Monsieur Valls, demandez donc une note sur la conférence d’Evian de 1938 sur les réfugiés juifs! (Huffington Post, 18 mai 2015)

Le projet de loi de réforme de l’asile, nous étions nombreux à en espérer beaucoup.

Qui peut rester insensible aux drames humains qui, ces dernières semaines, se jouent devant nos portes ? Qui peut encore parler froidement de « chiffres de l’immigration », de « contrôle des flux migratoires », quand des milliers de migrants se noient en Méditerranée ? Qui peut refuser son empathie à ces centaines de milliers d’adultes et d’enfants fuyant chaque année la guerre, la terreur, les catastrophes climatiques, et que nous accueillons si peu, si mal ?

Notre débat sur l’asile se doit de s’élever au-dessus de la politique politicienne. Il exige d’abord de reconnaître l’intolérable détresse de ces êtres qui s’exilent parce qu’ils ont pris des risques, que menacent des régimes dictatoriaux, et qui font si souvent honneur au courage humain. La confusion commode entre immigration et asile a hélas vite pris le dessus, au mépris d’un texte qui devrait d’abord permettre à la France d’accueillir les demandeurs d’asile dans de meilleures conditions et lui éviter de répéter les erreurs du passé, comme ce fut le cas avec les Juifs allemands et autrichiens.

Le primat des principes

Rappelons les grands principes gouvernant le droit d’asile. Si la protection que nous leur devons découle de la Convention de Genève sur les réfugiés du 28 juillet 1951, elle est également pour nous, Français, une exigence nationale – constitutionnelle, aussi bien en vertu du 4e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 que de l’article 53-1 de la Constitution de 1958.

Pour le Conseil constitutionnel, le droit d’asile est un « droit fondamental », un « principe de valeur constitutionnelle ». Il ne saurait donc être soumis aux vicissitudes de nos politiques de l’immigration. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) dans son avis du 20 novembre 2014, affirme ainsi à raison que « réduire la question de l’asile à un problème de gestion des flux ou de réduction des coûts est inacceptable. »

Un rendez-vous législatif manqué ?

Gardons-nous donc de priver de sens nos débats en instrumentalisant les chiffres, en ne parlant que « gros sous ». La droite, au Sénat, a déjà tenté de jouer du rapport d’étape de la Cour des Comptes, dont des extraits sont parus à point dans Le Figaro, présentant la politique d’asile comme extraordinairement coûteuse et en faisant « la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France ».

Et revenons à d’autres chiffres, eux tout à fait publics, transparents, et montrant bien que la France n’est plus tout à fait la terre d’asile qu’elle s’enorgueillissait d’être.

Juste un exemple : sur les 122 800 Syriens ayant demandé l’asile dans l’Union Européenne en 2014, seuls 2 084 l’ont fait en France. Au contraire de l’Allemagne et de l’Italie, qui ont connu une augmentation, respectivement, de 60 % et de 143 %, notre pays est l’un des seuls en Europe à connaître une diminution de la demande d’asile. Je ne sache pas que cette diminution tienne à une amélioration de la situation géopolitique mondiale… Nous sommes bien loin d’accueillir « toute la misère du monde »!

Le texte initial sur le droit d’asile, encore amélioré par l’Assemblée nationale, comportait des avancées notables comme celle demandant que soit consacré le droit au maintien sur le territoire français, que l’effet suspensif des voies de recours soit étendu, qu’un juge spécialisé de l’asile soit maintenu et que le demandeur puisse être mieux accompagné lors de son entretien devant l’OFPRA.

Malheureusement, si les modifications suggérées par la majorité sénatoriale venaient à être adoptées, ce texte, loin de mieux garantir des droits et libertés fondamentaux des demandeurs d’asile, tournerait au bouclier sécuritaire, sacrifiant les plus fragiles à une obsession anti-immigration.

Un espoir européen trompé

Et pourtant, le 13 mai, après le stérile sommet européen du 23 avril où les chefs d’État des 28 avaient répondu au drame des migrants en Méditerranée par le triplement du budget pour protéger les côtes, la Commission de Bruxelles semblait avoir ouvert une petite brèche. En ne se contentant pas de demander de repousser les migrants, mais en proposant aux Etats membres de se partager équitablement ces réfugiés, conformément à un simple principe de solidarité, de sorte à éviter que le flux des arrivées ne touche pas surtout les pays de débarquement, soit Malte, l’Italie et la Grèce.

