« Il y a un retour à certaines valeurs religieuses, un retour à un Etat juif »
« Israël est une société militarisée, une société machiste, où la violence est omniprésente », estime la sociologue Esther Benbassa, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études (Ephe) à Paris. Elle y enseigne l’histoire du judaïsme moderne. Elle est, depuis 2011, sénatrice (Europe Ecologie Les Verts) en France.
Dans quel état se trouve la société israélienne alors qu’une crise économique sévit ?
Il y a un retour à la religion, très strict, radical. On le sentait depuis un moment. Le dernier vote a montré que le sionisme est un vestige du passé et que le camp de gauche est complètement désespéré. Il va falloir supporter quatre ans Netanyahou. Il n’y a pas de crise économique mais il y a une grande pauvreté qui touche une bonne partie de la société israélienne. Il y a un vrai écart entre les riches et les pauvres. J’ai grandi en Israël et on allait à l’opéra en short. Il y avait une classe moyenne, plus aujourd’hui.
Pourquoi la société n’arrive-t-elle pas à se défaire de la droite ?
Les guerres successives ou plutôt la peur de la guerre a été un élément unificateur, rassembleur. C’est une société qui n’est jamais sortie de la guerre. Une société qui vit dans le tout sécuritaire, dans la mythologie aussi. Donc, si on ne se bat pas, si on ne se serre pas les coudes, on va revenir aux frontières d’Auschwitz et les Arabes vont nous expulser d’Israël. La société israélienne, la partie venue des terres d’islam desquelles elle a été expulsée, nourrit beaucoup de rancœur par rapport à son passé qu’elle projette sur les Palestiniens.
Diriez-vous qu’il y a un repli identitaire ?
Je ne parlerais pas de repli identitaire. En Israël, ça ne fonctionne pas comme en Europe. Il y a un retour à la tradition, à certaines valeurs religieuses, un retour à un Etat juif. J’entends des gens endoctrinés par les extrémistes religieux, qui ne veulent pas donner un centimètre de leur terre biblique et qui veulent tuer les Arabes parce que la bible dit qu’il faut tuer les enfants d’Ismaël. Vous entendez ça chez des gens un peu éduqués, pas de professeurs d’université. C’est un discours raciste. Netanyahou a fait campagne sur un non à l’Etat palestinien : cela a rassuré les extrémistes religieux.
Les gens ont besoin de trouver une légitimation religieuse de leur peur.
Il y a de cela aussi. Il y a un retour aux traditions, un éloignement du sionisme qui était au départ laïc et socialiste. Plus le sionisme s’éloigne, plus il y a un retour au religieux. Et en même temps plus on s’approche de la religion, plus on s’éloigne du sionisme. Maintenant, c’est la realpolitik : chacun pour soi. Ceux qui n’arrivent pas à vivre dans une société pareille, ils retournent à un judaïsme strict avec une fermeture totale : les laïcs vivent à Tel Aviv, les religieux vivent entre eux à Jérusalem. Si vous n’êtes pas religieux, vous n’avez pas envie de vivre dans cette ville qui est devenue une sorte de ghetto comme au XVIIIe siècle en Pologne. Bon, à côté de cela, il y a des jeunes qui s’amusent, des grands restaurants… Jérusalem est une ville où la religion pèse de tout son poids. Quand le shabbat arrive, il n’y a plus personne dans les rues le vendredi à trois heures. Dans ce climat, (la présence de) l’arabe, (du) laïc est même impensable.
Il y a eu des propos haineux dans la campagne, des agressions contre des artistes en raison de leurs positions de gauche. Cette violence se généralise ?
C’est une société militarisée, une société machiste, de soldats. La violence est très courante sur les femmes. Je ne parle pas des intellectuels qui vivent au nord de Tel Aviv, qui enseignent dans les universités ou qui ont des fonctions importantes. La violence est omniprésente. On la ressent même quand on conduit. Le retour au religieux s’accompagne du rejet de l’arabe, qui ne fait que nourrir l’antisémitisme de l’autre côté. Ce va-et-vient tue le vivre ensemble. L’harmonie n’est plus possible. Quand on pense de l’universalisme des juifs. Aujourd’hui il y a une fermeture. Les intellectuels sont mal vus, ils sont considérés comme des ennemis des religieux, ou comme des traîtres s’ils se prononcent pour un Etat palestinien. Cette couche intellectuelle, ce clan de la paix est fatigué. »
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