Prostitution: le racolage restera un délit (MyEurop.info – 12/11/12)

12.11.2012 | 16:55

Par

Gaëlle Lucas (Madrid)
Marie-Line Darcy (Lisbonne)
Effy Tselikas (Athènes)
Olivier Truc (Stockholm)

Le projet de loi pour abroger le « délit de racolage public » n’est plus à l’ordre du jour du Sénat. Au nom de la « raison d’Etat » dénonce son auteur, la sénatrice écologiste Esther Benbassa. Ailleurs en Europe, chaque pays a sa solution, ou son absence de solution, à la prostitution.

Le syndicat des travailleurs du sexe (Strass), qui défend les prostituées indépendantes, s’est indigné lundi du retrait d’une proposition de loi au Sénat visant à abroger le délit de racolage public. Il a dénoncé un « attentisme criminel » de la part de la majorité.

La proposition de loi pour abroger le délit de racolage public, y compris passif, devait être discutée le 21 novembre au Sénat. En 2003, à la demande de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, cette loi avait été votée par les sénateurs et les députés.

Une proposition qui restera finalement dans les cartons du Palais du Luxembourg. Elle a été retirée par ses sénateurs Europe Ecologie-Les Verts. Pour justifier cette reculade, ils estiment désormais préférable d’attendre un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales [Igas] sur la prostitution, prévu « avant la fin de l’année », et une loi « plus globale » sur la prostitution.

Le candidat Hollande avait promis l’abrogation du délit de racolage public. Le Président fait pire que ne pas tenir sa promesse, il la foule aux pieds »

déplore le Strass.

Dans une tribune publiée aujourd’hui par le Huffigton post, Esther Benbassa, Sénatrice EELV du Val-de-Marne qui a présenté ce projet de loi, ne dit rien d’autre:

Je pensais encore naïvement que l’avènement du socialisme – ou au moins du hollandisme – devait naturellement s’accompagner de la suppression d’un certain nombre de discriminations et de dispositions vexatoires et nocives, dont celles, entre autres, qui frappent les prostitué[e]s. Je ne savais pas ce qui m’attendait… […] Forte de mes convictions de justice et d’équité, je préparai donc une proposition de loi visant à l’abrogation de ce texte inique. »

« La misère humaine me révolte »

Pour Esther Benbassa,

La condition de prostitué(e) est déjà suffisamment dure pour ne pas y ajouter le harcèlement policier, les amendes pour racolage, les gardes à vue. Je suis comme ça, la misère humaine me révolte au quotidien. Après avoir persuadé le groupe écologiste du Sénat de la nécessité de cette abrogation, je déposai donc ma proposition de loi le 2 octobre dernier. Elle devait être débattue en hémicycle ce 21 novembre. […] J’ai fait le nécessaire pour que tout cela se termine par un vote positif entérinant l’abrogation. Bref, tout était prêt. Je le croyais, du moins. Mais la « raison d’Etat » a eu raison de moi. Ma proposition de loi ne sera pas discutée ce 21 novembre, mais plus tard. Ainsi en a-t-il été décidé. Rien à faire.

La sénatrice EELV explique avoir « fait un gros effort » pour « tester les convictions des abolitionnistes » de la prostitution. Elle a ainsi « suivi la Ministre des droits de la femme à Stockholm » deux jours la semaine dernière

« La Suède a été le premier pays au monde à incriminer l’achat de services sexuels. Votée par le Parlement suédois en 1998, la loi est entrée en vigueur en 1999. Désormais, les clients des prostituées sont criminalisés ».

Résultat, affirme la sénatrice:

Les prostitué(e)s […] considèrent que cette loi a entraîné la dégradation des conditions de la prostitution, exercée désormais clandestinement. De surcroît, celle-ci a augmenté dans les pays voisins de la Suède ».

Un voyage express pour un jugement assez lapidaire. Myeurop avait réalisé en juin dernier avec ses correspondants une enquête dans plusieurs pays d’Europe:

En France: interdiction sélective

Selon un rapport de l’Assemblée Nationale, entre 18 000 et 20 000 personnes pratiqueraient actuellement des prestations sexuelles tarifiées, dont 90% d’étrangers. Pour la grande majorité, ces prostitué(e)s sont issues d’Europe de l’Est et des Balkans. Par ailleurs, un homme sur huit aurait déjà eu recours aux services d’un ou d’une péripatéticien(ne).

Ils et elles font l’objet de violences graves. Toujours selon le rapport de l’Assemblée Nationale, agressions physiques avec ou sans l’usage d’une arme, vols, séquestrations, et viols font partie de leur quotidien et

les personnes prostituées ont entre 60 et 120 fois plus de risques d’être battues ou assassinées que le reste de la population« .

