PJL Justice : Prises de parole et défenses d’amendement d’Esther Benbassa

Défense d’amendement à l’article 6 :

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e .s collègues,

Le présent article vise à la mise en œuvre d’une expérimentation de la déjudiciarisation des révisions des pensions alimentaires. Celles-ci seront désormais confiées à des organismes homologués au niveau des départements.

Nous contestons ce nouveau dispositif parce qu’il est injuste, mais également parce qu’il créerait une certaine confusion chez le justiciable.

Injuste, car dans le droit positif, les décisions de révision des pensions sont le fait du contentieux judiciaire, plus précisément du juge aux affaires familiales. Le dispositif actuel, bien qu’imparfait, permet l’évaluation in concreto des situations par le juge. Par un réexamen sur le fond des situations sociales et financières des deux parents ainsi que des besoins de l’enfant, on parvient à faire respecter au mieux l’intérêt supérieur de celui-ci.

Avec la déjudiciarisation des révisions des pensions proposées par le gouvernement, on entre dans l’ère de la non-individualisation des décisions. Confiées à un organe administratif, qui ne peut garantir l’impartialité et l’indépendance du juge aux affaires familiales, on peut craindre que les révisions ne fassent désormais l’objet d’une « barémisation ».

Enfin, comment expliquer rationnellement que le juge aux affaires familiales sera toujours compétent en matière des droits de visite, du placement des enfants et de leur hébergement, lorsqu’ils seront destitués des contentieux ayant trait à la pension alimentaire ?

Alors que ce texte se targue de procéder à une simplification de notre système judiciaire, ce dispositif va à l’encontre de cet objectif en le complexifiant par un procédé inique pour les familles, les plus instables et précaires.

Pour cette raison, nous demandons la suppression de cet article.

Je vous remercie.

 

Prise de parole à l’article 8 :

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

Le présent article vise à supprimer le contrôle a priori du juge des tutelles pour certains actes concernant les majeurs protégés, et à externaliser ce contrôle au profit des professionnels du chiffre et du droit.

Encore une fois, nous assistons à la déjudiciarisation d’un domaine du droit parmi les plus importants pour la Justice, celui du droit des majeurs protégés et du contrôle des mesures de protection judiciaire.

Alors que les magistrats estiment que ces types d’actes ne représentent pas une surcharge effective pour les juridictions, l’exécutif souhaite réaliser des économies en confiant le contrôle des comptes bancaires à des professionnels du chiffre et du droit.

Cette mesure tend à éloigner les majeurs protégés du contrôle du juge des tutelles, seul à même de protéger de manière impartiale et indépendante les majeurs,  sous protection judiciaire alors que les abus tutélaires sont régulièrement dénoncés.

Enfin, alors que la vérification des comptes par le directeur de greffe est aujourd’hui gratuite pour le majeur protégé, elle deviendrait payante en cas d’adoption du projet de loi et son coût serait mis à la charge de la personne protégée. Outre que pour les « professionnels du chiffre et du droit », l’ouverture de ce nouveau marché représente une manne de plus de 60 millions d’euros, cette disposition illustre la volonté du gouvernement de faire peser le coût de la carence de l’Etat sur les justiciables les plus fragiles, ce qui est inadmissible

Il est clair que ce dispositif n’est proposé que dans l’unique objectif de faire des économies.

Une nouvelle fois avec les dispositions de cet article, c’est l’accès à la justice des plus vulnérables qui est sciemment sacrifié.

Je vous remercie.

 

Défense d’amendement à l’article 27 :

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

Le présent article étend le recours à la géolocalisation et aux interceptions, par la voie des communications électroniques, aux enquêtes préliminaires et de flagrance sur les crimes et délits punis d’au moins 3 ans d’emprisonnement tel qu’il existe déjà en matière de criminalité et de délinquance organisées.

Cette mesure est une véritable atteinte au principe d’échelle des peines : en passant au seuil de 3 ans, de nombreux délits vont entrer sous le coup de ces dispositions, qui ne relevaient auparavant que de mesures d’exception destinées au crime. Le parquet pourrait effectuer des perquisitions, des écoutes téléphoniques pour des méfaits qui n’y avaient pas trait jusqu’ici.

Nous ne pouvons accepter la banalisation de mesures spéciales qui viennent régulièrement incorporer le droit commun ces dernières années.

