Prorogation de l’état d’urgence: mon explication de vote (20 novembre 2015)

PJL prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions (procédure accélérée)

Explication de vote

Vendredi 20 novembre 2015

Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Mes ChèrEs collègues,

 

La France traverse une épreuve que je vis comme vous douloureusement. Je m’incline solennellement devant les victimes et leurs familles. Je rends hommage au courage de nos forces de sécurité, au dévouement de nos équipes médicales. Je sais que de lourdes responsabilités pèsent sur les épaules de notre exécutif et que les Français doivent être protégés et rassurés.

Mais si la sécurité est la première de nos libertés, elle n’est pas la seule. Comme l’ont rappelé Robert Badinter, Maître Henri Leclerc, la LDH, le Syndicat de la Magistrature, l’Etat de droit n’est pas un Etat de faiblesse. Nul affaiblissement, même provisoire, de l’autorité judiciaire n’est sans danger pour nos libertés.

Si exceptionnelle que paraisse la situation, justifie-t-elle la mise en place d’un régime d’exception, annonçant en outre d’autres changements préoccupants, telle la révision en urgence de notre Constitution ? Notre droit ne dispose-t-il pas déjà de dispositifs suffisants ? N’arrivera-t-il rien, dans les mois qui viennent, qui justifierait, aux yeux de certains, une prorogation indéfinie de cet état d’urgence ?

C’est au nom de l’esprit même de notre démocratie que je veux faire entendre ici une voix juste différente. Je doute, peut-être comme d’autres parlementaires, de la légitimité et de l’efficacité d’un si long état d’urgence. Ce doute, j’ai décidé de l’exprimer publiquement.

Acceptez que l’historienne que je suis ne puisse oublier les dérives de l’état d’urgence des années 1961-1963. Nous n’en sommes certes pas là. Je n’en crois pas moins nécessaire de lancer une mise en garde.

Je ne voterai pas ce projet de loi. Je m’abstiendrai. J’espère que le sens que je donne à ce vote est désormais clair pour chacun.