En France, la prostitution n’est pas interdite à proprement dit. Mais les activités qui y sont liées le sont. Le proxénétisme est durement réprimé: la punition peut s’élever de sept ans de prison et 150 000 euros d’amendes à vingt ans de prison et trois millions d’euros d’amende.

Le racolage est, lui, passible de 2 mois de prison et de 3 750 euros d’amende. En 2010, 1 367 personnes ont été mises en cause pour racolage par la police.

Mais cette loi ne prévoit rien contre les clients. Ce qui paraît peu logique puisque, tant qu’il y aura de la demande, il y aura de la prostitution, peu importe si elle est légale ou non. Seuls les clients de prostitué(e)s mineur(e)s sont punis de trois à sept ans de prison, et 3 750 euros d’amende.

Les pays qui l’interdisent

  • La prohibition suédoise

La Suède a été le premier pays à interdire la prostitution dans la loi Kvinnofrid. Votée par le Parlement suédois dès 1998, et entrée en application le 1er janvier 1999, cette loi contre les violences aux femmes a introduit la criminalisation des clients des prostituées. Le gouvernement avait déclaré:

Nous considérons que la prostitution nuit sérieusement aux individus et à la société dans son ensemble ».

Lors d’une convention organisée par le collectif Abolition 2012 le 29 novembre dernier, l’avocate féministe suédoise Gunilla Ekberg mettait en avant la baisse des hommes ayant recours à la prostitution. En une décennie, la proportion des hommes ayant « acheté quelqu’un » est passée de 13,8% à 7,8%.

Des résultats positifs mis en avant par les associations qui défendent l’abolition de la prostitution, comme le Mouvement du Nid, à l’origine du collectif Abolition 2012 avec une quarantaine d’autres associations. Pour plus d’information sur le modèle suédois, lire l’éclairage de notre correspondant à Stockholm.

La Norvège et l’Islande ont ensuite emboîté le pas à leur voisine scandinave en 2009. Dans ces pays, l’acte d’acheter un service sexuel est donc illégal, passible de peines de prison et d’amendes.

Les pays qui l’autorisent avec réglementation

  • L’Allemagne

La prostitution et la fréquentation de prostituées sont légales en Allemagne. Les prostituées cotisent aux impôts en tant que travailleur du sexe, et Artémis, le plus gros bordel à côté du stade olympique de la capitale, utilise les bus de la ville comme surface d’affichage. Il y a de nombreux types de bordels à Berlin, depuis les « traditionnels » de Charlottenburg, on peut trouver toute une gamme allant du luxe jusqu’au glauque. Plus original, des modèles comme le bordel « flat », où le client paye, non pas la consommation, mais au temps passé à l’intérieur…

  • La Grèce

La législation de l’Etat grec moderne reconnaît la prostitution comme un métier à part entière. Selon le droit grec, la prostitution « prestation du corps à but de copulation » ne constitue pas un délit, à condition qu’elle s’exerce conformément à la législation en vigueur. L’installation d’une prostituée ou l’ouverture d’une maison close est placée sous la responsabilité de l’autorité municipale ou portuaire, avec obligation légale d’un suivi régulier de la santé de la prostituée par des médecins de la santé publique. La promotion de la prostitution, de même que la prostitution masculine sont illégales. Aucune législation ne concerne les clients.

Mais la réalité est tout autre. Une augmentation exponentielle de la prostitution masculine et feminine ces dernières années, avec deux phénomènes concomitants : la chute du communisme et l’émigration clandestine.

Des jeunes femmes, souvent mineures, dont le prix d’achat dans les Balkans est de 600 dollars américains, subissent en moyenne de 30 à 100 contacts sexuels par jour. Il y a vingt ans, le nombre de personnes prostituées essentiellment d’origine grecque était d’environ 3 400. Aujoiurd’hui le nombre de prostituées d’origine étrangère a été multiplié par vingt et plus. Les revenus de la prostitution en Grèce sont évalués à 10 milliards de dollars américains par an, faisant de la Grèce la charnière du trafic humain en Europe.

Les jeux olympiques d’Athènes en 2004 ont favorisé cette explosion péripatéticienne. Aux 600 maisons de tolérance existantes à Athènes, plus de 230 supplémentaires ont été autorisées en 2003 par la municipalité d’Athènes et la prostitution clandestine est devenue monnaie courante.

Les pays qui l’autorisent, sans réglementation

  • La Belgique

Avant 1948, la prostitution était totalement réglementée. Aujourd’hui, racolage et proxénétisme sont illégaux en Belgique, mais la prostitution y est autorisée. Dans les faits, c’est plus une norme que quelque chose de réellement appliqué. C’est finalement assez flou car d’un point de vue juridique, un homme marié avec une prostituée pourrait être poursuivit s’il jouit des revenus de sa conjointe.

Récemment, la DH, journal belge francophone, a fait un TOP 5 des meilleures adresses pour trouver des prostituées à Bruxelles. Scandale ! L’article a été retiré et le rédacteur chef adjoint a du démissionner.

  • Le Royaume-Uni

Le Policing and Crime Act voté en 2010 punit d’une amende de 1 000 livres l’achat de tout acte sexuel à des personnes prostituées « sous la contrainte » ou « sous le contrôle d’un proxénète ». Les Britanniques ne s’arrêtent pas là puisque les noms des hommes pris à s’adonner au sexe tarifé peuvent être publié dans les journaux. Un double effet dissuasif sur lequel compte le gouvernement.

Une autre loi (Anti Social Behaviour Orders, ASBO) pénalise quant à elle le racolage des personnes prostituées dans la rue de même que le « kerb crawling », cette pratique qui consiste à la sollicitation d’actes sexuels par les « clients » en voiture. Selon une enquête publiée fin 2008 en Angleterre (Big Brothel, a survey of the off-street sex industry in London) les maisons closes prolifèrent à Londres : il y en aurait près de 1 000 et 85% des bordels se trouveraient dans des zones résidentielles (une moyenne près de 30 par arrondissement).

  • L’Italie

En Italie, la prostitution en tant que telle n’est pas illégale, mais la loi interdit cependant la prostitution organisée ou le proxénétisme. En 2008, le gouvernement a approuvé une proposition de loi pour interdire la prostitution dans les rues, mais la loi n’a jamais été votée.

Les prostituées sont donc encore libres de déambuler dans les rues et il s’agit d’ailleurs d’un phénomène très commun. Selon un organisme des Nations Unies, l’UNDOC, « l’Italie est de fait parmi les premières destinations mondiales pour le trafic humain ». Plus de 80% des prostituées sont étrangères.

  • L’Irlande

La prostitution n’est pas illégale en Irlande, mais le racolage, le proxénétisme et les bordels sont interdits. Le racolage se fait surtout sur Internet, et il existe beaucoup de bordels « secrets ». Avant les dernières élections, le gouvernement voulait réformer le statut de la prostitution sur le modèle suédois, et donc en criminalisant les clients, et non les prostituées. Cette proposition avait reçu le soutien des partis d’opposition aujourd’hui au pouvoir, mais pas de nouvelles pour l’instant.

Pour l’ancien ministre de la justice, criminaliser les clients apparaissait comme un bon moyen d’arrêter « d’alimenter le réseau », mais aussi de réduire les violences physiques et les viols sur les prostituées, en nette progression selon le rapport annuel 2010 de l’association irlandaise Ruhama, qui accompagne ces femmes.

  • Le Portugal

Il n’existe pas de loi spécifique encadrant la prostitution au Portugal. Il n’y a donc pas formellement d’interdiction, mais pas non plus de règle précise. En revanche, le code pénal reconnaît plusieurs crimes liés à cette activité: le trafic d’êtres humains – passible de 2 à 8 ans de prison – le proxénétisme (6 mois à 5 ans de prison) et la prostitution des enfants.

En 1962, les maisons closes, où jusqu’alors s’exerçait la prostitution, ont été interdites, et les péripatéticiennes ont investi la rue. Mais le décret-loi a été révoqué en 1982, sans toutefois donner un cadre précis à l’activité. C’est sous l’influence des conventions internationales que le Portugal a renforcé le code pénal en matière de protection.

Depuis 2000, avec l’arrivée d’une vague importante d’immigrés, la prostitution s’est développée. Des chiffres font état de près de 30 000 prostitué(e)s sur le territoire, dont la moitié seraient étrangères (Brésil, Roumanie, Bulgarie, Niger). Ces dernières années de nombreux cas de trafic humains, liés notamment à la prostitution brésilienne, ont été révélés au grand public, et des réseaux mafieux démantelés.

  • L’Espagne

Exercer la prostitution et en être client ne sont pas des délits aux yeux de la loi espagnole. En revanche, tout rapport à la prostitution de mineurs ou de personnes handicapées un délit puni de peines de prison. Les maisons closes pullulent, et la plus grande d’Europe a d’ailleurs ouvert ses portes à Gérone cet automne. Idéal pour les Français qui vivent de l’autre côté de la frontière.

Par ailleurs, le grand débat en ce moment repose sur la possibilité pour les pouvoirs publics d’interdire les annonces dites « de contact » qui fleurissent en masse dans les grands quotidiens (El País, El Mundo, y compris les plus catholiques comme ABC) et qui ne sont ni plus ni moins que des annonces de prostitution, parfois de filles très, voire trop, jeunes. Les journaux ne veulent surtout pas se passer de cette manne alors que les revenus publicitaires sont en chute. Paradoxal, quand on voit le nombre d’articles importants condamnant la « violence machiste ».

 

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