Pourquoi le débat sur la circoncision qui a agité l’Allemagne ne s’est pas propagé en France (article de S. Lebars, Le Monde, 16-17 septembre 2012)

Le débat sur la circoncision qui agite depuis juin l’Allemagne, après qu’un tribunal fédéral a remis en cause le droit de circoncire un enfant pour des motifs religieux, ne s’est pas propagé à la France. Au grand soulagement des autorités juives et musulmanes. Mais, reconnaissent certains d’entre eux, « il suffirait d’une plainte » pour que la question ressurgisse.

Car la justice française a déjà été saisie de ce type d’affaires. Des plaintes, la plupart du temps soulevées par des couples dont les deux membres ne partagent pas la même religion, ont suscité une jurisprudence sur ce sujet. Selon le code civil, les atteintes à l’intégrité physique d’une personne, sans nécessité médicale, sont interdites. Un point central si, comme les juges allemands, l’on considère que la circoncision « modifie de manière durable et irréparable » le corps du petit garçon.

« Mutilation » ou non, la circoncision et les débats qu’elle soulève touchent aussi à la question sensible, et nouvelle, de l’équilibre entre le droit des parents et le droit des enfants. Prudent, le Conseil d’Etat, en 2004, a estimé que « cette pratique religieuse dépourvue de tout fondement légal » était « néanmoins admise ». Une approche qui, jusqu’à présent, a satisfait les croyants.

Rite « non négociable » pour le président du Consistoire, Joël Mergui, la circoncision est pratiquée par les juifs au huitième jour de vie ; elle symbolise « l’alliance avec Dieu » et signe l’entrée dans « une histoire, un peuple, une communauté ». Pratique préislamique, elle s’est aussi imposée comme « condition d’islamité » chez les musulmans, pour qui, selon la tradition le Prophète « est né circoncis ».

« Pour autant, tous les musulmans ne sont pas circoncis et on ne peut pas y voir une obligation d’ordre théologique », relève le spécialiste de l’islam, Malek Chebel, auteur d’une Histoire de la circoncision des origines à nos jours (Balland, 1992). « La circoncision est aussi répandue en Afrique, où elle relève encore d’un rite initiatique d’entrée dans l’âge adulte, et en Amérique du Nord où elle est pratiquée – mais en baisse – pour des raisons d’hygiène », explique-t-il encore.

« UN MARQUEUR CULTUREL »

Dans ce contexte, et malgré l’activisme de cercles anti-circoncision à travers le monde, M. Chebel ne pense pas qu’une interdiction, telle que l’a laissé entrevoir le jugement allemand, puisse s’imposer dans les opinions publiques. « Le rite de la circoncision est couvert par des siècles d’existence et pratiqué par tant de personnes qu’il y aurait un blocus. »

Néanmoins, le débat allemand, survenu dans le cas d’une famille musulmane, ne le surprend pas. « Il correspond à une évolution logique du rapport à l’intégrité physique des personnes et à une séparation accrue entre le temporel et le spirituel. »

Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, qui ont dirigé une Encyclopédie des religions (Pluriel, 2010), ne s’étonnent pas non plus qu’un tel sujet surgisse en Europe. Mais se disent « choqués » par la polémique qui met en cause « un acte fondateur, symbolisant avant tout une appartenance identitaire ». « Il s’agit d’un marqueur culturel, indépendant du degré de pratique religieuse. L’interdiction de la circoncision a toujours été liée à des persécutions. Les nazis baissaient les pantalons des enfants pour voir s’ils étaient circoncis. » Ils se demandent « si les juges allemands auraient prononcé les mêmes conclusions s’ils avaient eu affaire à une famille juive… »

Les chercheurs lient le débat sur la circoncision à un contexte plus général. « Parallèlement à une attirance pour les religions, on constate un rejet des coutumes religieuses ou inspirées de religions. Il y a une cristallisation sur les coutumes de l’islam, comme le voile ou l’abattage rituel, dont on oublie que certaines concernent aussi les juifs, observent-ils. Avec ce genre de débats, juifs et musulmans sont renvoyés à une sorte de barbarie, d’obscurantisme. »

Et de rappeler les propos de l’ancien premier ministre François Fillon, qui, avant de se rétracter, avait jugé que « les traditions ancestrales étaient appelées à s’adapter au monde moderne ». « Face à l’ignorance, il reste un grand travail de formation au fait religieux », estiment les deux chercheurs. Un travail qui ne suffira sans doute pas à clore le sujet, sur le plan juridique.

Stéphanie Le Bars