« Depuis que de grandes marques (Dolce et Gabbana, H&M, Uniqlo…) ont décidé de commercialiser des “burkinis” (maillot de bain couvrant tout le corps) et des hijabs (voile islamique couvrant les cheveux), les féministes n’en finissent plus de se diviser : s’agit-il d’une simple volonté marketing de répondre aux attentes d’une clientèle musulmane ? Ou ces initiatives constituent-elles une atteinte à l’émancipation des femmes ?
“Irresponsables“. Le mot est lâché mercredi 30 mars par la ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol au micro de RMC, à propos des enseignes ayant décidé de commercialiser des burkinis (maillot de bain intégral) et des hijabs (voile masquant les cheveux). Pour elle, nul doute que ces marques font “la promotion de l’enfermement du corps des femmes“. Et de s’appuyer sur le concept de “servitude volontaire” pour étayer son propos : “Il y a des femmes qui choisissent, il y avait aussi des nègres américains qui étaient pour l’esclavage“. Elle s’est, depuis, excusée d’avoir employé le mot “nègre”, sans pour autant revenir sur la pertinence de sa comparaison.
Une prise de position partagée par la philosophe féministe Elisabeth Badinter qui estime, dans un entretien publié dans Le Monde le 3 avril, qu’on ne peut pas porter le voile et défendre l’égalité femmes-hommes. “Elles oublient [les féministes islamiques] qu’en guise d’égalité, elles doivent rester à la maison, que l’héritage est divisé par deux dans les pays musulmans et la polygamie admise dans le Coran dont elles se réclament” déclare-t-elle, appelant au boycott des marques. La polémique est lancée et chacun y va de son avis : Pierre Bergé se dit “scandalisé“, Agnès B. appelle à “ne pas banaliser un vêtement qui n’est pas anodin pour l’image de la femme“, tandis que Geneviève de Fontenay ne voit, elle, “rien de provocant” dans ces hijabs qu’elle trouve par ailleurs “très classes”. […]
“Personne ne meurt de ne pas porter de rouge à lèvres ou de talons hauts”
Cet argument rejoint celui dit “de la mini jupe” ou “des talons hauts” : si des femmes revêtent des mini-jupes ou des talons (ou se maquillent le matin au réveil), alors même que ces vêtements et accessoires peuvent, sous un certain prisme, participer à une vision stéréotypée (et donc sexiste) de “la femme”, forcément artificialisée, sexualisée, réifiée, pourquoi d’autres ne pourraient-elles pas porter ce voile que d’aucuns perçoivent comme oppressif ? “Si Badinter estime que certains vêtements sont inacceptables, pourquoi ne s’en prend-elle pas aux talons aiguilles qui font souffrir les femmes et déforment leurs pieds ?, renchérit Rokhaya Diallo. Pourquoi ne demande-t-elle pas le boycott des régimes que l’écrivaine Léonora Miano qualifie de « burqa mentale des femmes occidentales », et qui poussent certaines femmes à s’affamer pour porter les vêtements vendus par ces mêmes marques ?”
C’est l’argument que développe Esther Benbassa, sénatrice EE-LV du Val-de-Marne et directrice d’études à l’EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes) à Paris, dans une tribune publiée sur le site de Libération.Elle y dénonce un “modèle de séduction imposé” qui “reste quasi inaccessible à la majorité d’entre nous”, mais qui contribue à un “enfermement du corps des femmes qui n’a rien à envier à celui que Mme Rossignol dénonce quand elle évoque certaines musulmanes.” “Mesurer le niveau d’émancipation des femmes au degré de raccourcissement de leurs jupes, il fallait y penser ! La nudité du corps des femmes comme outil de leur libération ?” fustige-t-elle.
A la différence près que ni la mini-jupe, ni les talons hauts ne rentrent dans le cadre d’une religion. Ce que ne manque pas de souligner Martine Storti : “Personne ne meurt de ne pas porter de rouge à lèvres ou de talons hauts. Vous n’êtes jamais obligées de les porter.” Est-ce à dire que le voile relèverait forcément d’une contrainte extérieure ? “Il faut faire une distinction entre le voile imposé dans certains pays musulmans et le voile en France. Il faut admettre que des femmes portent le voile en France par conviction religieuse, sans être forcées et sans avoir aucun lien avec des salafistes, rétorque Esther Benbassa. J’ai reçu plein de courriers suite à la publication de ma tribune venant de femmes qui m’expliquaient porter le voile par religion, ou pour des questions d’identité.” Pour elle, le voile relève d’une “sémiologie très complexe” :
“Beaucoup de jeunes femmes le portent pour revendiquer une identité, dans une société qui rejette souvent les musulmans, voire les arabes. Nous sommes aussi dans une société post moderne, il ne faut pas l’oublier ! Beaucoup de femmes qui portent le voile sont aussi en jean slim !”
Partir du principe que toutes les femmes voilées l’ont été sous la contrainte a un double effet pervers : celui de ne laisser aucun libre arbitre aux femmes musulmanes, et celui d’ériger les femmes non voilées en détentrices de la vérité. Cette idée de “servitude volontaire”- avancée par Laurence Rossignol – rejoint le mécanisme de victimisation des femmes : trop faibles (intellectuellement, physiquement), elles ne se rendraient plus compte de leur propre asservissement. “Je ne comprends pas que l’on n’accorde pas aux femmes musulmanes l’intelligence minimale qui leur permet de faire un choix réfléchi, s’insurge Rokhaya Diallo. Il est frappant de voir toutes ces féministes s’exprimer en lieu et place des premières concernées. Tout le monde semble mieux savoir que les femmes voilées ce qui est bon pour elles. C’est du paternalisme.” Pour Marcia, le voile n’est tout bonnement “pas le symbole du patriarcat de façon intrinsèque.” […] »
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