Octroi symbolique du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers le 24 juin. En attendant le vrai ! (Mediapart, 21 juin 2013)

Généreuse, la République se doit de donner de nouveaux moyens d’expression à ceux qui prennent part, au quotidien, à la vie de la Cité, qui contribuent à ses ressources, et qui respectent ses lois. Terre d’accueil, la France se doit de tenir compte des racines créées, par-delà la nationalité, par ceux qui y vivent depuis des années, parfois depuis des décennies.

L’extension du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non européens concernerait environ 2,3 millions d’étrangers, dont 1,8 million résidant en France depuis plus de cinq ans. En 1981, François Mitterrand, alors candidat à l’élection présidentielle, la proposait déjà. En 2012, François Hollande, à son tour candidat, a repris cet engagement à son compte. Il en a fait sa 50e promesse électorale. Cette promesse doit être tenue. Sans délai.

A quoi sert le droit de vote ?

L’instauration de ce nouveau droit aurait en outre des effets positifs sur la participation électorale des enfants français de ces « étrangers », ces fameux « deuxième génération », ces « issus de », qu’on ne cesse de renvoyer à leur ascendance immigrée. Jusqu’à présent, ils ne votent pas ou trop peu. Ils auraient désormais l’exemple de leurs parents.

Un tel appel à la participation démocratique, s’il était nettement formulé, favoriserait l’ouverture. Il casserait les réflexes de repli, de fermeture, qui font, précisément, ce communautarisme dont, le plus souvent pour de mauvaises raisons, on agite si facilement l’épouvantail.

Nos « étrangers » n’ont d’étranger que le nom, puisqu’ils ne souhaitent plus retourner dans leur pays d’origine. Ils ont fait le choix de rester chez nous. La nationalité française n’est pas la seule clé de la citoyenneté. On peut se sentir « de France », participer pleinement à un destin – certains, optimistes, diraient à un rêve – français, sans être, au sens strict, de nationalité française. Et d’ailleurs, après le droit de vote, ne seraient-ils pas tentés, nos « étrangers », de faire un pas de plus, vers une citoyenneté pleine et entière?

Les limites du vote des étrangers

Cette avancée serait d’ailleurs modeste : les étrangers qui accéderaient à ce nouveau droit ne pourraient pas exercer de fonctions exécutives au sein d’un conseil municipal et les conseillers municipaux étrangers élus ne pourraient pas participer à l’élection des sénateurs. Elle n’en permettrait pas moins de mettre un terme à des asymétries choquantes entre les étrangers non européens, qui sont parfois résidents de longue date sur le sol français, et les étrangers communautaires, disposant eux, sans condition de durée de résidence, du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales.

Ce droit, adopté en 2000 à l’Assemblée nationale, a été voté par le Sénat le 8 décembre 2011, un peu plus de deux mois après son basculement à gauche, le 25 septembre 2011. Ces prises de position parlementaires s’inscrivent dans le sillage des appels lancés régulièrement depuis les années 1980 par des associations antiracistes institutionnalisées, tels la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ou le Mouvement contre le racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), et de la mise en place, dans de nombreuses municipalités, de dispositifs d’association des résidents étrangers à la vie locale. Des vœux ont également été régulièrement adoptés, en faveur du droit de vote et d’éligibilité des étrangers dans les conseils municipaux, généraux et régionaux, dès 2001. Et des référendums locaux ont enfin été organisés, autorisant la participation des ressortissants étrangers. Sans oublier l’inscription de ce droit dans le programme de plusieurs partis de gauche.

Que pense la droite du droit de vote des étrangers ?

