Par Thibaut Pézerat.
» Les débats au Sénat étaient jusque-là décrits comme policés, calmes, et de haute tenue. Mais ça, c’était avant. Ce jeudi 11 avril, le sénateur UMP de Vendée et ancien villieriste Bruno Retailleau a provoqué une polémique dans la chambre haute en glissant une phrase à sa collègue écologiste du Val-de-Marne, Esther Benbassa, qui possède les nationalités française, turque et israélienne.
Le Lab a réécouté l’échange.
Bruno Retailleau se charge d’abord d’expliquer que la gauche fait une erreur sémantique dans l’article 4 du projet de loi sur le mariage pour tous.
Mais il est alors régulièrement interrompu par plusieurs sénateurs, dont Esther Benbassa, sénatrice écologiste du Val-de-Marne. Bruno Retailleau garde son calme mais lâche cette phrase :
Madame Benbassa, écoutez, nous n’avons pas la même couleur politique… D’autres couleurs non plus d’ailleurs [il rit], mais au moins on peut s’écouter, on peut s’entendre ! Au-delà de ses couleurs, variées… Moi, y a aucun problème…
Léger flottement dans l’assemblée… Jean-Vincent Placé, lui aussi sénateur écologiste, s’emporte :
Ça veut dire quoi la question des couleurs ?
Bruno Retailleau lui répond, dans un brouhaha inhabituel à la Chambre haute :
Ça veut dire que quelle que soit nos couleurs politiques… Quelles que soient nos couleurs… Jean-Vincent Placé…
Quelles que soient nos couleurs politiques, il y a le respect qui doit s’imposer. Et au moins on doit pouvoir s’écouter, tout simplement.
Mais les explications de Bruno Retailleau ne satisfont pas les sénateurs de gauche. Jean-Vincent Placé notamment :
C’est scandaleux !
Le président de séance prend alors la parole :
Continuez Monsieur Retailleau, continuez…
Jean-Vincent Placé, en mode bis :
C’est scandaleux !
Bruno Retailleau reprend, interrompu par la bronca généralisée :
La bataille des mots… Je suis dés….
Le président de séance demande le silence en tapant avec son marteau. Le sénateur UMP dont la petite phrase a choqué les sénateurs s’explique une nouvelle fois :
Quelles que soient nos différences, on doit pouvoir s’écouter, c’est tout !
Ecoutez l’échange :
Le grondement des sénateurs se calme un peu, Bruno Retailleau parvient à terminer son discours, mollement applaudi par ses collègues de l’UMP. Le président de séance donne alors la parole à Jean-Pierre Sueur, le président de la Commission des Lois. Qui s’en mêle :
Je voulais m’élever, Monsieur le président, avec beaucoup de force, contre les propos qui ont été tenus ici même, par Monsieur Retailleau [« Oh » général sur les bancs de l’UMP].
En effet, Monsieur Retailleau, s’agissant de l’une de nos collègues vous avez dit qu’il y avait des différences de couleurs politiques, et aussi d’autres différences de couleur. Monsieur Retailleau je veux vous rappeler les termes de l’article 1er de la Constitution.
L’article auquel le président de la Commission des Lois fait référence assure que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Bruno Retailleau, vexé, demande la parole.
Le président de séance met alors quelques secondes à prendre la parole :
Je suis désolé Monsieu Retailleau. Ce n’est pas la peine de crier, et de vous énerver. J’accepte votre rappel au réglement.
Bruno Retailleau, satisfait, livre alors une explication… vestimentaire :
Ce que j’ai dit tout à l’heure, parce que j’étais interrompu en citant un philosophe grec. En disant à une collègue qui est verte, je suis désolé c’est sa couleur politique ! En disant que les couleurs vestimentaires, peu importe. Et vous voudriez nous faire croire qu’on a d’autres pensées ?
Une explication qui ne convainc pas tout à fait Esther Benbassa, et qui l’exprime assez clairement :
Jean-Vincent Placé, patron des sénateurs écologistes, qui avait demandé la parole, prend alors le micro. Il critique d’abord « l’obstruction parlementaire »à laquelle se livrerait l’opposition. Et loue par la suite le comportement des sénateurs de la majorité :
Nous nous avons la sagesse de nous taire alors que nous sommes logés de provocations idéologiques, culturelles, et philosophiques que vous portez. […]
C’est scandaleux de pouvoir tenir des propos comme cela. Je ne demande tout simplement pas vos explications, pas vos diatribes, je vous demande des excuses, et c’est le sens du rappel au réglement que je fais au nom de mon groupe.
Après le vote de l’article 4 du projet de loi, Bruno Retailleau est invité à revenir sur sa petite phrase. Il tente de clore la polémique :
Ce que je voulais dire, à ma collègue, qui n’arrêtait pas de m’interrompre en plus… J’ai visé simplement la différence de la couleur politique et vestimentaire. Si vraiment il y a une ambiguité, je la lève tout de suite.
N’instrumentalisons pas ce genre d’incidents parce que je crois que ce n’est pas une bonne chose, ni pour la sérénité des débats, ni pour la cause que nous voulons défendre.
Applaudissements plus nourris à l’UMP. Jean-Vincent Placé n’aura finalement pas obtenu ce qu’il cherchait: des excuses. »
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