Prostitution: le Sénat dépénalise le racolage (Myeurop.info, 29 mars 2013)

Par Marie-Line Darcy (Lisbonne), Effy Tselikas (Athènes), Olivier Truc (Stockholm), Tristan de Bourbon (Londres).

« La majorité de gauche au Sénat a voté la dépénalisation le racolage passif. Cela met en porte à faux le gouvernement, la ministre des droits de la femme et porte parole de Matignon voulant, au contraire, abolir la prostitution. Aillleurs en Europe la réglementation de la prostitution est extrêment diverse.

La proposition de loi pour abolir le délit de racolage passif défendue par la sénatrice (Europe Ecologie Les Verts) Esther Benbassa, a été votée hier par la majorité de gauche au Sénat.

Ce délit institué par la loi sur la sécurité intérieure du 19 mars 2003 pénalise

« le fait par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ».

Les prostitué(e)s qui raccolent leurs clients sont ainsi passibles de deux mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende. Cette pénalisation était censée diminuer les « troubles à la tranquillité publique » et permettre à la police de recueillir des informations auprès des prostitué(e)s sur le proxénétisme.

Lors de l’examen du texte la rapporteure Virginie Klès (PS) a dressé un bilan globalement négatif de cette pénalisation. La peur d’être arrêté conduit les prostitué(e)s à s’éloigner des lieux régulièrement contrôlés par la police. Elles se replient souvent dans des zones plus dangereuses et dans de très mauvaises conditions sanitaires .

L’institution du délit de racolage n’a fait que fragiliser davantage des prostituées déjà vivement stigmatisées »

affirme Esther Benbassa.

Cette dépénalisation du racolage met le gouvernement dans l’embarras.  Elle va totalement à l’encontre de la volonté affichée par la ministre des Droits des femmes, et porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem qui affirmait dés le début de son mandat vouloir faire « disparaître » la prostitution. Pour Najat Vallaud-Belkacem:

La question n’est pas de savoir si nous voulons abolir la prostitution –la réponse est oui- mais de nous donner les moyens de le faire« .

Elle ajoutait en juin dernier que l’objectif n’était pas de supprimer la prostitution pour son caractère immoral, mais « de protéger l’immense majorité des prostituées qui sont d’abord des victimes de violence de la part des réseaux, des proxénètes« .

En France: pas d’interdiction claire

Selon un rapport de l’Assemblée Nationale, entre 18 000 et 20 000 personnes pratiqueraient actuellement des prestations sexuelles tarifiées, dont 90% d’étrangers. Pour la grande majorité, ces personnes sont issues d’Europe de l’Est et des Balkans. Par ailleurs, un homme sur huit aurait déjà eu recours aux services d’un ou d’une prostitué(e).

Ces prostitué(e)s font l’objet de violences graves. Toujours selon ce rapport de l’Assemblée Nationale, agressions physiques avec ou sans l’usage d’une arme, vols, séquestrations, et viols font parti de leur quotidien et « les personnes prostituées ont entre 60 et 120 fois plus de risques d’être battues ou assassinées que le reste de la population« .

En France, la prostitution n’est pas interdite à proprement dit. Mais les activités qui y sont liées le sont. Le proxénétisme est durement réprimé: la punition peut s’élever de sept ans de prison et 150 000 euros d’amendes à vingt ans de prison et trois millions d’euros d’amende.

Mais la loi ne prévoit rien contre les clients. Ce qui paraît peu logique puisque, tant qu’il y aura de la demande, il y aura de la prostitution, peu importe si elle est légale ou non. Seuls les clients de prostitué(e)s mineur(e)s sont punis de trois à sept ans de prison et 3 750 euros d’amende.

Ailleurs en Europe les réglementations sont très diverses, entre, notamment, l’Allemagne et la Grèce qui autorisent les maisons closes.

Outre les Pays-Bas qui ont totalement dépénalisé la prostitution en 2000 mais qui tentent de la juguler, notamment à Amsterdam, et qui s’interrogent sur leur « modèle libéral » (lire article sur le sujet que nous avons publié hier) les autres pays d’Europe ont plus ou moins réglementé la prostitution.