A partir des années 2000, la droite elle-même s’était ralliée à cette idée. Petit catalogue non exhaustif :

  • Nicolas Sarkozy : « J’avoue ne pas être outrageusement choqué par la perspective de voir des étrangers, y compris non communautaires, voter pour les scrutins cantonaux et municipaux. À compter du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois, où ils vivent sur notre territoire depuis un temps minimum, par exemple de cinq années, je ne vois pas au nom de quelle logique nous pourrions les empêcher de donner une appréciation sur la façon dont est organisé leur cadre de vie quotidien » (Libre, Paris, Fixot-Robert Laffont, 2001, p. 214). « […] je crois que c’est un facteur d’intégration » (interview, 30 octobre 2005).
  • Eric Besson : « Vouloir priver des étrangers qui travaillent, vivent, font vivre, et payent leurs impôts, de toute forme de citoyenneté et de toute participation à notre vie démocratique, n’a d’autre sens qu’une ségrégation » (Pour la Nation, 2010, p. 65).  « Étendre le droit de vote aux élections locales aux ressortissants des pays qui furent colonisés par la France, qui sont des pays francophones, qui ont appartenu à notre République, et qui sont aussi ceux qui entretiennent avec elle les liens les plus profonds et anciens, constituerait un signal fort du maintien de cette grande tradition républicaine d’accueil et d’intégration » (ibid., p. 67-68).
  • Gilles de Robien : « Je voudrais, mes chers collègues, appeler votre attention sur le fait que nous sommes dans le dernier peloton des pays européens à devoir encore accorder le droit de vote aux résidents étrangers […] Le vote municipal des étrangers est-il une atteinte à la souveraineté nationale ? Évidemment non, car la souveraineté est confiée […] au Gouvernement et au Parlement, et non aux municipalités » (AN- 2e séance du 3 mai 2000. Vote des étrangers).
  • Jean-Pierre Raffarin : « Un authentique décentralisateur ne peut pas être opposé à un débat sur le droit de vote aux élections municipales pour les étrangers résidant depuis plusieurs années dans une commune. Ce pourrait être un signe de la France à leur endroit » (Pour une nouvelle gouvernance, 2001).
  • « Donc, vous voyez, c’est simplement oser l’audace et l’imagination. » (Interview de Brice Hortefeux, à France-Info, le 26 octobre 2006).

Comment, une fois n’est pas coutume, n’être pas pleinement en accord avec Brice Hortefeux lui-même ? Hélas, aujourd’hui, cette même droite, au nom d’une citoyenneté qu’elle juge indissociable de la nationalité, trahit ces prises de position courageuses.

Nationalité et citoyenneté

Et pourtant, les concepts de nationalité et de citoyenneté apparaissent, au début de la Révolution, comme distincts. Il n’était pas nécessaire, alors, d’être Français pour pouvoir participer à l’exercice de la citoyenneté que représentait le vote. Et l’article 4 de Constitution de l’an I disposait que pouvait être admis à l’exercice des droits de citoyen français « tout étranger qui sera[it] jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité ». De l’humanité, pas de la nation.

Mais bientôt, les guerres menées par les États étrangers contre la jeune République et les luttes politiques entre Girondins et Montagnards s’accompagnent d’une montée de la xénophobie et de la suspicion. Ainsi sont progressivement durcies, puis remises en cause, les conditions édictées en 1793 de participation des étrangers au droit de vote.

Peu à peu s’imposent le caractère exclusivement national de la citoyenneté, l’idée selon laquelle les droits associés à la citoyenneté sont fondés sur l’appartenance de l’individu qui en jouit à une communauté politique nationale incarnée par l’État-nation. Le XIXe siècle est celui de la montée des nationalismes où la nationalité apparaît comme le critère, du moins le principal, sinon le premier, de la citoyenneté, ainsi que le reflète la Constitution du 4 novembre 1848, dont l’article 25 dispose que « sont électeurs, sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt-et-un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques. »

C’est le Traité de Maastricht, en 1992, qui permettra à la France de renouer avec son ancienne tradition d’ouverture. Un traité qui non seulement autorise les citoyens ressortissants des États-membres de l’Union européenne à voter aux élections locales et européennes dans leur pays de résidence, mais qui distingue, aussi, la nationalité de la citoyenneté. Ce « statut fondamental » des ressortissants de l’Union crée ce que l’on peut appeler une citoyenneté européenne, parallèlement à la souveraineté nationale.

La ratification du Traité de Maastricht nécessitait une modification de la Constitution, opérée par la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, laquelle a introduit un nouvel article 88-3 dans la Constitution. Selon cet article, « sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l’Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs…»

Pourquoi accorder le droit de vote et d’éligibilité aux étrangers ?

