Prostitution : ‘la ministre des Droits des femmes craint une polémique'(interview sur Elle.fr, 29 mars 2013)

Par Hélène GuinhutLe 29/03/2013

Jeudi soir, le Sénat s’est prononcé en faveur de l’abrogation du délit de racolage. Une victoire pour Esther Benbassa, la sénatrice Europe Ecologie les Verts (EELV) à l’origine de cette proposition. Au lendemain du vote, elle nous explique sa position concernant les autres pistes envisagées par le gouvernement pour encadrer la prostitution. Interview.

Prostitution la ministre des Droits des femmes craint une polemique

© MaxPPP

 

ELLE.fr. Jeudi,  Najat Vallaud-Belkacem s’est engagée à mettre en place « un plan global contre la traite des êtres humains à l’automne ». Pensez-vous que cet engagement sera tenu ?
Esther Benbassa. Cela me semble trop court car la ministre a très peu de marge de manœuvre. Comme le groupe qui travaille là-dessus est très axé sur la pénalisation des clients, la ministre hésite, elle craint une polémique. Hier le débat était assez pointu et elle a vu que le problème n’était pas si simple. Finalement, la seule qui a vraiment défendu l’abolition, c’est Chantal Jouanno.

ELLE.fr. Justement, quelle est votre position concernant l’abolition de la prostitution ?
Esther Benbassa. C’est du prohibitionnisme. Personnellement, je ne suis pas réglementariste. Je pense qu’il faut mener une lutte contre le proxénétisme avec des programmes de prévention, d’éducation et de réinsertion. Mais les personnes qui veulent exercer la prostitution comme métier, c’est leur problème. Je ne suis pas moraliste. La majorité des prostituées dites « traditionnelles » sont françaises et en auto-entreprise.

ELLE.fr. Etes-vous favorable à la pénalisation du client ?
Esther Benbassa. Nous n’avons pas à gérer la sexualité des citoyens, ce n’est pas le rôle de l’Etat. Si cette mesure entre en vigueur, elle donnera les même résultats que la loi de 2003 (Ndlr : loi pénalisant le racolage), à savoir la précarisation, la clandestinité et une exposition accrue des prostituées aux maladies. Prenons l’exemple de la Suède qui a adopté cette loi. Il n’y a plus de prostitution dans les rues car elle a basculé sur Internet et dans les salons de massages. Il y a même des bordels flottants qui échappent à la réglementation.

ELLE.fr. Jeudi, durant les débats au Sénat, le sénateur UMP Michel Savin a dit : « Il ne faut pas viser l’éradication de cette activité, car une bonne partie des clients y ont recours pour répondre à des besoins sexuels non satisfaits ou qui sont en détresse sexuelle. » Que pensez-vous de cette déclaration ?
Esther Benbassa. Ça me choque. La sexualité, ce n’est pas SOS Médecins, les hommes peuvent se débrouiller autrement. Les Etats se sont déjà servis de ce type d’argument, notamment durant la guerre 14-18 où l’on trouvait normal que les prostituées affluent dans les gares pour que les soldats permissionnaires puissent se « défouler ». Ce genre de déclaration encourage les abolitionnistes.

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