L’avis favorable du Comité national d’éthique sur la PMA pour toutes fait déjà débat au Sénat. Si une majorité de sénateur LR y est opposée, une part non négligeable de la majorité sénatoriale pourrait défendre le principe. De quoi rendre un futur vote incertain.
C’est un débat de société qui va occuper les parlementaires dans les mois à venir. Et les Français. Le Comité national d’éthique (CNE), consulté après les états généraux de la bioéthique, a rendu notamment son avis ce mardi 25 septembre sur la question du recours à la Procréation médicalement assistée (PMA). Comme en 2017, il donne un avis positif pour ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules.
« Quand le monde change, il faut être capable de changer »
« Il faut accueillir cette nouvelle demande de procréation qui témoigne d’un monde qui change, peut-être plus vite que les lois, plus vite que nos positions éthiques et nos débats. Face à ces changements et pour respecter aussi les enfants issus de ces démarches, cette ouverture est importante », explique ce mardi François Ansermet, membre du comité consultatif du Comité national d’éthique. Il ajoute : « Quand le monde change, il faut être capable de changer ». Regardez (images d’Adrien Develay) :
La PMA pour toutes est une promesse d’Emmanuel Macron. Plus prudent après son élection, il attendait l’avis du CNE. Le gouvernement a prévu de présenter avant la fin de l’année un projet de loi sur le sujet. Il devrait être débattu début 2019.
La question risque de diviser le groupe LR
Comme lors du mariage pour tous, le sujet devrait diviser et cliver au sein même des familles politiques. Au Sénat, à majorité LR-UDI, la question sera sensible. Au sein du groupe LR, une majorité s’oppose à la PMA pour toutes, à commencer par Bruno Retailleau, le président du groupe. Il n’accueille pas vraiment bien l’avis du CNE. « C’est un pas de plus vers un process qui peut amener à la marchandisation et à la sélection des enfants » affirme à publicsenat.fr le sénateur de Vendée, à l’issue de la réunion de son groupe. Il craint une « perspective qui mènerait à la GPA », la gestation pour autrui.
En avril dernier, Bruno Retailleau avait co-signé, avec 107 sénateurs du groupe LR une tribune pour s’opposer à la PMA pour toutes. Elle était écrite par le président de la commission des lois, Philippe Bas. « Concevoir la vie sans père, si on se place du point de vue de l’enfant, cela posera la question de l’accès aux origines, qui est sensible. Pour l’enfant, il peut y avoir un manque, qui peut être surmonté bien sûr. On ne nie pas la capacité d’amour des adultes. Mais il peut aussi ne pas être surmonté » expliquait l’ancien ministre chargé de la Famille à publicsenat.fr, qui s’est illustré dernièrement sur la commission d’enquête Benalla. « C’est une lourde responsabilité de faire naître un enfant sans père » ajoutait Philippe Bas.
« Le contexte d’amour est primordial »
La question risque de diviser le groupe. 38 sénateurs LR n’ont pas signé le texte. Certains sont ouvertement défenseurs de la PMA, et depuis longtemps, comme Alain Milon, président LR de la commission des affaires sociales. « C’est une nécessité. A partir du moment où on autorise la PMA pour les couples hétérosexuels, il n’y a aucune raison qu’on mette en place une injustice pour les autres » affirme ce médecin de profession. « Bien évidemment, la plupart du temps, l’absence du père est le seul argument qu’on essaie de mettre en avant. Sauf qu’on a de plus en plus de familles monoparentales où le père est absent. Pour moi, ce n’est pas un argument valable à partir du moment où l’enfant est entouré d’amour et est bien élevé. Des fois, un père violent ou alcoolique, ce n’est pas mieux, c’est même pire ».
Marie Mercier, sénatrice LR de Saône-et-Loire, est aussi « plutôt favorable » à la PMA pour toutes. La question, à ses yeux, « ce n’est pas le droit à l’enfant, c’est le contexte dans lequel l’enfant est élevé. Pour moi, le contexte d’amour est primordial » explique la sénatrice, qui prend en compte « l’élément humain » et parle en tant que « femme, maman de trois filles et médecin. Ça ne peut pas être dissocié de (sa) pensée ».
