Intervention lors de la discussion de la proposition de loi au Sénat : « Notre pays vit une urgence sociale, sanitaire, climatique, environnementale, mais aussi éthique. Nos jeunes ne cessent de nous le rappeler. Engageons cette démarche vers un modèle respectueux du vivant. »
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Madame le Rapporteur
CherEs collègues,
Les pandémies questionnent à chaque fois notre rapport à l’animal, qu’il soit sauvage ou domestique, ainsi que notre modèle agricole et notre système de santé.
Ce n’est pas sans fierté que je vous présente en ce jour, au nom du Groupe écologiste – Solidarité et Territoires, une proposition de loi, qui répond à une prise de conscience grandissante quant aux conditions parfois déplorables d’élevage des animaux dans notre système agricole.
J’ajouterai, à titre liminaire, que ce texte a reçu le soutien de nombreuses associations de défense des droits des animaux, mais aussi l’assentiment de sénateurs et sénatrices membres de six groupes politiques différents – que je tiens à remercier. C’est dire la résonance globale de ce sujet dans notre société, au-delà des clivages partisans.
L’élevage intensif est vivement critiqué relativement au bien-être animal, à la qualité de la viande, ainsi qu’aux conditions de travail des professionnels et à son modèle.
En France, 80% des animaux sont dans des élevages intensifs. Cette proportion est particulièrement élevée pour les porcs (95%) et les volailles (80% des poulets de chair et 68% des poules pondeuses).
Ces animaux subissent dans des « fermes-usines » des traitements cruels et parfois intolérables. Ils se trouvent confinés, sans accès à des espaces de plein air, souvent dans des cages, ce qui entraîne chez eux des troubles comportementaux extrêmes.
Les élevages précités asphyxient en outre les productions locales, qui ont vu leur nombre baisser drastiquement ces dernières années. Ce sont alors les agriculteurs eux-mêmes qui pâtissent grandement de prix non rémunérateurs, associés à des conditions de travail difficiles, contribuant lourdement au mal-être du monde agricole.
C’est pourquoi à des fins de promotion d’un modèle d’agriculture paysanne favorisant une alimentation locale, respectueuse de la nature et soucieuse du bien-être de l’animal mais aussi de ses acteurs du monde paysan, il apparaît nécessaire d’accompagner ces derniers dans la transition vers un élevage et un abattage éthiques.
A cet égard, il convient particulièrement d’accompagner ceux qui dépendent aujourd’hui de l’élevage intensif, afin de leur permettre de faire évoluer leurs pratiques.
Selon un sondage IFOP de janvier 2021, 85% des Français se déclarent opposés à l’élevage intensif, signe que l’opinion publique est favorable à la mise en place de cette nécessaire transition. Cette évolution de l’opinion, nous la devons aussi au travail des lanceurs d’alertes et aux actions de certaines associations.
Au niveau européen, la directive 98/58/CE ayant trait à la protection des animaux dans les élevages pose les grands principes du bien-être chez les animaux domestiques de production pour les États membres concernant les bâtiments et infrastructures, la liberté de mouvement, l’alimentation, les mutilations, les maltraitances. Elle n’en détaille cependant pas la mise en œuvre et laisse aux États membres une large marge d’action.
La commission des affaires économiques du Sénat a rejeté cette PPL, se contentant de cette directive, qui en fait laisse la France l’appliquer à sa convenance. Je le regrette.
En termes de législation en la matière, la France accuse hélas un grand retard par rapport à nombre de ses voisins européens.
97% des animaux sont élevés hors cage en Autriche. En Suède, ce sont 92% des animaux qui sont élevés hors cage ; tandis que l’Allemagne obtient le quatrième meilleur score de la communauté avec un taux de 86%, suivi par les Pays-Bas et la Belgique, avec des taux respectifs de 83% et 69%.
La France, elle, n’arrive qu’en 17e position de ce classement avec un score de 25%, derrière la Roumanie, la Croatie et la Hongrie.
Nous devons instaurer en Europe un étiquetage alimentaire transparent, comprenant un descriptif clair du mode d’élevage, de sorte que le consommateur-citoyen puisse pleinement jouer son rôle dans la protection du bien-être animal, ainsi que de sa santé et de l’environnement – sans léser économiquement les agriculteurs qui doivent pouvoir résister à l’importation de pays qui ne suivent pas le même cahier de charges en termes de conditions sanitaires, de bien-être animal et de respect de l’environnement, par exemple par une taxation.
Les agriculteurs sont les premiers à pâtir de l’élevage industriel. Déjà au niveau économique, avec la réduction du nombre d’exploitations, avec la concentration entre les mains des plus puissants d’élevages toujours plus importants.
Quant au niveau éthique et moral, je le rappelle, les agriculteurs aiment leurs bêtes et voudraient s’assurer de pouvoir leur donner, autant que possible, « une bonne mort », sans souffrance.
Cette PPL, étant donné la relative brièveté du temps de débat qui lui est imparti, n’aborde pas la question de l’abattage en détails, tout en soulignant les vertus possibles, à cet égard, de l’abattage de proximité.
Son article 1er tend à garantir progressivement un accès extérieur et une surface par tête adaptés, en tenant compte des moments de vie de l’animal et des cas spécifiques, géographiques ou climatiques, comme les élevages en montagne, avec un moratoire jusqu’à 2040 avec une mise en place progressive des dispositifs d’accès au plein air et des seuils de densité maximale dès 2025.
L’article 2 limite la durée de transport des animaux à huit heures sur le territoire national dans des conditions assurant leur bien-être.
L’article 3 interdit l’élimination, sauf en cas d’épizootie, des poussins mâles et des canetons femelles vivants. Broyés, étouffés, gazés, les poussins mâles sont victimes d’un cauchemar industriel qui est hélas toujours une réalité en France.
L’Allemagne confirme sa position de pionnière dans la lutte contre le broyage et le gazage des poussins mâles et interdit à partir de 2022 cette pratique. Le projet de loi a été validé vendredi dernier par le Bundestag. Le « sexage in ovo » sera pratiqué en amont entre le 9e et le 14e jour pour déterminer le sexe des embryons. Parallèlement à cette méthode appelée Seleggt, existe une autre technique de « sexage in ovo », française, par « spectrophotométrie », mais encore inaboutie.
En France, on observe certes quelques timides avancées. Le ministère de l’Agriculture annonce l’interdiction de l’élimination des poussins pour fin 2021. Faut-il encore que cette promesse soit tenue. La filière des œufs annonce qu’elle ne sera pas prête pour cette date, mais se prépare timidement à se lancer dans le déploiement du « sexage in ovo ». Nous demandons, quant à nous, l’application dès janvier 2022.
Le passage à l’élevage éthique nécessite l’accompagnement financier des agriculteurs. Notre texte prévoit pour cette raison un fonds pour leur permettre de transformer leur activité et de se conformer au nouveau cadre juridique, y compris pour développer l’abattage de proximité. La puissance publique a un rôle crucial à jouer dans la transition écologique. Subventionner leurs investissements par des prêts à taux zéro ou garantis par l’Etat figurent parmi les quelques solutions envisageables. La transformation de l’élevage s’inscrit, ne l’oublions pas, dans une refonte de notre agriculture.
Notre pays vit une urgence sociale, sanitaire, climatique et environnementale. Il vit aussi dans une urgence éthique. Nos jeunes, défilant nombreux dans nos rues pour le climat, ne cessent de nous le rappeler. Il est donc primordial, mes cher.es Collègues, d’engager sans délai cette démarche vers un modèle respectueux du vivant.
Seul le prononcé fait foi.