Les pays qui l’interdisent

  • Le « modèle suédois »

La Suède a été le premier pays à interdire la prostitution dans la loi Kvinnofrid. Votée par le Parlement suédois dès 1998, et entrée en application le 1er janvier 1999, cette loi contre les violences aux femmes a introduit la criminalisation des clients des prostituées. Le gouvernement avait déclaré:

Nous considérons que la prostitution nuit sérieusement aux individus et à la société dans son ensemble ».

Lors d’une convention organisée par le collectif Abolition 2012 le 29 novembre dernier, l’avocate féministe suédoise Gunilla Ekberg mettait en avant la baisse des hommes ayant recours à la prostitution. En une décennie, la proportion des hommes ayant « acheté quelqu’un » est passée de 13,8% à 7,8%.

Des résultats positifs mis en avant par les associations qui défendent l’abolition de la prostitution, comme le Mouvement du Nid, à l’origine du collectif Abolition 2012 avec une quarantaine d’autres associations. Pour plus d’information sur le modèle suédois, lire l’éclairage de notre correspondant à Stockholm.

La Norvège et l’Islande ont ensuite emboîté le pas à leur voisine scandinave en 2009. Dans ces pays, l’acte d’acheter un service sexuel est donc illégal, passible de peines de prison et d’amendes.

Les pays qui l’autorisent avec réglementation

  • L’Allemagne

La prostitution et la fréquentation de prostituées sont légales en Allemagne. Les prostituées cotisent aux impôts en tant que travailleur du sexe, et Artémis, le plus gros bordel à côté du stade olympique de la capitale, utilise les bus de la ville comme surface d’affichage. Il y a de nombreux types de bordels à Berlin, depuis les « traditionnels » de Charlottenburg, on peut trouver toute une gamme allant du luxe jusqu’au glauque. Plus original, des modèles comme le bordel « flat », où le client paye, non pas la consommation, mais au temps passé à l’intérieur…

  • La Grèce

La législation de l’Etat grec moderne reconnaît la prostitution comme un métier à part entière. Selon le droit grec, la prostitution « prestation du corps à but de copulation » ne constitue pas un délit, à condition qu’elle s’exerce conformément à la législation en vigueur. L’installation d’une prostituée ou l’ouverture d’une maison close est placée sous la responsabilité de l’autorité municipale ou portuaire, avec obligation légale d’un suivi régulier de la santé de la prostituée par des médecins de la santé publique. La promotion de la prostitution, le proxénétisme, est illégale, de même que la prostitution masculine. Aucune législation ne concerne les clients.

Mais la réalité est tout autre. Une augmentation exponentielle de la prostitution illégale s’est faite ces dernières années, avec deux phénomènes concomitants : la chute du communisme et l’émigration clandestine.

Ces jeunes femmes, souvent mineures, dont le prix d’achat dans les Balkans est de 600 dollars américains, subissent en moyenne de 30 à 100 contacts sexuels par jour. Il y a vingt ans, le nombre de personnes prostituées d’origine grecque était d’environ 3 400. Aujourd’hui, leur nombre reste plus ou moins le même, mais le nombre de prostituées d’origine étrangère a été multiplié par vingt et plus. Les revenus de la prostitution en Grèce sont évalués à 10 milliards de dollars américains par an, faisant de la Grèce la charnière du trafic humain en Europe.

Cerise sur le gâteau : les jeux olympiques d’Athènes 2004 ont favorisé cette explosion péripatéticienne. Aux 600 maisons de tolérance existantes à Athènes, plus de 230 supplémentaires ont été autorisées en 2003 par la municipalité d’Athènes et la prostitution clandestine est devenue monnaie courante.

Les pays qui l’autorisent, sans réglementation

  • La Belgique

Avant 1948, la prostitution était totalement réglementée. Aujourd’hui, racolage et proxénétisme sont illégaux en Belgique, mais la prostitution y est autorisée. Dans les faits, c’est plus une norme que quelque chose de réellement appliqué. C’est finalement assez flou car d’un point de vue juridique, un homme marié avec une prostituée pourrait être poursuivit s’il jouit des revenus de sa conjointe.

La DH, journal belge francophone, a fait un TOP 5 des meilleures adresses pour trouver des prostituées à Bruxelles. Cela provoqué un scandale et l’article a été retiré.

  • Le Royaume-Uni

Le Policing and Crime Act voté en 2010 punit d’une amende de 1 000 livres l’achat de tout acte sexuel à des personnes prostituées « sous la contrainte » ou « sous le contrôle d’un proxénète ». Les Britanniques ne s’arrêtent pas là puisque les noms des hommes pris à s’adonner au sexe tarifé peuvent être publié dans les journaux. Un double effet dissuasif sur lequel compte le gouvernement.

