«Police ! Vos papiers ! Et voilà votre récépissé !»
Article de ALICE GERAUD paru le 11 avril 2012 dans Libération, mentionnant la proposition de loi déposée par Esther Benbassa visant à lutter contre le « contrôle au faciès ».
Alors qu’un dépôt de plaintes vise à dénoncer le contrôle au faciès, l’idée d’un «traçage» des interpellations gagne du terrain et soulève des questions.
Il suffirait d’un bout de papier ? Un simple récépissé que les policiers remettraient à chaque contrôle d’identité pour limiter les contrôles abusifs, et notamment les fameux contrôles au faciès. Contrôles devenus un point de crispation majeur entre une partie de la population et la police. En 2009, une étude menée à Paris par le CNRS (1) avait démontré que les personnes perçues comme noires ou arabes avaient six à huit fois plus de chances de se faire contrôler par la police que les personnes perçues comme blanches.
A l’automne, le collectif Stop le contrôle au faciès avait lancé une grande campagne pour sensibiliser à cette question. Dans le prolongement de cette campagne, ce collectif, l’association Open Society Justice Initiative (OSJI) et le Syndicat des avocats de France (SAF) soutiennent le dépôt aujourd’hui de quinze plaintes contre l’Etat pour discrimination. Quinze personnes qui n’avaient aucune raison objective d’être contrôlée par la police. Et qui ont pour seul point commun de ne pas être «blancs».
Matricule. Dans le même temps, l’idée du récépissé de contrôle, appelé encore «ticket» ou «reçu», prend corps à la faveur de la campagne présidentielle. A gauche, en tout cas. Eva Joly y est très favorable, la sénatrice verte Esther Benbassa avait déjà déposé à l’automne une proposition de loi en ce sens. François Hollande a intégré dans ses 35 priorités de début de mandat l’idée d’une «circulaire» pour lutter contre les contrôles au faciès. Il n’a pas manqué d’évoquer le sujet lors de ses récents déplacements en banlieue. Le principe de ces récépissés est simple : à chaque contrôle, le policier remet à la personne contrôlée une attestation stipulant a minima le lieu, l’heure et le motif du contrôle. Europe Ecologie propose également que soit stipulé le matricule de l’agent de police. Pour autant, de nombreuses questions demeurent quant aux modalités et à l’utilisation de ce bout de papier. Et la principale : que faire des souches de ces tickets ? Listing embarrassant de toutes les personnes ayant subi un contrôle de police. Le Parti socialiste a tranché cette question : oui au récépissé pour les personnes contrôlées, non à l’exploitation des statistiques sur les contrôles, quelles qu’elles soient. Pour le député Christophe Caresche, en charge de ces questions au PS, «le récépissé en lui-même sera un progrès, il va montrer aux policiers que ce contrôle d’identité, aujourd’hui banalisé, n’est pas un acte anodin».
Un certain nombre d’associations, dont le collectif Stop le contrôle au faciès, militent au contraire pour que cette matière soit utilisée comme outil de contrôle du travail de la police, et de ses éventuelles pratiques discriminatoires. En Angleterre, où le système des tickets est en place, ces données sont utilisées en interne pour évaluer le travail de la police. En matière de discriminations, mais aussi en terme d’efficacité pour mieux cibler les contrôles par zones. En France, les syndicats policiers y sont farouchement opposés. La loi française, qui interdit les statistiques ethniques, empêcherait de toute façon toute mesure de discrimination (alors qu’en Angleterre, les tickets stipulent l’appartenance ethnique des individus contrôlés).
«chiffre noir». Car, contrairement à une idée reçue, il faut un motif, ou une réquisition du procureur, pour procéder à un contrôle d’identité (article 78.2 du code de procédure pénale). Mais ces motifs sont trop larges pour empêcher les abus, d’autant que les policiers n’en rendent compte nulle part. Aujourd’hui, les contrôles ne laissent aucune trace. Maxime Cessieux, secrétaire général du syndicat des avocats de France, parle d’un «chiffre noir de contrôle d’identité» : «C’est le seul acte administratif qui ne soit pas motivé.» Pour Xavier Gadrat, du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), il faudrait aller «plus loin», «en limitant les contrôles d’identité aux contrôles judiciaires», pour éviter notamment «les chasses aux immigrés clandestins». Pour Reda Didi, président de l’association Graines de France, à l’initiative de l’appel récent «Pour une police de service public», la mise en place de ces récépissés constituerait «un point déterminant pour une police moins stigmatisante et plus efficace». Même si, comme l’explique Lana Hollo, d’OSJI, «sans volonté politique globale sur la lutte contre les discriminations, le ticket ne servira à rien». Il ne suffira donc pas d’un bout de papier.
Lire l’article sur le site de Libération
Lire également, sur ce sujet, la tribune de Didier Fassin publiée dans Le Monde daté du 12 avril 2012.
(1) «Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris» (Jobard, Lévy 2009).