Cette intégration dans le droit général est d’autant plus inquiétante qu’elle aboutit à une atteinte d’une exceptionnelle gravité aux libertés fondamentales. Nous nous devons de dénoncer les dangers liés à l’utilisation massive et sans garde-fous des dispositifs relevant des renseignements.

Le présent amendement tendra donc à encadrer cette pratique en incorporant dans l’article 27 le fait que le matériel collecté (écoutes, données de géolocalisation…) ne pourra  être produit devant le juge des libertés et de la détention pour justifier rétroactivement de l’intérêt de cette mesure. Si ce procédé est utilisé, il doit être limité à un intérêt préalable à son recours.

Je vous remercie.

Défense d’amendement à l’article 28 :

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

L’article 28 vise à étendre le recours à l’enquête sous pseudonyme, ou « cyber-infiltration ».

Ce dispositif existe déjà dans le droit pénal français mais est pour le moment limité à un usage destiné aux enquêtes en matière de criminalité et de délinquance organisées, soit pour des méfaits extrêmement graves, classant cette mesure dans le régime d’exception.

L’article initial du projet de loi était excessif, visant à généraliser cette mesure à toutes les enquêtes liées à un délit ou un crime entraînant une peine d’emprisonnement. Cette extension paraissait dangereuse dans la mesure où elle mettait fin au monopole de l’emploi de cette mesure par des services spécialisés, alors même qu’une telle technique d’enquête, équivalente à l’infiltration, ne saurait être efficace que si elle est réalisée par des personnels spécialement formés à la spécificité de la cybercriminalité et plus spécifiquement aux techniques d’infiltration numérique.

La commission des lois a assoupli le dispositif prévu par le texte par un amendement du rapporteur, ramenant l’extension de cette mesure aux infractions nécessitant une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement. La commission a également ajouté un contrôle accru des magistrats lorsqu’une enquête sous pseudonyme serait diligentée.

Mes cher.e.s collègues, nous notons évidemment les améliorations et apports venus modifier l’article 28.

Nous réprouvons simplement le recours même à ce type d’enquête qui porte atteinte au principe de la loyauté de la preuve.

Ainsi, le présent amendement tend à supprimer l’article 28.

Je vous remercie.

  

Défense d’amendement à l’article 29 :

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

Le présent article tend à unifier le régime juridique applicable aux techniques spéciales d’enquête de sonorisation, de captation d’images, de recueil des données techniques de connexion et de captation de données informatiques.

Dans sa version initiale, il ouvrait également la possibilité de recourir à ces techniques spéciales d’enquête pour les crimes et pas seulement pour les seules infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées.

Si la commission des lois est parvenue à revenir sur cette extension, l’article proposé par l’exécutif reste problématique, visant à incorporer dans le droit commun des dispositions qui jusqu’ici appartenaient au régime d’exception.

Si le présent article entrait en vigueur, les officiers de police judiciaire pourraient utiliser un appareil ou un mécanisme permettant la détection de conversations à distance ou la captation de données informatiques. Alors même que notre assemblée a récemment légiféré sur la question des données personnelles, il semble préjudiciable que nous portions une telle atteinte aux libertés fondamentales et au respect de la vie privée.

Pour cette raison, cet amendement demande la suppression de l’article 29.

Je vous remercie.

 

Défense de l’amendement tendant à créer un article additionnel après l’article 32 :

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

Le présent amendement vient ajouter un article permettant la présence de l’avocat lors de la perquisition.

Alors que sa présence  est prévue dans le code de procédure pénale pour les visites domiciliaires, un vide juridique subsiste quant à la possibilité pour celui-ci d’être présent lors de la perquisition pénale. Nous proposons ainsi de mettre fin à cette absence et aux incertitudes qui en résultent, notamment au regard de la législation européenne.

En effet, la directive 2013/48/UE de 2013 relative au droit du justiciable énonce qu’« avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire, les suspects ou les personnes poursuivis ont accès à un avocat sans retard indu ».

Au-delà de la mise en conformité avec le droit communautaire, la présence de l’avocat, auxiliaire de justice, est une mesure de bon sens, contribuant à la transparence et au bon déroulement de la perquisition. Elle ne saurait de ce fait être perçue comme une obstruction à la procédure pénale et judiciaire.

Permettant de prévenir toutes dérives au cours des perquisitions, la présence de l’avocat nous semble pertinente. Le présent amendement va en ce sens.

Je vous remercie.

 

Défense de l’amendement tendant à créer un article additionnel après l’article 33 :

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

Le présent amendement prévoit l’ajout d’un article additionnel venant renforcer le contradictoire dans le cadre de l’enquête préliminaire. Nous faisons en effet le constat d’un droit résiduel en matière d’information de l’avocat pendant la garde à vue.

Or, l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat, dès le moment de son placement en garde à vue.

Ainsi, il s’agit d’améliorer l’accès au dossier dès le début de la procédure, tant pour le prévenu que pour l’avocat.

Cet amendement vise tout d’abord à renforcer les droits de la défense dans l’enquête préliminaire, en imposant au parquet l’obligation d’adresser systématiquement, avant d’engager des poursuites, un avis à tous les mis en cause, leur signifiant la possibilité de consulter le dossier, d’émettre des demandes ou des observations, avant toute décision définitive du ministère public. De manière concrète, le procureur de la République devra aviser les parties d’une mise à disposition d’une copie de la procédure et de la possibilité de formuler des observations.

De surcroît, le présent amendement vise également à permettre à l’avocat, de pouvoir disposer d’un accès au dossier de la procédure dès la garde à vue de son client. S’il faut le rappeler, le droit d’accès de l’avocat aux pièces du dossier, est prévu par l’article 7 de la Directive 2012/13/UE du 22 mai 2012, dès lors qu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale.

Souhaitant aller vers un droit de la défense plus effectif et un contradictoire plus efficient, nous proposons un amendement dans ce sens.

Je vous remercie.

Prise de parole à l’article 37 :

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

L’article 37 du projet de loi qui fait l’objet de nos discussions prévoit notamment une amende forfaitaire pour usage de stupéfiant.

Présentée, il y a quelques mois par le gouvernement comme un premier pas vers la décriminalisation de l’usage des stupéfiants, qui viendrait remplacer les peines de prison auxquelles sont parfois condamnés certains consommateurs, l’article 37 en son alinéa 2 vient simplement renforcer l’arsenal pénal prévu pour sanctionner la prise de drogues.

Sur un tel sujet, le bon sens devrait primer. Plutôt que la répression, une véritable politique de santé publique et de prévention devrait être mise en place. Plutôt que d’enfermer les consommateurs victimes d’addictions, accompagnons-les !

Depuis plusieurs années maintenant, je milite pour la légalisation contrôlée du cannabis ainsi que  la décriminalisation des autres drogues comme l’héroïne, la cocaïne ou le crack, etc. . Nous ne saurions mettre tous les stupéfiants sur le même plan comme le fait notre droit. Le cannabis a déjà fait l’objet d’une légalisation contrôlée dans certains pays européens et états fédéraux américains, ainsi qu’au Canada aussi bien pour la consommation récréative et médicale. Malgré la répression accrue de la consommation du cannabis dans notre pays, le nombre d’utilisateurs augmente vertigineusement d’année en année. On aurait pu au moins espérer la dépénalisation du cannabis, ce qui est le cas dans la grande majorité des pays européens. L’amende délictuelle n’est nullement une dépénalisation, au contraire.  Quant aux autres stupéfiants, qui créent dans tous les cas la dépendance et nuisent fortement à la santé de leurs consommateurs, il est urgent d’accompagner ceux-ci.

Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait donné quelques gages en faveur de la légalisation du cannabis. Aujourd’hui, il rétropédale et traite la question aux antipodes de ses promesses antérieures.

Pourtant quel meilleur moyen de contrôler une consommation que de la rendre légale afin de la réguler et d’en prévenir les risques, tout en s’adonnant à la prévention en général et à l’accompagnement des addictés ?

C’est pourquoi nous enjoignons l’exécutif à mener une réflexion en la matière. Il est temps de poser avec courage et pragmatisme la question de la légalisation contrôlée du cannabis.

Je vous remercie.

 

Défense d’amendement sur l’article 37 :

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

Le présent article traite de l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants.

Cette mesure a été présentée par le ministre de l’Intérieur comme une réponse permettant de simplifier le travail des forces de l’ordre et de la justice et afin d’automatiser les peines en la matière.

