Par Mahaut Hermann
Les récentes prises de positions de José Bové et de Noël Mamère sur la PMA et la GPA ont surpris certains élus écologistes. Le début d’un nouveau débat à EELV ? Analyse.
L’affaire commence le 2 mars dernier. Interrogé par Éric Zemmour sur le plateau de Zemmour et Naulleau (Paris Première), José Bové affirme être opposé à toute forme de PMA (procréation médicalement assistée) et à la GPA (gestation pour autrui) et estime que c’est une question « globale », qui ne se pose pas que pour les couples homosexuels. Le 30 avril, il confirme cette opposition dans l’émission Face aux chrétiens (RCF, Radio Notre-Dame, KTO, La Croix). Les réactions indignées ne se font pas attendre, notamment celle, très vive, de la sénatrice EELV Esther Benbassa.
Coup de théâtre le 15 mai : Noël Mamère, pourtant connu pour ses opinions très libérales en matière sociétale, vient au secours de José Bové dans sa chronique hebdomadaire pour le site Reporterre. Il souligne que le débat soulevé par José Bové est « essentiel ». Certes, il prend ses distances avec ce qu’il appelle la « confusion regrettable » de son ami entre PMA, GPA et OGM et ne condamne ni la PMA ni son extension aux couples de femmes, auxquelles il est favorable. Mais il met en cause l’attitude du parti écologiste envers José Bové. Ses propos secouent.
Contacté par La Vie, Noël Mamère insiste. Sa tribune, explique-t-il, avait pour seul but d’inciter l’écologie française à s’emparer de la réflexion philosophique sur « l’artificialisation de la nature et sur l’autolimitation de l’homme », sujets qu’il qualifie de « tabous ». Et de rappeler son attachement à la pensée des critiques de la technique et précurseurs de l’écologie politique que sont Jacques Ellul, dont il est un disciple, et Bernard Charbonneau.
Une parole libérée
Il n’est pas le seul à souligner que toute réflexion éthique sur la PMA et la GPA est problématique au sein d’EELV. Thierry Jaccaud, rédacteur en chef de la revue L’Écologiste, qui ne dépend d’aucun parti politique, est un des premiers à avoir pris position publiquement contre le projet de loi Taubira. Pour lui, si le débat est désormais possible, c’est uniquement parce que EELV n’est plus au gouvernement. « Maintenant », confirme un de ses anciens membres, « les langues se délient et pas seulement celles des ténors du parti. » Tant que le gouvernement comportait un ministre issu des rangs du parti, ce dernier se devait de tenir ferme sur le mariage homosexuel, seul point d’accord entre le PS et EELV. Les réserves ne pouvaient être exprimées qu’en privé.
Pierre Minnaert, membre du conseil fédéral d’EELV, en sait quelque chose. Il fait partie des sept signataires de la tribune Du mariage pour tous à la procréation technicisée, parue le 27 février 2013 dans La Croix. Bien qu’il n’ait pas rédigé lui-même le texte, il a été en première ligne face aux attaques. Pour obtenir d’entendre autre chose qu’une accusation d’homophobie quand il exposait ses objections à la loi Taubira, il a dû menacer de révéler au grand jour l’absence de débat. Depuis, il estime que la chape de plomb a été levée et que le débat est désormais toléré au sein du parti, et diverge donc sur ce point de Noël Mamère et de Thierry Jaccaud.
Un sujet qui reste sensible
Tous ne sont bien sûr pas d’accord avec ces analyses. Des membres d’EELV favorables à la loi Taubira estiment que le débat est pollué par l’association entre opposition à la PMA et à la GPA et homophobie. Une association provoquée selon eux par le style militant d’opposants médiatiques au projet (la Manif pour tous, Alliance Vita). La sortie du gouvernement de Cécile Duflot a changé la donne, mais le sujet reste sensible.
Les débats sont, d’après Noël Mamère, accaparés par les commissions féministes et LGBT du parti, d’ailleurs pas toujours d’accord entre elles. « Noël Mamère vient courageusement décrire la réalité », estime Thierry Jaccaud. Le journaliste déplore « l’absence totale de réflexion de la part d’EELV qui s’en est remis à sa seule commission LGBT », alors que « les enjeux du mariage homosexuel, de la filiation, de l’eugénisme, touchent la vie de chaque citoyen et pas seulement d’une minorité ». Une minorité qui imposerait ses motions à l’ensemble du parti en profitant de ses statuts, qui ne prévoient pas que les motions soient votées à bulletin secret, mais à main levée.
Thierry Jaccaud estime par ailleurs que la première prise de position de José Bové est symptomatique. Alors qu’il s’était jusque-là autocensuré, le député européen EELV nouvellement réélu n’a pas abordé le sujet de sa propre initiative, il s’est contenté de répondre à une interpellation d’Éric Zemmour. Le journaliste Patrice de Plunkett considère pour sa part sur son blog que ceux qui sont tentés d’adopter une position contraire à celle des cadres du parti sont soumis à un« terrorisme intellectuel ». Dans ce contexte, souligne Pierre Minnaert, le député-maire de Bègles a l’immense avantage de ne pouvoir être taxé d’homophobie. On se souvient en effet qu’il a célébré illégalement un mariage homosexuel en 2004.
Un parti aux influences diverses
La virulence du (non)-débat tient aussi à la diversité des militants d’EELV. Beaucoup sont nés à l’écologie au contact d’Ellul et de son essai la Technique ou l’Enjeu du siècle (1954) et gardent un héritage culturel chrétien. Mais d’autres sont issus de l’extrême- gauche ou des milieux anarchistes, où les interrogations sur le rapport entre la vie, l’homme et la technique ne sont pas forcément au cœur de la culture politique. D’où un regroupement d’aspirations différentes ne procédant pas toutes de l’écologie et des interrogations sur la technique et le vivant, et des revendications se fondant sur des principes totalement opposés.
Reste une question cruciale. La tribune de Noël Mamère peut-elle être lue comme une attaque contre la direction d’EELV, avec qui il est en conflit ouvert depuis l’automne 2013 ? L’intéressé n’en dit mot. Mais une chose est certaine. Sa prise de parole s’inscrit dans un contexte d’hiatus grandissant entre la direction du parti et les adhérents. Certains analystes, comme Patrice de Plunkett, évoquent même une « révolte de la base du parti ». Beaucoup, en effet, ne considèrent pas la PMA et la GPA comme des sujets prioritaires et aimeraient un recentrage sur des thèmes plus directement écologiques (transition énergétique, sortie du nucléaire…).
L’agitation provoquée par les sorties de José Bové et de Noël Mamère a révélé au public un malaise interne. Au lendemain des élections européennes, plusieurs responsables – pas tous d’accord sur la PMA et la GPA – s’interrogent d’ailleurs sur la stratégie adoptée par les cadres du parti après les déclarations de José Bové. Fallait-il vraiment ramener le débat sur le devant de la scène en l’attaquant et prendre le risque de susciter les propos de Noël Mamère ? Après le net recul d’EELV au Parlement européen, la ligne politique de l’équipe dirigée par Emmanuelle Cosse est en tout cas plus que jamais sujette à discussion.
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