Discussion générale du Mercredi 20 février 2013
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes ChèrEs collègues,
A 8000 kilomètres de notre Assemblée, se trouve un département français, petit morceau de France coincé entre l’Afrique et Madagascar, qui constitue aujourd’hui un des plus grands défis de notre République.
Ils ont longtemps rêvé, les Mahoraises et Mahorais, de cette République, et c’est ainsi qu’ils se sont prononcés, le 29 mars 2009, à 95,2 %, pour la départementalisation de leur territoire.
Le 31 mars 2011, Mayotte devenait le 101ème départe-ment français et le 5e département d’Outre-mer.
Cette départementalisation devait, avec le temps, sortir l’île de Mayotte du régime d’exception et la faire entrer dans le droit commun.
Le chemin de l’égalité entre Mayotte et la métropole, il faut le reconnaître, est encore long. C’est à raison que nos compatriotes mahorais exigent que l’article 1er de la Constitution prenne tout son sens pour eux : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
En mars 2012, vous vous rendiez, Monsieur le Président de la Commission des Lois, en compagnie des sénateurs Cointat et Desplan, dans ce tout nouveau département.
Vous constatiez, dans le riche et instructif rapport d’information rendu en juillet 2012, les nombreux défis lancés à la République par nos compatriotes mahoraises et mahorais. Vous constatiez, comme le font depuis de nombreuses années les associations qui se battent sur le terrain, qu’il y a urgence à agir.
L’un des enjeux dont il importe de se saisir – et c’est ce-lui auquel je m’attacherai aujourd’hui – est celui de l’immigration à Mayotte et, à travers lui, celui du respect des droits et de la dignité des personnes immigrées.
En effet, l’application du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’a pas été rendue obligatoire par la départementalisation de Mayotte.
C’est donc un régime d’exception qui y est en vigueur, celui de l’ordonnance du 26 avril 2000.
Dans ce cadre, les recours contre les décisions d’éloignement ne sont pas suspensifs et les étrangers, venant en majorité des Comores voisines, peuvent être reconduits dans des délais très courts et sans qu’un juge ait pu s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux.
C’est d’ailleurs cette absence de recours suspensif qui a conduit la Cour européenne des droits de l’homme à condamner la France en décembre dernier. Il s’agissait certes en l’espèce d’un ressortissant brésilien en Guyane. Mais le raisonnement peut, sans le moindre doute, être transposé à Mayotte.
Les témoignages de reconduites expéditives vers les Comores sont nombreux et pour le moins choquants dans un pays comme le nôtre, qui clame si continûment son attachement aux droits de l’Homme.
Certains argueront que, si les recours venaient à sus-pendre l’éloignement, les centres de rétention adminis-trative ne seraient plus en mesure d’« accueillir » tous les étrangers en situation irrégulière présents sur le terri-toire.
Il ne me semble pourtant pas que l’enfermement soit une solution acceptable aux problèmes liés à l’immigration clandestine à Mayotte. Ni que le manque de places dans les centres de rétention puisse justifier le non-respect des dispositions de la Convention euro-péenne de sauvegarde des droits de l’Homme, requé-rant le droit à un recours effectif et le droit au respect de la vie privée et familiale.
Je veux ici citer notre Ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui affirme, s’agissant de l’Outre-mer que, « si ces territoires relèvent de l’Etat de droit, il ne peut y avoir de dérogations qui, sous couvert d’adaptation à la situation locale, sont en réalité des dispositions restrictives de liberté. Il n’est pas concevable de transiger sur les principes démocratiques de la citoyenneté pleine et entière, qu’il s’agisse du respect des niveaux de juridictions, des possibilités de recours… »
Au contraire, c’est une politique de coopération, fondée sur des rapports plus équitables et une liberté de circulation accrue, qui permettra de soulager la pression migratoire dont souffrent Mayotte et les autres départements d’Outre-mer.
La mise en place de cette politique est urgente et elle seule pourra mettre fin aux tragédies des kwassas kwassas, petites embarcations surpeuplées qu’empruntent des Comoriens désespérés pour arriver à Mayotte, qui ont transformé le canal du Mozambique en un véritable cimetière marin.
Il est donc impératif, comme le précise le rapport dont nous débattons en ce moment, de passer sans délai des accords bilatéraux entre la France et les Comores dans le domaine de l’immigration.
Le régime d’exception appliqué dans le traitement de l’immigration ainsi que la pauvreté de nos concitoyens mahorais ont également fait de Mayotte une véritable « bombe à retardement sanitaire ». C’est le constat que fait Médecins du Monde depuis plusieurs années, qui dénonce un système de santé performant mais dont trop d’habitants sont exclus. Mayotte affiche, en effet, le taux inacceptable de 7% de malnutrition infantile.
Il n’est plus possible de fermer les yeux sur cet état de choses.
Il ne s’agit pas, ici, d’établir la liste exhaustive des défis qu’il reste à relever à Mayotte. Cela va de la lutte contre la vie chère à l’augmentation du RSA mahorais à au moins 50% du RSA national rapidement, en passant par la construction de 600 classes supplémentaires dans les écoles primaires d’ici à 2017, par les garanties à apporter au droit d’asile, par le renforcement de la sécurité publique.
Ces défis sont nombreux et demandent un investisse-ment sans faille de notre République. C’est bien là la réponse qu’exige votre rapport, Monsieur le Président de la Commission des Lois. A chacun de prendre conscience de l’urgence à agir et de prendre rapidement, pour ce qui le concerne, les mesures qui s’imposent.
« Sommes-nous des Français à part entière ou des Français entièrement à part ? », se demandait Aimé Césaire. Les Mahoraises et les Mahorais pourraient se poser cette question dans les mêmes termes, eux aussi enfants mal-servis de la Nation. Les pouvoirs publics métropolitains, par leur programme à plusieurs volets en vue d’améliorer la situation à Mayotte, sont seuls en me-sure de donner à ses habitants la meilleure réponse possible. Il n’est plus temps d’attendre.