« Prosélytisme » ou « choix à respecter » ? Le voile d’une dirigeante de l’Unef divise la majorité (LCI, 21 mai 2018)

« Prosélytisme » ou « choix à respecter » ? Le voile d’une dirigeante de l’Unef divise la majorité

DÉBAT – En appelant à « respecter le choix » de la présidente voilée de l’Unef Paris IV, Maryam Pougetoux, le député LaREM de l’Oise, Aurélien Taché, a ouvert une brèche au sein de la majorité, plusieurs ténors ayant critiqué le « prosélytisme » de la porte-parole étudiante. Le débat ne se cantonne d’ailleurs pas aux responsables LaREM.

La polémique a fait tâche d’huile jusqu’au gouvernement et au sein de la majorité présidentielle. Maryam Pougetoux, présidente de l’Unef Paris IV, a suscité de nombreuses réactions politiques depuis qu’elle est apparue voilée lors d’une interview où elle dénonçait la réforme des universités. Vendredi, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb avait dénoncé sur BFMTV le « prosélytisme » de la porte-parole étudiante, affirmant qu’il y a « un combat culturel engagé au sein des jeunes musulmans » pour savoir si « l’islam veut converger avec la culture française ».

La secrétaire d’Etat Marlène Schiappa s’en est également émue, se disant « interpellée », « non pas parce que c’est une étudiante qui porte le voile, c’est son droit le plus strict, mais que l’Unef ait choisi comme porte-parole une personne qui a des signes manifestes de promotion de l’islam politique ».

La militante de 19 ans a répondu dimanche auprès du site Buzzfeed, affirmant que le port du voile n’est « absolument pas un symbole politique ». Mais la polémique a ouvert une ligne de fracture au sein de la majorité après des propos tenus lundi sur Europe 1 par le député LaREM du Val d’Oise Aurélien Taché, lui-même ancien responsable de l’Unef.

« Un choix qui est le sien »

Pour ce député en charge des questions de laïcité et d’intégration au sein de la majorité présidentielle, la mise en cause de Maryam Pougetoux reviendrait à se demander « si elle est une bonne française, suffisamment française ». « Pour moi », a-t-il expliqué, « les valeurs progressistes, c’est que les femmes puissent prendre des responsabilités. Je ne vois pas la difficulté, tant qu’elle est dans un mandat que lui ont confié ses camarades. Elle a fait un choix qui est le sien, il faut pouvoir le respecter ». Des propos qui ont suscité une controverse, y compris avec certains camarades de bancs à l’Assemblée, comme le député LaREM du Cher François Cormier-Bouligeon, au sujet du voile islamique.

 

Interrogé sur la polémique vendredi, le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer avait estimé que « nous sommes dans une démocratie et bien entendu, elle a le droit d’être voilée », tout en observant que « si une présidente de l’Unef est voilée, c’est quand même un changement d’époque ».

Plus offensifs, les députés LaREM Aurore Bergé et Sylvain Maillard ont rejoint la position exprimée par Marlène Schiappa. « Ceux qui libèrent les femmes ne seront jamais ceux qui ne les acceptent dans l’espace public que si elles sont suffisamment couvertes », a estimé Aurore Bergé, députée des Yvelines.

Une position qui dépasse d’ailleurs largement le cadre de la majorité présidentielle. Sur le sujet, le leader de La France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a rappelé que « la religion n’a pas à être ostentatoire », jugeant à titre personnel que les signes religieux ne doivent « pas intervenir dans l’action politique ou syndicale ».

Même opinion exprimée sur Twitter par le député LFI Adrien Quattennens, qui considère que « lorsqu’on est représentant politique ou syndical en fonction, on ne donne pas à voir ses convictions religieuses car on doit s’attacher à représenter tout le monde ». Ajoutant : « Ce n’est cependant pas une raison pour attaquer cette représentante de l’Unef ». Ancien cofondateur de l’Unef, le socialiste Julien Dray a fustigé la direction du syndicat qui, en nommant la jeune porte-parole voilée, « souille tout notre combat mené dans les universités ».

A l’inverse, peu de voix se sont exprimées dans le champ politique pour soutenir le choix de l’étudiante. Parmi celles-ci, la sénatrice EELV Esther Benbassa : « Une femme voilée doit-elle être interdite de syndicalisme ? » a-t-elle dénoncé. « D’engagement politique ? De visibilité sociale ? Etre déchue de ses droits civiques ? Et enfermée à la maison ? Les plus intégristes ne sont pas ceux qu’on croit. »

« Pas conforme à la civilité »

Dans son argumentaire, le député LaREM Aurélien Taché s’est notamment appuyé sur des propos réitérés d’Emmanuel Macron sur sa vision de la laïcité : « L’Etat est laïc, la société ne l’est pas ». En avril, le chef de l’Etat avait toutefois défendu une vision plus ambivalente sur le port du voile en France.

« Pourquoi le voile nous insécurise ? » questionnait-il lors de son interview accordée à Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin. « Cela n’est pas conforme à la civilité qu’il y a dans notre pays. Nous sommes attachés à l’égalité entre l’homme et la femme. On doit l’expliquer, on doit convaincre. Je ne veux pas de loi qui l’interdise dans la rue, ce serait contre-productif. La société, elle n’est pas laïque et doit leur permettre de porter leur voile. Ce que je veux, c’est qu’aucune femme ne soit obligée de porter le voile. C’est une bataille pour l’émancipation. » Un objectif qui semble mettre d’accord les membres de sa majorité.