Projet de loi sur le terrorisme : discussion générale (16/10/2012)

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Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,

Comme vous le savez, le présent projet de loi succède ou se substitue à un autre, déposé le 4 mai 2012 par notre collègue Michel Mercier, alors Ministre de la Justice, à la suite des tueries de Toulouse et Montauban. Il arrive à notre assemblée en procédure accélérée, cette fois par la volonté du gouvernement de gauche actuel, dans le contexte créé par l’affaire Merah, et alourdi par un nouveau cycle d’événements heureusement moins tragiques, quoique profondément inquiétants, avec les récentes arrestations des membres d’une cellule terroriste dans le sillage de l’enquête menée à la suite d’une attaque à la grenade lancée dans une épicerie juive de Sarcelles, le 19 septembre.

Je ne referai pas ici l’historique détaillé de la loi du 23 janvier 2006, dont les articles 3, 6 et 9 ont été prorogés en 2008, jusqu’à la fin de la présente année civile. C’est en effet dans un climat tendu que nous avons engagé, au Sénat, l’examen de l’actuel projet de loi, qui en est un nouvel avatar. Comme me l’imposent ce climat et ce contexte de stress social, et comme me l’impose aussi mon attachement à certains principes intangibles, je me dois de souligner mon rejet de toute forme de terrorisme aveugle et ma haine des fossoyeurs de toute civilisation humaine auxquels nous devons faire face.

Aussi, avant de développer toute considération relative aux éventuelles dérives auxquelles pourraient conduire certains articles de ce projet de loi, et pour éviter toute espèce de suspicion, je me permettrai de me placer sous l’aile protectrice d’un maître en éloquence, mon excellent collègue et ami Jean-Pierre Sueur, dont le dévouement aux intérêts de la nation n’est plus à démontrer. Quand on vient d’arriver au Sénat comme moi, ce n’est pas là une prudence superflue. Ainsi s’exprimait-il, en décembre 2005, lors des débats entourant le vote de la loi d’origine : « la lutte contre le terrorisme nécessite le concours de tous les élus de la République… qui ne doivent pas ménager leur soutien au gouvernement, quel qu’il soit, car nous devons lutter de toutes nos forces contre ce qui est la négation de la civilisation et de la démocratie ». Il ajoutait d’un même élan : « la question qui nous est posée est de savoir dans quelles conditions il est légitime de prendre les mesures exceptionnelles qu’appelle nécessairement la lutte contre le terrorisme. Nous pensons que ces mesures sont nécessairement exceptionnelles, les conditions dans lesquelles elles doivent être prises appellent une attention toute particulière. » Personne ne saurait rien redire à la sagesse de ces mots fixés dans la toile du Sénat. Et moi moins que personne.

Si nous devons mener la lutte contre le fléau dont nous parlons aujourd’hui, nous ne devons pourtant pas le faire à n’importe quel prix, et surtout pas en cédant sans réfléchir à la pression de l’événement. M. Sarkozy, par l’intermédiaire de son Ministre de la Justice, réagissait en mai à l’affaire Merah. Il ne faudrait pas, Monsieur le Ministre, que nous donnions le sentiment de simplement réagir à l’affaire de Sarcelles. Et de relancer un mécanisme déjà utilisé hier pour rassurer les Français. Ce souci de « rassurer » est certes en lui-même légitime. Veillons néanmoins à éviter de donner le sentiment de produire une simple disposition d’affichage.

Si votre projet de loi, Monsieur le Ministre, reprend certaines mesures figurant déjà dans celui de M. Mercier, il en réduit toutefois le contenu à trois volets seulement, le dépouillant d’un certain nombre de dispositions. Il n’en reprend pas moins les articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006, demandée par M. Sarkozy lui-même, alors locataire – comme vous aujourd’hui – de la place Beauvau.

Or, la question que peut, et sans doute doit, se poser tout citoyen est celle-ci : pourquoi les dispositions votées en 2006, prorogées en 2008, n’ont-elles pas suffi à nous protéger d’un Mohamed Merah, pourtant connu par les services de police ? De même, pourquoi les terroristes présumés de la cellule de Torcy (douze arrêtés, dont cinq libérés après une longue garde à vue) n’ont-ils été repérés qu’après leur lancer de grenade à Sarcelles, un acte qui, en d’autres circonstances, aurait pu se révéler beaucoup plus meurtrier qu’il ne l’a été ?

Les mesures de 2006 avaient été proposées comme expérimentales et non définitives. Après qu’il y ait eu morts d’hommes et d’enfants, est-il utile de multiplier des dispositions dont l’efficacité ne semble pas démontrée, et qui s’ajoute à l’arsenal déjà existant de dispositions de lutte contre le terrorisme ? En ce qui le concerne, le groupe écologiste demande, d’une part, que la prorogation soit limitée à décembre 2014 (au lieu de décembre 2015) et qu’un rapport détaillé d’évaluation de l’efficacité et la pertinence de ces dispositions soit dressé avant toute nouvelle prorogation. Un rapport de ce type, élaboré par les députés Eric Diard et Julien Dray et rendu en 2008, à la veille de la prorogation de 2008, ne concluait-il pas qu’il ne fallait pas, « sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique, et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires (celles des articles 3, 6, 9) de cette loi doivent être prolongées, ou plus encore être définitivement entérinées » ?

