Séance du 25 octobre 2011 (extrait du compte rendu des débats)
Service citoyen pour les mineurs délinquants
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, sous couvert de compléter les solutions offertes à la justice et de trouver des remèdes à la situation des jeunes en manque de repères et en rupture sociale, la proposition de loi qui nous est soumise à la va-vite n’est constituée que de « mesurettes » cosmétiques et inefficaces.
Sur le plan de la méthode, tout d’abord, un tel chantier législatif aurait dû être entrepris dans le respect du débat parlementaire,…
Mme Esther Benbassa. … mais le Gouvernement a fait le choix de recourir à la procédure accélérée, cédant une fois encore à l’urgence et à l’électoralisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Sur le fond, je consacrerai l’essentiel de mon intervention aux cinq premiers articles du texte, Mme Tasca ayant excellemment traité de l’ajout de dernière minute d’un article 6.
Je partage, quant à moi, la position de notre rapporteure et des magistrats sur les difficultés engendrées par l’article 6. Les sénatrices et sénateurs écologistes rejettent fermement cette atteinte à la nécessaire continuité du suivi éducatif des mineurs, exigence constitutionnelle qui aurait dû être prise en compte dans le cadre d’une réflexion globale et approfondie.
Mais, outre cette greffe de l’article 6 qui ne prend pas, le reste de la proposition de loi est également contestable à plus d’un titre.
M. Jean-Pierre Michel. C’est vrai !
Mme Esther Benbassa.Tout d’abord, les mesures contenues dans les cinq premiers articles de la proposition de loi comportent de nombreuses confusions et suscitent l’incompréhension, y compris chez les professionnels du droit.
Ainsi, il n’est pas précisé si les mesures s’appliqueront aux primo-délinquants ou aux mineurs récidivistes ou multirécidivistes. M. le ministre vient heureusement de nous préciser que les multirécidivistes n’étaient pas concernés.
Mme Esther Benbassa. On ignore également si la qualification pénale des infractions, délits ou crimes sera ou non prise en compte.
Cette confusion est accentuée par le caractère « militaire » du dispositif. En effet, l’on sait que l’encadrement des centres relevant de l’EPIDE est composé à 42 % d’anciens militaires, et que le ministère de la défense a fourni, à l’origine, les terrains et les bâtiments.
Le rapport nous indique également que ce même ministère sera sollicité financièrement à hauteur de 2 millions d’euros si les mesures contenues dans le texte sont finalement adoptées – ce dont je doute, tant ce texte semble, à juste titre, faire l’unanimité contre lui !
Mme Esther Benbassa. Dès lors, même si les centres relevant de l’EPIDE sont conçus comme des établissements civils d’enseignement et d’internat, l’ambiguïté persiste !
Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer devant la commission des lois, les sénatrices et sénateurs écologistes sont hostiles à la militarisation de l’insertion des mineurs délinquants.
M. Louis Nègre. Ils ont tort !
M. Alain Gournac. Vous voulez supprimer le SMA dans les DOM ?
Mme Esther Benbassa. Une autre confusion entretenue par ce texte tient à la référence à un « contrat » dont la signature relève de la « volonté » des jeunes pour entrer dans le dispositif, alors que, dans le même temps, il y a mesure de contrainte prise par l’institution judiciaire. Il s’agit bien, en réalité, d’une obligation imposée aux jeunes concernés, puisque ce service est prévu, à l’article 1er de la proposition de loi, comme une modalité de la composition pénale.
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
Mme Esther Benbassa. Ainsi, si le procureur de la République propose à un jeune l’exécution d’un service citoyen, ce dernier n’aura in fine pas le choix : soit l’action publique s’éteindra et il entrera dans un centre relevant de l’EPIDE, soit il sera poursuivi pénalement.
M. Louis Nègre. C’est au choix…
Mme Esther Benbassa. Le même raisonnement est applicable, par analogie, à l’article 2 du texte, relatif à l’accomplissement du service au sein d’un centre relevant de l’EPIDE dans le cadre de l’ajournement de peine, ou à l’article 3, concernant quant à lui le sursis avec mise à l’épreuve. Dans ces deux autres hypothèses aussi, le caractère volontaire de l’entrée dans le dispositif demeure purement théorique.
Au-delà, c’est l’esprit même de ce nouveau texte répressif, liberticide et sécuritaire que les sénatrices et sénateurs écologistes contestent fermement.
M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
Mme Esther Benbassa. Il s’agit, ici encore, comme en est coutumière une certaine « droite populaire », de chercher à flirter avec l’électorat de l’extrême droite, par le biais d’« effets d’annonce ». (Protestations sur les travées de l’UMP. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
« Enfermons ces jeunes pour protéger la société », déclare ainsi M. Ciotti ! En pratique, ces mesures ne concerneront pourtant qu’une poignée de jeunes et ne régleront évidemment pas les problèmes liés à la délinquance des mineurs.
M. Ronan Kerdraon. Ce n’est pas le but !
Mme Esther Benbassa. En effet, la délinquance juvénile apparaît comme une problématique ancienne, régie presque entièrement par l’ordonnance du 2 février 1945, qui repose sur une dichotomie entre justice des mineurs et justice des majeurs et dont l’article 2 donne aux mesures éducatives la primauté sur les sanctions.
M. Louis Nègre et Mme Catherine Troendle. Nous sommes d’accord !
Mme Esther Benbassa. Or, la proposition de loi de M. Ciotti s’insère dans une série de textes votés précédemment : « Perben 1 », « Perben 2 », « LOPPSI 1 » puis « LOPPSI 2 », et enfin la loi du 10 août 2011 relative aux jurés populaires et à la justice des mineurs. Tous mettent l’accent sur la réponse pénale, dans un contexte où la rhétorique sécuritaire prime sur la recherche de solutions viables aux maux et aux crises économiques successives dont souffre notre société.
Les mesures présentées dans cette proposition de loi risquent en outre de déstabiliser le fonctionnement des centres relevant de l’EPIDE, qui ne sont pas adaptés à l’accueil de mineurs délinquants. Il serait préjudiciable de bouleverser la dynamique de ces structures, qui fonctionnent bien pour le moment, afin d’y faire entrer une toute petite poignée de mineurs délinquants, lorsque 40 000 bénéficient déjà, en milieu ouvert, d’une palette de dispositifs de prise en charge.
Les sénatrices et sénateurs écologistes rejettent donc en bloc la philosophie de ce texte ; ils plaident en faveur de la mise en œuvre de solutions de prévention ou de mesures adaptées à l’âge et à la situation des intéressés, en particulier de mesures éducatives ou de « placement » en milieu ouvert, favorisant la réinsertion des jeunes concernés et impliquant tous les acteurs : famille, école, éducateurs.
Enfin, je terminerai en rappelant le coût exorbitant d’un tel dispositif. Alors que le budget consacré actuellement à la formation d’un jeune majeur dans ces établissements est en moyenne de 32 000 euros, le rapport de la commission des lois nous indique qu’il s’élèvera à 50 000 euros par mineur délinquant si le texte est mis en œuvre ! Dans cette période de crise que nous connaissons, où la justice peine déjà à obtenir un budget qui lui permettrait de fonctionner au mieux, pensez-vous sincèrement que ces nouvelles dépenses soient nécessaires ?
Pour toutes ces raisons, les sénatrices et sénateurs écologistes sont évidemment hostiles à cette proposition de loi, qui a d’ailleurs été rejetée par la commission des lois. Ainsi, nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)