L’Europe accueillerait ainsi 20 000 réfugiés répondant à la définition de ce statut et les répartirait entre les États selon des critères incluant le PIB, la population, le chômage et le nombre de demandes d’asile. En vertu de ce calcul, la France aurait à accueillir quelque 2 370 demandeurs d’asile, pour une population d’environ 66 millions de personnes, ce que personne n’oserait présenter comme un « danger ».

Il serait également question d’instituer des quotas d’accueil par pays lors d’importants afflux de migrants, comme c’est le cas actuellement. La France devrait pour sa part accueillir environ 14,7% d’entre eux.

Les dents n’ont pas manqué de grincer. La Grande-Bretagne s’est opposée aux quotas au prétexte de vouloir plutôt s’occuper de la lutte contre les trafiquants d’êtres humains – comme si l’un pouvait empêcher l’autre ! François Hollande a lui aussi marqué son hostilité à un tel dispositif, son Premier ministre Manuel Valls se faisant son porte-parole samedi à Menton (alors même, joli désordre, que le lundi précédent, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, avait jugé normale, sur RTL, une telle répartition).

La boussole de M. Valls regarde à droite

M. Valls s’est déclaré « contre l’instauration de quotas de migrants », invoquant le fait que « cela n’a jamais correspondu aux positions françaises ». Remontant à 2012, il a néanmoins cru bon de préciser que depuis cette date la France avait accueilli 5 000 Syriens et 4 500 Irakiens. Pas de quoi spécialement s’enorgueillir, pourtant, quand on sait que 4 millions de personnes ont fui la Syrie et que la Turquie à elle seule en a accueilli environ 2 millions, sans oublier le Liban, avec un million, et la Jordanie.

Il est évident que le gouvernement de la France, sauf à décevoir une fois de plus ses électeurs de gauche, ne peut pas définir et mener sa politique d’asile en n’ayant rien d’autre à l’esprit que les diktats d’une droite et une extrême droite pour lesquelles « la lutte contre l’immigration » est devenue un véritable substitut de programme politique.

Qu’un tel discours soit tenu alors même que le nombre des demandeurs d’asile a baissé de 2,4% en 2014 est tristement symptomatique. Ce ne sont pas l’humanisme et la gravité de la situation qui servent de boussole à notre exécutif.

Le précédent d’Évian en 1938

M. Valls a raison, en un sens, d’affirmer que se soumettre à des quotas de migrants n’a jamais fait partie des positions françaises. Preuve en est l’attitude de la France lors de la Conférence d’Évian qui réunit en juillet 1938 les délégations de 32 pays d’Europe et d’Amérique et 34 organisations non gouvernementales pour chercher une solution globale à la question des réfugiés juifs allemands et autrichiens.

En dépit du caractère désespéré de la situation de ces derniers, après la promulgation des lois raciales allemandes et l’annexion de l’Autriche par les nazis, les représentants des délégations gouvernementales, tout en affirmant leur implication dans le règlement du problème des réfugiés, se retranchèrent derrière des considérations économiques et politiques pour refuser de les accueillir. Hormis les Etats-Unis, avec 27 000 immigrants par an, chiffre en vigueur depuis 1924, et la République dominicaine, proposant d’en d’accepter 10 000 par an sur deux ans, tous les autres États, nonobstant la tenue d’un discours politiquement correct, eurent d’abord à cœur de défendre des intérêts protectionnistes et nationalistes.

Henry Bérenger, chef de la délégation française, qui présidait la Conférence, réaffirma la détermination du gouvernement français à aider les réfugiés, rappelant le zèle de son pays à soutenir les causes humanitaires, mais exprima la crainte que les ressources ne fussent épuisées. La Grande-Bretagne, quant à elle, mit son taux de chômage en avant…

Retrouver l’honneur perdu

L’histoire ne se répète pas, assurément. Certains discours ne se font pas moins étrangement écho. Et le ni-ni de notre Premier Ministre, manifestement gêné aux entournures, n’est pas sans rappeler certains propos tenus lors de la Conférence d’Evian de 1938. On connaît la suite de l’histoire de ces Juifs allemands et autrichiens, abandonnés à leurs bourreaux.

Un gouvernement de gauche a-t-il le droit de s’esquiver ainsi pour plaire aux Estrosi, Ciotti et compagnie, bafouant la juste cause de ces réfugiés fuyant par milliers la Syrie et échouant sur nos côtes ? Retrouvons l’honneur, M. le Premier ministre, et cessons de trahir nos idéaux.

C’est cela, faire de la politique, la vraie !

 

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