Pour l’écologiste Sandrine Rousseau, la légalisation permettrait une « véritable politique de santé publique ». Othman Nasrou, vice-président (Les Républicains) de la région Ile-de-France, juge qu’elle ne pourrait rien contre les trafics qui « gangrènent nos quartiers ».
Pour la santé publique, pour les quartiers défavorisés, pour les finances de l’Etat, il faut légaliser la consommation de cannabis, soutiennent 31 sénateurs de gauche dans une tribune publiée par Le Monde mercredi 10 août, précisant qu’ils entendent déposer une proposition de loi en ce sens.
Dans ce texte, les élus soutiennent que « la répression engagée dans le cadre de la prohibition est inefficace, inefficiente et injuste. Elle ne permet pas de protéger nos jeunes des dégâts sur leur santé d’une consommation incontrôlée. Elle maintient certains quartiers dans une dépendance très forte aux trafics, qui se traduit par une insécurité et une violence insupportables pour les habitants. Elle mobilise des moyens conséquents pour un résultat en définitive quasi nul ».
Ils rejettent l’hypothèse de la dépénalisation, « caractérisée par un maintien de l’interdiction avec une suppression des peines encourues », voyant là « un renoncement des pouvoirs publics qui s’amputeraient eux-mêmes des moyens d’agir ».
En revanche, à leurs yeux, « la légalisation permettrait de contrôler la qualité sanitaire des produits consommés. Elle servirait également à freiner grandement les trafics au bénéfice de ces zones sinistrées. La légalisation doit enfin être un choc social pour libérer les populations qui pâtissent des lieux de deal ». Enfin, ajoutent-ils, « à terme, de nouvelles recettes fiscales devraient être tirées du commerce du cannabis, et des économies réalisées en matière de justice et de police ».
« On s’attaque au bout de la chaîne »
A gauche, l’initiative de ces sénateurs a été applaudie par Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, qui n’a pas signé leur tribune. « J’avais déposé un texte en ce sens en 2014, débattu en 2015. Alors, le groupe socialiste du Sénat avait voté contre, comme l’UMP », a-t-elle rappelé sur Twitter, se disant « heureuse de voir le cercle de la raison s’élargir ».
Invitée de RMC jeudi 11 août, Sandrine Rousseau s’est également dite favorable à la proposition de loi prévue par les sénateurs socialistes. « Je soutiendrai cette idée, notamment parce qu’aujourd’hui le cannabis est sources des pires trafics, et qu’il fournit toute une économie secondaire avec des trafics internationaux, et la légalisation permet de lutter contre ces trafics de manière bien plus efficace », a jugé la députée écologiste de Paris.
« Aujourd’hui on s’attaque aux consommateurs, au bout de la chaîne », a-t-elle poursuivi, considérant que la légalisation permettrait « d’avoir une véritable politique de santé publique, de vérifier à qui l’on vend, et ce que l’on vend. Dans bien des régions en France, et notamment dans les régions frontalières, les produits vendus sont coupés avec d’autres produits extrêmement nocifs pour la santé, qui créent des dépendances extrêmement rapides ».
« Imposer la loi des délinquants »
Au contraire, à droite, Othman Nasrou, vice-président (Les Républicains) de la région Ile-de-France, a dénoncé l’initiative des sénateurs de gauche. « Je veux redire mon opposition totale à cette idée. J’ai vu à Trappes [Yvelines] comment les trafics gangrènent nos quartiers », a-t-il dénoncé sur Twitter, renvoyant à sa tribune publiée par L’Opinion en janvier 2021. « Il est vrai que la bataille contre le trafic de drogue est, pour le moment, largement perdue », reconnaît-il dans ce texte, mais « changer les lois de la République faute d’être en mesure de les faire respecter, c’est en réalité imposer la loi des délinquants à tous ».
Ces derniers « vont-ils tout à coup quitter l’économie souterraine et se reconvertir dans la vente légale, qui sera nécessairement moins rémunératrice ? Avec la légalisation, le cannabis vendu dans les quartiers viendra toujours de la contrebande, il sera moins cher et d’autres substances plus dangereuses monteront en puissance », juge aussi M. Nasrou. Il appelle au renforcement de la réponse policière et pénale, mais aussi à des mesures pour l’insertion, car « l’alternative proposée à nos jeunes ne peut pas être uniquement un choix entre l’argent facile de la drogue et un marché du travail qui semble inaccessible ».
Récemment, certains maires de droite se sont dits en faveur de la légalisation, comme Arnaud Robinet, à Reims (Marne), ou Boris Ravignon, à Charleville-Mézières. Face à une opinion très partagée et un tabou qui a sauté à l’international – l’Uruguay, le Canada et une quinzaine d’Etats américains autorisent l’usage récréatif du cannabis –, la classe politique s’interroge, tous partis confondus. L’exécutif, lui, reste rétif : le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, est farouchement opposé à la légalisation du cannabis, et a fait de la lutte contre les trafics une de ses priorités, avec le soutien d’Emmanuel Macron.
Au début de l’année 2019, près d’un Français sur deux (45 %) se disait favorable à une légalisation, selon une enquête de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives.