Les 30 et 31 mars prochains, la proposition de loi sur la prostitution sera examinée en première lecture au Sénat. Nous, associations de santé qui travaillons au plus près des prostituéEs, avons à maintes reprises alerté les parlementaires sur les risques sanitaires et les violations de droit que constituait ce texte pour les personnes concernées. Dans son avis rendu en juillet 2014, la commission spéciale du Sénat a entendu certaines de nos recommandations : elle a confirmé l’abrogation du délit de racolage et supprimé l’article 16, qui visait à pénaliser les clients. Si cet avis ne permet pas de dissiper nos inquiétudes sur le caractère globalement néfaste d’une loi spécifique sur la prostitution, il reconnaît néanmoins que pénaliser le racolage ou pénaliser les clients, c’est d’abord pénaliser les prostituéEs et entraver dangereusement leur accès à la santé et aux droits.Voté il y a douze ans jour pour jour, le délit de racolage a largement dégradé les conditions de santé et d’exercice des personnes qui se prostituent. Rejetées de l’espace public, moins accessibles aux associations de soutien et de prévention, elles sont aussi davantage exposées aux violences et aux risques, et moins en capacité de négocier des rapports protégés. Voilà le bilan d’un article de loi absurde guidé en 2003 par des préoccupations morales et sécuritaires.
Or la pénalisation des clients répond aux mêmes postures idéologiques, ignorant délibérément la réalité de terrain et le vécu des personnes concernées. Tout laisse donc à penser qu’elle sera suivie des mêmes effets. Le « modèle » suédois, cité en référence par les partisans de la pénalisation, a d’ailleurs été vivement critiqué dans une série de publications du journal médical The Lancet[1] en juillet 2014. Qualifié de « pire modèle qui puisse exister » il s’est traduit par de graves violations de droits pour les personnes qui se prostituent et une exposition accrue aux violences et au VIH. Ce bilan est d’ailleurs parfaitement en phase avec les nombreux avis rendus ces dernières années par les institutions internationales (PNUD, OMS, ONUSIDA) ou françaises (CNS, IGAS, CNCDH).
La Commission spéciale du Sénat a, elle aussi, fait valoir que la pénalisation des clients « serait inefficace pour lutter contre les réseaux et placerait les prostituées dans un isolement encore plus grand ». Nous approuvons cette position et demandons aux parlementaires de la confirmer en séance.
Nous appelons sénatrices et sénateurs à rejeter toute mesure coercitive ou stigmatisante à l’égard des prostituéEs. Nous les invitons à concentrer leurs efforts sur la lutte contre la traite et pour un accès inconditionnel aux dispositifs de droit commun d’accompagnement social et sanitaire.
Ne sacrifions pas la santé et la sécurité des personnes concernées par la mise en place de mesures répressives dont elles seraient à nouveau les premières victimes.
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[1] The Lancet, HIV and Sex workers, July 2014, P66 « Human rights violations against sex workers: burden and effect on HIV ». Decker, Crago, Chu, Sherman, Seshu, Buthelezi, Dhaliwal, Beyrer. |