Une autre loi (Anti Social Behaviour Orders, ASBO) pénalise quant à elle le racolage des personnes prostituées dans la rue de même que le « kerb crawling », cette pratique qui consiste à la sollicitation d’actes sexuels par les « clients » en voiture. Selon une enquête publiée fin 2008 en Angleterre (Big Brothel, a survey of the off-street sex industry in London) les maisons closes prolifèrent à Londres : il y en aurait près de 1 000 et 85% des bordels se trouveraient dans des zones résidentielles (une moyenne près de 30 par arrondissement).

  • L’Italie

En Italie, la prostitution en tant que telle n’est pas illégale, mais la loi interdit cependant la prostitution organisée ou le proxénétisme. En 2008, le gouvernement a approuvé une proposition de loi pour interdire la prostitution dans les rues, mais la loi n’a jamais été votée.

Les prostituées sont donc encore libres de déambuler dans les rues et il s’agit d’ailleurs d’un phénomène très commun. Selon un organisme des Nations Unies, l’UNDOC, « l’Italie est de fait parmi les premières destinations mondiales pour le trafic humain ». Plus de 80% des prostituées sont étrangères.

  • L’Irlande

La prostitution n’est pas illégale en Irlande, mais le racolage, le proxénétisme et les bordels sont interdits. Le racolage se fait surtout sur Internet, et il existe beaucoup de bordels « secrets ». Avant les dernières élections, le gouvernement voulait réformer le statut de la prostitution sur le modèle suédois, et donc en criminalisant les clients, et non les prostituées. Cette proposition avait reçu le soutien des partis d’opposition aujourd’hui au pouvoir, mais pas de nouvelles pour l’instant.

Pour l’ancien ministre de la justice, criminaliser les clients apparaissait comme un bon moyen d’arrêter « d’alimenter le réseau », mais aussi de réduire les violences physiques et les viols sur les prostituées, en nette progression selon le rapport annuel 2010 de l’association irlandaise Ruhama, qui accompagne ces femmes.

  • Le Portugal

Il n’existe pas de loi spécifique encadrant la prostitution au Portugal. Il n’y a donc pas formellement d’interdiction, mais pas non plus de règle précise. En revanche, le code pénal reconnaît plusieurs crimes liés à cette activité: le trafic d’êtres humains – passible de 2 à 8 ans de prison – le proxénétisme (6 mois à 5 ans de prison) et la prostitution des enfants.

En 1962, les maisons closes, où jusqu’alors s’exerçait la prostitution, ont été interdites, et les péripatéticiennes ont investi la rue. Mais le décret-loi a été révoqué en 1982, sans toutefois donner un cadre précis à l’activité. C’est sous l’influence des conventions internationales que le Portugal a renforcé le code pénal en matière de protection.

Depuis 2000, avec l’arrivée d’une vague importante d’immigrés, la prostitution s’est développée. Des chiffres font état de près de 30 000 prostitué(e)s sur le territoire, dont la moitié seraient étrangères (Brésil, Roumanie, Bulgarie, Niger). Ces dernières années de nombreux cas de trafic humains, liés notamment à la prostitution brésilienne, ont été révélés au grand public, et des réseaux mafieux démantelés.

  • L’Espagne

Exercer la prostitution et en être client ne sont pas des délits aux yeux de la loi espagnole. En revanche, tout rapport à la prostitution de mineurs ou de personnes handicapées un délit puni de peines de prison. Les maisons closes pullulent, et la plus grande d’Europe a d’ailleurs ouvert ses portes à Gérone cet automne. Idéal pour les Français qui vivent de l’autre côté de la frontière.

Par ailleurs, le grand débat en ce moment repose sur la possibilité pour les pouvoirs publics d’interdire les annonces dites « de contact » qui fleurissent en masse dans les grands quotidiens (El País, El Mundo, y compris les plus catholiques comme ABC) et qui ne sont ni plus ni moins que des annonces de prostitution, parfois de filles très, voire trop, jeunes. Les journaux ne veulent surtout pas se passer de cette manne alors que les revenus publicitaires sont en chute. Paradoxal, quand on voit le nombre d’articles importants condamnant la « violence machiste ». »

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