« Monsieur le Président, Mesdames les Ministres,
Monsieur le Président de la Commission des Lois,
Monsieur le Rapporteur, Mes ChèrEs collègues,
Permettez-moi, pour cette explication de vote, de ne pas reprendre ici les arguments déjà développés par beaucoup en faveur de l’adoption de ce projet de loi. Permettez-moi de ne pas céder non plus, en cet instant solennel, aux séductions de la polémique, et de ne pas répondre, une nième fois, aux arguments du camp adverse. Je souhaite seulement donner à mon intervention un peu de chair, d’esprit, un peu de cette simple humanité qui a parfois manqué à nos débats. Et vous raconter une histoire.
Il y a 30 ans, au début des années 1980, donc, alors professeure dans l’enseignement secondaire, j’ai rencontré, dans le fonds d’archives où je préparais ma thèse d’Etat, un jeune doctorant américain. Par le plus pur des hasards, nous travaillions sur des sujets connexes et exploitions souvent les mêmes sources. Il avait l’aisance et le brio de ces étudiants des grandes universités de la côte Est. Et je l’enviais un peu, bien sûr. A force de travailler côte à côte, nous finîmes par devenir amis.
Un soir d’hiver, après une longue après-midi passée en bibliothèque, sortant tous deux du métro Châtelet, voilà qu’il me prend par la manche et me fait entrer, presque de force, dans le premier bistrot qu’il trouve. Pour me dire quelque chose. Pour me dire qu’il est gay. Et pour me dire sa peur panique que cet aveu mette brutalement fin à notre déjà riche amitié. Je n’oublierai jamais son émotion et aussi quelque chose qui ressemblait, chez lui, à de la honte. Je n’oublierai jamais l’expression sombre, anxieuse, de son visage.
Je suis peu perméable aux préjugés. Ce n’est pas de la vertu, le fruit, plutôt, d’une histoire. Je fus donc stupéfaite. Non de l’aveu, mais de l’angoisse profonde qui s’exprimait avec lui. Ma réponse fut simple, sans doute naïve. Je ne comprenais tout bonnement pas pourquoi il se mettait dans un tel état. Son homosexualité ne me gênait pas. Je le prenais et l’aimais tel qu’il était. Il me raconta alors sa vie en parallèle, les humiliations au quotidien, sa peur que d’autres apprennent son secret.
Nous sommes restés amis, bien sûr. Aujourd’hui, l’étudiant d’hier, devenu un éminent professeur, assume son identité en toute simplicité. Quand je prononçais ici même mon intervention lors de la discussion générale, c’est à lui que je pensais. A son visage d’alors, tourmenté par l’aveu. Mon émotion, si vous l’avez perçue, c’est de là qu’elle venait. Pas de la perspective des débats qui s’annonçaient. Lui me suivait par vidéo interposée. Nous étions fiers, je crois, l’un de l’autre.
C’est donc pour lui, et parce qu’il m’a tant appris, c’est pour tous ces gays et toutes ces lesbiennes qui ont, à un moment de leur vie, tant souffert de ne pouvoir simplement dire leur homosexualité, c’est pour tous ceux et toutes celles qui n’exigent que la banalisation de leur condition, qui n’exigent que l’égalité, et donc la possibilité de se marier et de fonder une famille, c’est pour eux, pour elles, et pour la grandeur de notre démocratie, que je voterai, avec le groupe écologiste unanime, ce beau projet de loi. Et que je continuerai à me battre.
Pardonnez, cherEs collègues, la tonalité inédite de cette explication de vote. Vous savez bien que je n’en suis pas à mon premier péché sénatorial. J’assume celui-là comme les autres ».