Tant que l’on ne s’attaquera pas aux causes profondes de l’émergence d’un terrorisme désormais endogène et aux racines de l’engagement de certains jeunes de nos quartiers – y compris de récents convertis – dans les rangs d’un islamisme destructeur,

tant que l’on continuera à clamer les principes d’une laïcité toute théorique sans vouloir prendre la mesure exacte des formes contemporaines de retour au religieux, tant que l’on ne se donnera pas les moyens d’inventer des solutions pratiques – et non de pur principe – à l’école, en prison, dans la vie de tous les jours,

tant que l’on ne développera pas à nouveau, dans les zones sensibles, une police de proximité, auxiliaire indispensable pour cerner à temps et pour prévenir le basculement de certains de la délinquance dans une forme de radicalité religieuse pouvant mener au terrorisme,

tant que l’on fermera les yeux sur le grippage de notre ascenseur social et sur l’abandon de nos quartiers populaires,

on pourra promulguer toutes les lois qu’on voudra sans jamais être assuré qu’elles suffisent à nous protéger, sur le long terme, des phénomènes qui nous préoccupent aujourd’hui.

Le projet de loi que nous examinons concourt certainement à la lutte contre le terrorisme. Mais il doit aussi respecter les libertés individuelles, qui sont le socle même de notre démocratie. Sans chercher à provoquer une vaine polémique, je dois rappeler pourtant que la gauche s’était opposée en 2006 et en 2008 aux dispositions des articles 3, 6 et 9 dont le présent projet de loi demande, dans son article premier, la prorogation jusqu’à fin 2015. Elle les jugeait alors liberticides. Elle avait également dénoncé un texte qui, loin de s’en tenir à la prévention et à la répression du terrorisme, contenait des mesures visant à lutter contre la délinquance ordinaire et l’immigration irrégulière, et à élargir les possibilités de contrôle aux frontières. En 2008, le groupe socialiste du Sénat avait lui-même tenté d’empêcher par un amendement la prorogation de dispositions sortant les services de lutte contre le terrorisme de la procédure pénale de droit commun, et au contenu discutable sur le plan des libertés publiques.

Hormis l’émotion provoquée par l’affaire Merah et les récentes arrestations, on ne voit pas ce qui, seulement quatre ans plus tard, devrait fondamentalement modifier cette position. Ce n’est pas nous, écologistes, qui ferons un procès en inconstance à nos amis socialistes. Ainsi le veulent, sans doute, la politique et la raison d’Etat. Nous ne présenterons non plus aucun amendement pour la suppression de cet article dans le contexte actuel, un amendement qui pourrait être interprété comme décalé. En revanche, nous demanderons la réduction de la durée de prorogation au 31 décembre 2014.

Les articles 3 et 4 du projet de loi que nous examinons ont trait aux droits des étrangers et touchent au code régissant leur entrée et leur séjour. Ils modifient l’article L.522-2 du CESEDA en assouplissant la procédure devant la commission par l’ajout d’un alinéa. Si la commission n’a pas émis son avis sur l’expulsion dans un délai d’un mois, celui-ci est réputé rendu. Malgré l’amendement du rapporteur, cet article vise à pallier les carences d’une commission qui statue en général dans des délais bien supérieurs à un mois, empêchant ainsi l’administration de se prononcer et rendant difficile la mise en œuvre des mesures d’expulsion. En fait, cet article contourne les garanties entourant les procédures d’expulsions. Ainsi, l’administration pourra statuer librement s’il y a carence de la commission. Pourquoi cette précipitation ? Votre intention ne peut être simplement, j’en suis sûre, Monsieur le Ministre, de pouvoir expulser des étrangers avec plus de facilité. Pourquoi dès lors donner tant de liberté à l’administration ?

On sait que la gauche a eu toujours à cœur de renforcer les prérogatives de la commission, et que c’est la droite qui les a limitées. Autres temps, autres mœurs, dirons-nous. Nous, le groupe écologiste, nous plaçant dans la tradition de cette même gauche, aujourd’hui majoritaire, à laquelle nous appartenons, nous déposerons un amendement supprimant la possibilité pour l’administration de statuer en cas de carence de la commission d’expulsion, renforçant ainsi les prérogatives de cette dernière. Ainsi remplirons-nous notre rôle de mémoire politique des socialistes, dans une continuité à la fois libre et profondément soucieuse des droits de l’homme.

Pour conclure, je dirai que notre vote final dépendra du sort réservé par cette assemblée à nos amendements. S’ils sont rejetés, nous choisirons l’abstention.