sacrifier les personnes prostituées pour une doctrine
Le Sénat a finalement voté l’abrogation au terme d’un débat de quatre heures, enrichissant, utile, stimulant, où chacun a convenu aussi bien à droite, à gauche et au centre que cette abrogation n’était qu’un premier pas, répondant à une urgence sanitaire et sociale, et qu’elle devait ouvrir la voie à une loi bien plus large comprenant la prévention, l’éducation, la réinsertion, et la traque des proxénètes, ainsi que l’aide aux plus démuni (e)s, y compris et notamment les jeunes, qui sautent trop « facilement » le pas de la prostitution pour subvenir à leurs besoins.
La nécessité d’un accroissement des subventions aux associations d’aide aux prostituées a aussi été évoquée. De même celle de trouver la meilleure voie pour la légalisation des personnes prostituées étrangères aspirant à sortir des réseaux, sans favoriser une massification de la prostitution étrangère, ni l’épanouissement de ces mêmes réseaux.
Les discussions ont aussi montré que la focalisation d’une future loi sur une mesure emblématique comme la pénalisation des clients – qui n’a pas donné les fruits espérés dans les quelques pays qui l’ont adoptée, occasionnant un repli de la prostitution sur internet ou dans les pays limitrophes – pourrait bien être une erreur. Cette pénalisation des clients pourrait de fait avoir les mêmes effets dévastateurs que la pénalisation du racolage public.
Najat Vallaud-Belkacem s’est engagée à présenter un texte global à l’automne. Nous verrons. Il est seulement à espérer que l’abrogation du délit de racolage votée au Sénat ne soit pas détricotée à l’Assemblée nationale. Et qu’on ne sacrifiera pas les personnes prostituées à une doctrine abolitionniste rigide.
La France est souvent présentée comme un pays abolitionniste. C’est surtout un pays travaillé par les contradictions. La prostitution n’y est pas interdite. Mais le racolage, lui, l’est. Pays des paradoxes, tâchons au moins de ne pas devenir celui des promesses régulièrement remises à plus tard.