Rappelons que la Constitution a été modifiée à plusieurs reprises pour réaliser des réformes considérées comme fondamentales et décisives : droit de vote des femmes, abolition de la peine de mort, parité femmes-hommes, etc. C’est la volonté politique qui a permis ces avancées. Et aujourd’hui, il est temps que nous ayons cette volonté pour ajouter une nouvelle page à l’histoire de notre pays. Et rendre par là-même indirectement hommage à ces étrangers ou fils d’étrangers qui contribuèrent à sa gloire. Nous avons eu et nous aurons besoin de ces étrangers. Ayons l’audace de le dire en posant un acte fort. Ayons l’audace de miser sur cette ouverture, promesse de richesse.

De nombreux arguments militent en faveur de l’ouverture du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne. J’en vois quatre principaux :

  1. La nécessité de reconnaître l’existence d’une citoyenneté plurielle, conséquence de la pérennité de l’établissement de certains étrangers sur le sol français. Cette pérennité est indéniablement source d’implication dans la vie collective à l’échelle locale. Parallèlement à la nationalité, existent des citoyennetés multiples, multiples comme le sont nos identités aujourd’hui. La citoyenneté de résidence devrait s’accompagner d’une citoyenneté civique, parallèlement à la nationalité des natifs ou des naturalisés.
  2. L’équité, qui impose de ne pas traiter différemment deux catégories d’étrangers, ceux issus des états membres de l’Union européenne et ceux issus des pays tiers ; comment justifier en effet de permettre aux premiers de voter en France quand ils n’y sont établis que depuis quelques mois, tandis que les seconds restent exclus de toute participation à la vie civique, même lorsqu’ils résident chez nous depuis plusieurs décennies ?
  3. La volonté de renforcer la portée de la démocratie.
  4. Enfin, la garantie de la dignité des personnes concernées par ce nouveau droit.

À cela s’ajoute le fait que l’octroi de ce droit répond aux aspirations profondes de ceux qui en seront bénéficiaires.

Un octroi symbolique au nom de l’égalité et de l’unité

Les Français, de leur côté, ne s’y opposent pas, un tout récent sondage montrant au contraire que 54% d’entre eux y sont aujourd’hui effectivement favorables. De fait, cette réforme peut réunir, par-delà les clivages politiques traditionnels, une large majorité de citoyens et de citoyennes attachés à une extension et à un affermissement du champ de notre pratique démocratique.

Le 16 mai dernier, le Président Hollande s’est engagé, lors de sa conférence de presse, à présenter un texte au Parlement après les élections municipales de 2014. Certes, étant donné son caractère constitutionnel, cette loi pour être adoptée requiert la réunion du Congrès et le vote positif des 3/5 des députés et sénateurs qui y siègent. Il va de soi qu’un long travail de persuasion auprès des parlementaires de différentes sensibilités sera nécessaire avant ce vote solennel. Une tâche  qui demande également beaucoup d’énergie. Mais il n’est sans doute pas impossible de réunir les 30 à 40 voix qui risquent de manquer.

En attendant, dans un esprit d’unité, et parce que nous appelons de nos vœux la mise en œuvre de ce projet généreux et parfaitement conforme à l’esprit de notre tradition républicaine, Sergio Coronado, député EELV des Français de l’étranger, et moi-même, vous proposons de venir en débattre, le 24 juin, à 16h00, au Palais du Luxembourg, salle Clemenceau, 15 ter rue de Vaugirard, Paris.

Députés, sénateurs, eurodéputés, élus municipaux, conseillers régionaux, conseillers généraux concernés, militants associatifs, nous nous réunirons ainsi en une sorte de « congrès ». Toutes les sensibilités politiques sont évidemment les bienvenues. A l’issue de nos échanges, nous procèderons à un vote qui, pour symbolique qu’il sera, n’en revêtira pas moins une réelle solennité.

Esther Benbassa, sénatrice EE-LV du Val-de-Marne

Inscription gratuite mais obligatoire. Ecrire à e.benbassa@senat.fr ou appeler le 01.42.34.27.42