Jeudi soir, les deux principaux candidats à l’élection régionale en Île-de-France organisaient leur dernier meeting à Paris. La droite a tiré à boulets rouges ; la gauche, elle, essayait avant tout de donner forme à son rassemblement.
Devant quelques centaines de supporters bruyants, le placide Frédéric Péchenard s’enflamme. « La République, c’est Valérie Pécresse ! », s’écrie l’ancien patron de la police nationale sous les applaudissements du Cirque d’hiver… et de la présidente sortante de la région Île-de-France, candidate à sa réélection. Le symbole d’une soirée où tous les coups étaient permis, pendant que deux kilomètres plus loin, la gauche s’appliquait à mettre en scène son unité derrière le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) Julien Bayou, sa tête de liste.
Il a fallu à peine deux minutes pour que Nelly Garnier, élue (Les Républicains) du XIe arrondissement qui accueillait l’événement, plante le décor. « Ce qu’il se passe dans l’entre-deux-tours est grave, a-t-elle asséné. Ce soir, c’est le meeting de tous ceux qui veulent faire barrage à l’extrême gauche. Voter Bayou, c’est voter pour la gauche de la décroissance, du désordre et du communautarisme. La seule qui tiendra le cap de la République, c’est Valérie Pécresse. »
Ce sera la tonalité d’une soirée ponctuée par quelques intermèdes musicaux, des vidéos promouvant la politique de l’exécutif régional sortant et le soutien, à distance, de l’ancien ministre Luc Ferry. Et parsemée de discours catastrophistes à l’égard d’une gauche coupable de tous les maux. « Ils comptent mettre le feu à la région », a même lancé Yann Wehrling (Modem), ancien secrétaire national des Verts et candidat sur la liste de droite.
Grande gagnante à l’applaudimètre (devant Gérard Larcher, le président du Sénat), Rachida Dati a électrisé une foule dans laquelle se mêlaient des militants de tous les départements de la région – dont un certain nombre de jeunes, vêtus des tee-shirts blancs de la campagne à l’effigie de Valérie Pécresse. La maire (LR) du VIIe arrondissement y est allée elle aussi de son couplet contre « la gauche de la saleté, de “Stalincrack”, du chaos et de l’anarchie ».
Au gré des prises de parole, quelques marottes et des effets de manche, difficile de recenser le nombre de fois où les intervenants ont fait siffler Jean-Luc Mélenchon – qui n’apparaît pourtant pas sur la liste des régionales. Sur le fond, la soirée ressemble à un pot-pourri de polémiques et de raccourcis parfois grotesques : la décroissance, les sapins de Noël, la complaisance avec l’islamisme, Tariq Ramadan, la cancel culture, le woke, le Collectif contre l’islamophobie en France, les réunions racisées, l’écologie punitive…
Autre salle, autre ambiance. À quelques stations de métro de là, au même moment, c’est un meeting en petit comité qui se tient à La Bellevilloise (Paris XXe) : seulement 200 personnes autorisées dans la jauge. Les Verts ne sont de toute façon pas de grands aficionados de ce genre de raouts. D’autant qu’il a fallu faire vite : cinq petits jours pour fusionner les trois listes, lancer une nouvelle campagne, et tenter d’aller chercher cette dizaine de points qui manquent pour le 27 juin…
À gauche, la fierté de l’union
La salle, chamarrée et plutôt bien mise, est à l’image de l’affiche de ce deuxième tour à gauche. On y croise les écologistes Esther Benbassa et Sandrine Rousseau, les Insoumis Raquel Garrido et Éric Coquerel, les anciens macronistes Émilie Cariou et Aurélien Taché, les socialistes Rachid Temal et Mathieu Hanotin… Manquaient les communistes, tous sur le pont dans le Val-de-Marne qu’ils tentent de sauver face à la droite.
À la tribune, le trio réunifié tape fort sur Valérie Pécresse, la « candidate de la honte » et du « trumpisme à la française », selon Clémentine Autain, qui rappelle que la région est à la fois la plus riche et la plus inégalitaire de France. « Madame Pécresse, nous ne pratiquons pas l’apartheid social, nous ne faisons pas la course avec l’extrême droite ! Non, Madame Pécresse, nous n’avons jamais manifesté comme vous [avec la Manif pour tous – ndlr] pour que certains aient moins de droits que d’autres ! », tonne de son côté Audrey Pulvar, aussi applaudie que sa désormais camarade de La France insoumise (LFI).
Julien Bayou, lui, tente plutôt de susciter l’espoir : « Six bulletins supplémentaires dans chaque bureau de vote, et nous pourrons enfin tourner la page Pécresse ! » Puis : « C’est autour de l’écologie et de la justice sociale que nous allons reconstruire la gauche. »
L’union de la gauche et des écologistes a irrigué toutes les prises de parole : « On nous disait irréconciliables, nous voici réunis comme jamais » (Bayou), « Ce n’est pas une alliance de circonstance mais un rassemblement de fond, avec un contenu politique qui tient la route » (Autain), « Quand on lui parle d’une offre politique de gauche qui n’a pas peur de se revendiquer comme telle, le peuple de gauche répond présent » (Pulvar). Au micro, la socialiste a toutefois longuement insisté sur la nécessité de rendre les transports gratuits (sa mesure phare de premier tour, revue à la baisse dans l’accord programmatique), provoquant un léger malaise dans la salle.Valérie Pécresse était accompagnée, entre autres, de Gérard Larcher et Rachida Dati. © IRDe projet, il a en revanche finalement été peu question au Cirque d’hiver. Deux vidéos sur le programme en matière de culture et de sport, un passage sur l’écologie signé Yann Wehrling et un cap esquissé par Valérie Pécresse en matière de transports… Là n’était pas le sujet de ce meeting « pour la République ». Il s’agissait pour l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy de galvaniser ses troupes et de les convaincre que, non, la victoire n’était pas encore acquise.
