« Le 20 novembre dernier, le Sénat avait adopté la prorogation de l’état d’urgence à la quasi-unanimité. Trois mois plus tard, le Sénat devrait à nouveau voter pour… mais l’état d’esprit a changé et de nombreux écologistes et communistes manqueront à l’appel.
Socialistes et droite à l’unisson
« De nombreux individues sont identifiés et placés sous surveillance. D’ailleurs, un des projets terroristes déjoués a pu l’être grâce à une perquisition administrative, menée dans le cadre de l’état d’urgence. » Vendredi matin, à la tribune de l’Assemblée nationale, Manuel Valls est venu défendre la révision constitutionnelle, notamment l’inscription de l’état d’urgence dans la loi fondamentale. En parallèle, le Sénat s’est saisi du projet de loi sur la prorogation de l’état d’urgence qui sera débattu le 9 février dans l’hémicycle. Mais dans les deux cas, l’argument du Premier ministre est valable : l’état d’urgence est utile, il est même indispensable puisqu’il a déjà fait ses preuves dans la lutte contre le terrorisme. Selon des sources concordantes, le Premier ministre parlait ce vendredi de l’arrestation en décembre d’un Tchétchène de 27 ans, Issa Khassief à Tours.
Philippe Kaltenbach emboîte le pas : « On voit bien qu’il y a toujours une menace forte d’attaque terroriste. Le gouvernement a raison de vouloir bénéficier des moyens maximum pour prévenir ces attaques ». Le sénateur socialiste fait valoir l’utilité des perquisitions de nuit ou encore des imsi-catchers, un outil de surveillance jusqu’ici destiné aux services de renseignement mais que la police peut utiliser dans le cadre de l’état d’urgence. Pour le sénateur des Hauts-de-Seine, le système a fait ses preuves et les atteintes aux libertés ont été maîtrisées : « le gouvernement n’a pas interdit de manifestation à caractère social, on l’a vu avec le mouvement des taxis, et les personnes qui le voulaient ont pu déposer un recours devant le Conseil d’Etat. Le fait que certains recours aient abouti montre qu’il y a bien un filet de sécurité ». Certes, l’autorité administrative voit ses pouvoirs s’accroître au détriment du pouvoir judiciaire mais pour Philippe Kaltenbach, cette situation ne doit pas durer : il attend de la réforme de la procédure pénale qu’elle « remette le système à plat sous l’autorité du juge judiciaire ». Pour lui, « pas question de mettre en place un état d’urgence permanent ». « C’est vrai qu’il y a eu quelques ratés » concède-t-il, « mais c’est temporaire ». Et ses collègues de droite ? « Le gouvernement a réussi à trouver un compromis qui devrait permettre de bâtir un consensus au-delà des clivages […]
Communistes et écologistes contre l’état d’urgence
La majorité des communistes votera contre selon la sénatrice communiste Cécile Cukierman. Lors de la première prorogation de l’état d’urgence au mois de novembre, la moitié du groupe s’était abstenue. L’autre moitié avait approuvé la prorogation. Trois mois plus tard, l’état d’esprit a évolué. La sénatrice de la Loire, qui s’est abstenue au mois de novembre, déplore que l’état d’urgence renforce l’autorité administrative au détriment du juge judiciaire, « un contre-pouvoir et le garant des libertés individuelles et collectives ». « Un pays ne peut pas rester en état d’urgence permanent » rappelle-t-elle, s’appuyant au passage sur les interrogations du Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui s’est montré sévère sur l’état d’urgence, a pointé des dérives et fait état d’interrogations sur le respect du droit. « Les terroristes ont ce qu’ils veulent : chercher à déstabiliser ce qu’est la France. On ne peut pas sortir un pays de l’état de droit au nom de la situation ».
Esther Benbassa, sénatrice écologiste et membre du comité de suivi de l’état d’urgence, abonde : « on a maintenant d’autres dispositifs dans la loi ordinaire sans avoir à proroger l’état d’urgence qui entretient une situation de guerre anxiogène. » L’historienne rappelle que lors de l’état d’urgence proclamé pendant la guerre d’Algérie, de 1961 à 1963, « il y avait eu les dérives du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 », deux répressions meurtrières par la police dans le premier cas d’Algériens qui manifestent contre le couvre-feu qui les vise, dans le second cas d’opposants à l’OAS et à la guerre l’Algérie. Pour la sénatrice, la prorogation des l’état d’urgence a essentiellement des visées politiques : « il s’agit de mettre à l’abri l’exécutif des retombées d’un attentat éventuel qui les empêcherait de gagner les élections ». La sénatrice du Val-de-Marne demande qu’on prenne le problème à la racine : « Pourquoi les terroristes prospèrent-ils dans les banlieues belges et françaises ? Pourquoi nos services de renseignement ne fonctionnent pas comme il faudrait ? Nous empilons les lois les unes sur les autres. Mais M. Valls devrait lire les travaux de certains chercheurs qui travaillent sur le terrorisme depuis longtemps. Au lieu de cela, il préfère injurier la pensée plutôt que de comprendre ce phénomène complexe ».
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