Le principe d’individualisation de la peine est ici bafoué et la mesure octroie un pouvoir arbitraire aux forces de l’ordre, chargées d’appliquer la contravention. Ils pourront de ce fait sanctionner sans limites et au plus grand mépris des droits des personnes suspectées.

En plus d’augmenter les inégalités des citoyens devant la loi, cette mesure est dénuée de toute réflexion sur les questions relatives à la santé publique, pour ce qui a trait à la prévention et au traitement de l’addiction.

Le seul effet de l’amende sera d’aggraver par une sanction pécuniaire une situation souvent déjà précaire : nous savons que les comportements de consommation sont diversifiés et divergent entre les milieux paupérisés et les milieux mondains.

Ce dispositif, en plus d’accroître le millefeuille législatif en matière de répression de l’usage des stupéfiants, semble inefficace compte tenu de l’impossibilité juridique d’appliquer une amende forfaitaire délictuelle pour les mineurs. Elle sera donc dénuée de tout effet de dissuasion de la consommation chez les populations les plus jeunes.

Cette mesure, mes chers collègues, est rétrograde, c’est pourquoi nous demandons la suppression de l’alinéa 2 de l’article 35. Englobant tous les stupéfiants, il paraîtra répressif pour les uns et laxiste pour les autres.

Je vous remercie

 

Prise de parole à l’article 45

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

Le présent amendement vise à revenir sur la suppression du caractère systématique de l’aménagement des peines comprises entre un an et deux ans.

Alors que la surpopulation et l’insalubrité des locaux pénitentiaires transforment les établissements carcéraux en lieux de déshumanisation, le choix politique de la Garde des Sceaux a été de supprimer le caractère systématique de l’aménagement des courtes peines.

L’exécutif, par cette mesure, piétine plus de 20 ans en arrière par rapport aux réformes entreprises  en faveur de la réinsertion sociale des personnes condamnées. En effet, en privant les possibilités offertes aux juges d’adapter les peines au regard de la personnalité du condamné, le principe de l’individualisation des peines n’a plus lieu d’être pour les auteurs de délits mineurs.

L’exécutif souhaite mener une politique du tout carcéral, mais ce choix ne contribuera qu’à augmenter l’inflation du taux de surpopulation dans nos prisons.

Enfin, nous déplorons le silence du gouvernement face à  une réalité décriée par les criminologues et professionnels du droit : l’incarcération des courtes peines n’est d’aucune utilité sociale et favorise même la récidive.

Je vous remercie

 

Explication de vote sur l’amendement 46 rect. ter.

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes cher.e.s collègues,

Le droit fondamental de l’exercice du vote, garanti par la Constitution, est totalement occulté en milieu carcéral, alors que les personnes sous écrous jouissent de droits civiques.

Les  démarches administratives sont bien trop complexes pour que les prisonniers entreprennent une procédure.  Les seules alternatives possibles sont le vote par procuration et les permissions de sorties, qui ne sont jamais accordées pour ce motif et de ce fait, pour les quelques-uns qui formulent une demande, les contraintes matérielles d’organisation entraînent des refus.

Le contexte de l’incarcération représente bien un frein à l’exercice du droit de vote de la population carcérale. Comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans ses observations de 2017, seuls 2% des personnes détenues ont pu voter aux dernières élections.

Pourtant, permettre de voter au sein des prisons, c’est introduire davantage de « République » dans l’univers carcéral et ouvrir la voie à la réinsertion.. La Pologne et le Danemark ont pourtant su  implanter des bureaux de vote dans leurs prisons sans la moindre difficulté.

Ainsi,  souhaiton-nous saluer l’initiative présentée par le Gouvernement, même si le vote par correspondance ne permettra nullement de satisfaire la promesse formulée par Emmanuel Macron, qui s’était récemment engagé à ce que les détenus en France puissent exercer le droit de vote.

Il convient donc de faire appliquer de manière effective le droit électoral des détenus en leur offrant la possibilité de se rendre dans un bureau de vote organisé à cet effet au sein des établissements pénitentiaires.

Parce qu’un vote par correspondance ne remplacera jamais l’acte de mettre un bulletin dans l’urne, nous nous abstiendrons sur cet amendement.

Je vous remercie.