« Diviser les Français encore sur un sujet qui touche au fond de l’âme »
Sophie Primas, présidente LR de la commission des affaires économiques, ne « sait pas encore » ce qu’elle votera. Elle connaît en revanche sa « ligne rouge » : « Pas de marchandisation du corps avec la GPA, qui pourrait venir au bout du process. On avait dit que le mariage pour tous ne mènerait pas à la PMA ». Mais elle est ouverte au débat. « Je regarde ça avec pragmatisme et humanité. Si on s’arrête à la PMA, j’aurai un regard interrogatif » dit-elle. Sophie Primas ajoute que « si c’est oui, il faut strictement l’encadrer pour éviter par exemple de choisir la couleur des yeux dans des catalogues. Il y a des sites étrangers avec des critères de choix. Ce n’est pas possible ». Autre crainte : « Diviser les Français encore sur un sujet qui touche au fond de l’âme » souligne la sénatrice LR des Yvelines.
Il faudra sonder l’âme des centristes pour avoir en partie la clef du rapport de force au Sénat. Indice d’une tendance : sur les 51 sénateurs du groupe, seuls 3 avaient signé la tribune avec les sénateurs LR. Mais le sujet n’a pas encore été débattu en réunion de groupe. Si le sénateur Modem Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur de la commission des affaires sociales, est « plutôt favorable » à la PMA pour toutes, tout en attendant « les arguments, car le débat n’est pas clos », d’autres ne sont pas chauds, comme Yves Detraigne. Le sénateur UDI de la Marne avait signé la tribune. L’idée de la PMA pour toutes lui paraît aujourd’hui « osée. Ça détricote la notion de famille traditionnelle ». Yves Detraigne ajoute :
« Il me semble que depuis la nuit des temps, le bébé apparaissait de l’union d’un homme et d’une femme. La famille traditionnelle a évolué, il y a différentes familles. Mais il ne faut quand même pas banaliser les situations qui sont des situations d’exception ».
Il faudra aussi connaître les positions au sein des groupes RDSE et des Indépendants. S’il est encore trop pour faire les décomptes, le vote du Sénat sur la question de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes pourrait bien se révéler serré, d’un côté ou de l’autre, et peut-être surprenant.
« Egalité d’accès »
A gauche, on trouve sans surprise des défenseurs de la PMA pour les couples de femmes. C’est le cas de la sénatrice PS Michelle Meunier, membre du comité national du CNE jusqu’en 2017. Elle met en avant « les grands fondamentaux que sont l’autonomie des femmes et l’égalité devant l’accès aux techniques, car la PMA est déjà autorisée aux couples hétérosexuels infertiles. C’est une question d’accès à l’égalité ». « A part les églises et les réactionnaires » qui s’opposent au sujet, elle souligne l’évolution de la société, s’appuyant sur un dernier sondage « disant que 60% des Français y sont favorables ». La socialiste « appelle Emmanuel Macron à tenir sa promesse ». Et regrette au passage que François Hollande ne l’ait pas fait. « Pour nous, socialistes, ça a été un rendez-vous manqué. On aurait pu aller plus loin après cette belle loi sur le mariage pour tous ».
Même satisfaction chez Esther Benbassa. La sénatrice EELV (membre du groupe communiste) avait déposé en 2014 une proposition de loi pour légaliser l’accès à toutes à la PMA. « Il est temps qu’en France on aboutisse à cette égalité, que la PMA soit ouverte à toutes les femmes, en couple ou seules. De nombreux pays l’ont fait » souligne-t-elle. « Nous sommes une société conservatrice qui ne veut que rien ne bouge » pense Esther Benbassa, mais « nous devons aller vers ces nouveaux modes de procréation qui font partie de notre société actuelle ». Le débat ne fait que commencer.
Sur la question, voir également le sujet d’Adrien Develay :
https://www.dailymotion.com/video/x6u7qa8