Tribune. Ici, un apprenti migrant soutenu par un boulanger en grève de la faim pour appuyer sa demande de titre de séjour. Là, un jeune poète migrant menacé d’expulsion accompagné par un collectif de soutien citoyen. Là encore, douze élèves d’un même lycée professionnel pour lesquels un collectif de « Patrons solidaires » et d’enseignants s’est mobilisé… Les exemples sont multiples de ces jeunes, soutenus par des institutions et collectifs, qui se voient délivrer, par l’État, une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) à leur majorité.
Ces jeunes, femmes et hommes, sont arrivés en France comme mineurs non accompagnés. Certains ont été reconnus mineurs et sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance dans la construction d’un parcours de vie, dans leur scolarisation et leur formation professionnelle grâce, notamment, à des dispositifs spécifiques pour élèves allophones.
D’autres n’ont pas été reconnus mineurs. Certains de ces jeunes ont introduit un recours contre ce refus et sont en attente d’une décision de justice. Ils peuvent, au cours de cette période de recours, compter sur un puissant réseau de solidarité citoyenne qui pourvoit, autant que faire se peut, à leur hébergement et les inscrit dans des établissements d’enseignement et de formation, notamment privés. Certains, en revanche, ont quitté les radars de l’administration et des dispositifs de solidarité citoyenne et se débrouillent comme ils peuvent.
Qu’ils soient reconnus mineurs ou qu’ils soient en recours, ces jeunes sont, dans la grande majorité des cas, accompagnés et en situation de formation professionnelle et d’apprentissage. Assidus, sérieux, travailleurs, attentifs, ils obtiennent pour nombre d’entre eux leur diplôme avec succès. Cette qualification leur permet de signer un contrat de travail avec des entreprises et patrons prêts à les accueillir, notamment dans des secteurs d’activité qui ont du mal à recruter.
Immense gâchis
Seulement, lorsque ces jeunes atteignent l’âge de la majorité et introduisent une demande de titre de séjour, l’administration française le leur refuse et leur délivre une OQTF, au motif, notamment, d’une erreur dans les documents d’état civil. Ainsi, l’Etat français leur envoie un message d’une grande violence. Car après avoir été accueillis, accompagnés, scolarisés, formés et diplômés les voilà exclus du fait de leur majorité. Cette situation est un immense gâchis qui affecte les individus et la collectivité dans son ensemble.
Au plan pratique, la situation est une impasse. Car il ne faut pas se leurrer, ces jeunes ne quitteront pas le territoire français
L’énergie et l’argent dépensés par les pouvoirs publics et la solidarité citoyenne pour accompagner ces jeunes n’aura servi à rien. Au plan personnel, le camouflet est brutal. On refuse un avenir à des jeunes qui ont pourtant répondu à toutes les attentes de la société d’accueil tant en termes d’apprentissage et de scolarisation que du point de vue de l’intégration sociale et professionnelle.
Au plan pratique, la situation est une impasse. Car il ne faut pas se leurrer, ces jeunes ne quitteront pas le territoire français, ni volontairement, parce que leur vie est désormais ici, ni de manière forcée, parce que l’État n’en éloignera que très peu, voire aucun. Ils seront donc condamnés à vivre aux franges de la société. Sans soutien ni accompagnement, le monde de l’informel et de ses dérives – peur, errance, exploitation, réseaux, travail au noir… – sera un danger permanent auquel certains n’échapperont pas. Au regard de la cohésion sociale, enfin, ce gâchis pose une question de sens, celui d’une société qui rejette des jeunes qu’elle a accompagnés et bien souvent acceptés, même de façon imparfaite.
Appliquer la règle avec bon sens
En tant qu’élus de collectivités locales, nous sommes alertés et suivons ces situations, qu’elles soient médiatisées ou non. Si nous cherchons dans le cadre de nos pouvoirs et de nos moyens à accompagner ces jeunes au quotidien, la solution relève de la compétence de l’État. C’est bien ce dernier qui refuse de délivrer un titre de séjour et obère toute perspective d’intégration durable de ces jeunes en France. Or, nous considérons que l’État a les moyens de faire autrement parce que les solutions existent.
En effet, au lieu de délivrer de manière quasi automatique des OQTF fondées notamment sur des difficultés liées à l’état civil du demandeur, l’État devrait réaliser une évaluation plus approfondie de la situation et des perspectives d’intégration du demandeur dans la société française, comme la réglementation l’y invite. A ce titre, un arrêté du ministre de l’intérieur d’avril 2021 prévoit, au titre de l’admission exceptionnelle au séjour, la prise en compte de « la volonté d’intégration » de la personne. Qui peut affirmer que ces jeunes, dont les qualifications sont reconnues par les professeurs, les formateurs et les employeurs et dont l’insertion sociale est attestée par les membres de la collectivité, en manquent ?
Reconnaître l’engagement de ces jeunes dans leur apprentissage et leur insertion sociale, valoriser l’accompagnement de celles et ceux qui les ont protégés et accompagnés, dégager des lignes de perspectives plutôt que des fins de non-recevoir, lire le droit à l’aune des évolutions de la société sont autant d’approches que l’Etat peut mettre en œuvre et qui le placerait à la hauteur des enjeux de notre société.
A l’inverse de la tendance de fond qui porte la logique du contrôle jusqu’à l’absurde, nous proposons une approche différente qui reconnaît la démarche d’intégration de ces jeunes et la solidarité, publique et privée, qui s’exprime chaque jour sur nos territoires. Accueillir pleinement ces jeunes majeurs dans notre société revient à appliquer la règle avec bon sens et permet de renforcer la cohésion sociale. Dans une société en proie à la fracturation, un geste d’apaisement de la part de l’Etat est plus que nécessaire…