« Nous avons la dynamique avec nous mais attention !, a-t-elle alerté. Ne croyez, ne lisez aucun sondage. Cette élection va se jouer sur un fil. » Fini, donc, le clivage gauche-droite – au moins pour cette semaine. Valérie Pécresse s’est acharnée à éclipser la quadrangulaire pour en faire un « duel » entre « Monsieur Bayou » et elle, entre « la gauche qui a perdu sa boussole » et le camp des Républicains.
La présidente sortante du conseil régional a même réussi la prouesse de faire applaudir – sans les nommer –Manuel Valls et Jean-Paul Huchon, son prédecesseur socialiste (1998-2015), qui avaient appelé plus tôt dans la journée à voter pour elle. « Nous avons eu un mouvement de soutien de personnes inattendues, a-t-elle souri au début de son discours. Ils veulent que la République gagne, il faut les applaudir aussi. »
C’est là le cœur de la stratégie de second tour de l’élue yvelinoise. Jouer la carte des républicains des deux rives face au spectre rouge ; un front républicain inversé et assumé comme tel. D’ordinaire très critique contre le gouvernement, Valérie Pécresse avait cette fois en tête de séduire les 11,8 % de votants qui ont fait confiance à Laurent Saint-Martin (LREM). « Je demande aux Franciliens de se lever contre l’extrême gauche radicale, a-t-elle lancé. J’appelle tous les républicains sincères à ne pas disperser leurs voix et à choisir le seul vote utile pour la République. »
Ni Hidalgo ni Mélenchon, mais bientôt Jospin
Du côté des socialistes engagés dans la campagne de second tour, on a tenté, quoique assez mollement, de dégoupiller la « grenade » Huchon. Jérôme Guedj, secrétaire à la laïcité du parti à la rose et deuxième de la liste en Essonne, s’est fendu d’un texte pour regretter « la diabolisation à l’excès (sic) » faite à son camp. Ce proche du Printemps républicain a appelé à voter pour la liste unie quand bien même il y aurait des « désaccords » sur certains sujets.
Julien Bayou a également reçu le soutien de Lionel Jospin qu’il rencontrera ce vendredi matin, ou d’Anne Hidalgo qui, dès le début de la semaine, a adoubé publiquement la coalition, alors qu’il y a quelques mois encore, elle s’interrogeait sur les « ambiguïtés » de LFI, mais aussi des Verts, vis-à-vis de la République…
Reste que, contrairement à Jérôme Guedj, la maire de Paris n’a pas daigné passer une tête à La Bellevilloise. Résultat, un meeting sans chefs de parti (hormis Julien Bayou) ou présidentiables, Jean-Luc Mélenchon, jugé « radioactif », n’étant pas spécialement invité, quand Yannick Jadot avait préféré, ce jeudi, se rendre à Nantes pour aller soutenir Matthieu Orphelin…
Dans les couloirs de La Bellevilloise, on s’interroge sur les chances réelles de l’emporter au second tour. Il y a les optimistes : « À droite, ils ont peur qu’on fasse un “Bordeaux bis” », plaide-t-on dans l’entourage de Julien Bayou, en référence aux sondages des municipales qui, l’an dernier, donnaient Nicolas Florian (LR) 10 points devant Pierre Hurmic (EELV)… lequel gagnera finalement la bataille. Les participants espèrent aussi que la dynamique unitaire mobilisera les électeurs qui ne se sont pas mobilisés au premier tour.
Les moins optimistes : « Le problème, c’est que Pécresse ratisse ses bastions : elle va à Chambourcy qui est très à droite et mobilise ceux qui n’ont pas été voter au 1er tour… Or, de notre côté, l’abstentionnisme est beaucoup moins facile à contrer, car il est plus structurel », observe Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération.s. Et puis, les pessimistes : « L’union, c’est nécessaire, et je suis à fond derrière Julien, mais j’ai peur que ça ne soit pas suffisant », glisse le député Insoumis Alexis Corbière, lequel regardera avec attention si l’union a fait augmenter, ou non, le nombre de voix entre les deux tours.
Chez Pécresse, malgré l’humilité affichée, les discours sentent bon la victoire. « Honnêtement, il n’y a pas photo avec l’union de la gauche lamentable qu’il y a en face, entre des gens qui n’ont rien à voir entre eux, estime Francis, un militant LR du coin. Les gens voient bien ce qu’elle a fait et comment elle a géré cette région et son budget. » Un colistier de la présidente se montre confiant : « On a un matelas suffisamment confortable pour penser que ça va le faire. » Pour Valérie Pécresse, l’enjeu dépasse la région : il s’agit de faire le score le plus haut possible pour ne pas souffrir de la comparaison avec Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez, deux rivaux à droite dans la course à l’Élysée.
2022, Claire Lejeune y pense aussi. La candidate EELV dans l’Essonne espère que l’union de la gauche francilienne, même perdante, sèmera quelques cailloux dans l’optique de la présidentielle. « Il est possible qu’il ait manqué un peu de temps pour installer cette campagne d’union de second tour, dit-elle. Mais même si on perd, ce rassemblement existe, et il ne va pas disparaître. Les gens nous demanderont : “Si vous avez réussi à vous rassembler pour la région, pourquoi n’y arriveriez-vous pas en 2022 ?” » Le début d’une autre histoire.
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