Face à la multiplication des menaces contre les parlementaires, certains craignent maintenant des violences physiques, voire pire.
L’exercice de la fonction de parlementaire n’est pas toujours des plus aisé. Surtout en ce moment. En parallèle du mouvement des gilets jaunes, les dernières semaines ont été marquées par des menaces contre les parlementaires, essentiellement les députés LREM, à un niveau particulièrement élevé. Dernier exemple en date : le président LREM de l’Assemblée nationale lui-même, Richard Ferrand, a vu sa maison secondaire faire l’objet d’une tentative d’incendie, dont on ne connaît pas encore le ou les auteurs (voir le sujet vidéo de Quentin Calmet). Toute la classe politique, du président LR du Sénat, Gérard Larcher, à Jean-Luc Melenchon, a exprimé sa solidarité.
Outre des lettres de menaces, certains se sont attaqués aux députés de manière plus concrète. Patricia Gallerneau, députée Modem de Vendée, a découvert un matin un mur de parpaings construit devant sa maison. En décembre, la voiture de la députée LREM Jacqueline Dubois avait été incendiée. Un parlementaire raconte avoir déjà « fermé ses volets » lors du passage d’une manifestation de gilets jaunes, si jamais un projectile était lancé. « Depuis deux mois, près de 80 députés LREM ont été victimes de menaces ou d’agressions » précise ce lundi, dans un entretien à Libération, Gilles Le Gendre, patron du groupe LREM à l’Assemblée nationale. Ces violences contre les parlementaires, sont « totalement inédites sous la Ve République » souligne sur Public Sénat l’historien Jean Garrigues.
Murs du Sénat tagués
Symboliquement, samedi 9 février, lors de la dernière journée de mobilisation des gilets jaunes, ce sont l’Assemblée nationale et le Sénat – une première – qui ont été visés. Les murs du Palais de Luxembourg ont été tagués d’un « on vient vous révoquer » et « les règles ont changé, vos lois c’est du passé (voir la capture de tweet ci-dessous).
Un parcours de manifestation qui surprend le sénateur LREM André Gattolin, interrogé par publicsenat.fr : « Je m’étonne qu’on autorise un passage devant l’Assemblée et le Sénat. Ça ne me paraît pas des plus judicieux. On n’a pas le droit d’aller manifester devant l’Elysée, mais devant la représentation nationale, on peut ». Pour le sénateur, « le mauvais calcul, c’est penser que le pourrissement du mouvement va faire s’éteindre les choses. Plus le mouvement va pourrir avec moins de manifestants, plus il y aura une radicalisation ».
Si les menaces visent essentiellement les députés, les sénateurs n’y sont pas moins sensibles. Quelques sénateurs ont d’ailleurs, eux aussi, subi des intimidations ou menaces. La sénatrice LR Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, dénonce des actes « inadmissibles ». « Ce sont surtout les députés qui sont visés, mais depuis le Puy-en-Velay, on voit que l’Etat et les institutions, quelles qu’elles soient, sont visés ». Au côté de « certains gilets jaunes sincères, qui se sont radicalisés dans la forme », « il y a vraiment des forces de déstabilisation du système démocratique qui sont à l’œuvre » souligne Sophie Primas.
« Dégoût »
Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, exprime son « dégoût » après ces actes (voir la vidéo ci-dessous). Le sénateur du Nord s’inquiète du niveau des violences : « On est en train de passer les bornes qui n’étaient pas connues. Ce n’est pas la même chose, mais les historiens font le parallèle avec le 6 février 1934 », quand les ligues d’extrême droite manifestent devant la Chambre des députés.
Joint par publicsenat.fr, Patrick Kanner ne cache pas sa crainte : que les choses aillent encore plus loin. « S’attaquer aux biens immobiliers, c’est une chose. Mais demain, va-t-on s’attaquer physiquement à un élu ? Un député ou un sénateur sera-t-il pris à partie ? » s’interroge le sénateur PS.
Même questionnement de la part du sénateur LREM André Gattolin :
« Dans le contexte, je redoute qu’il arrive quelque chose de similaire à l’assassinat de la députée travailliste britannique Jo Cox, au moment du Brexit ».
Un sénateur dit les choses plus crûment et « redoute qu’un jour un parlementaire ou quelqu’un de sa famille se fasse buter… »
Face à cette situation d’un niveau inédit, André Gattolin ne cache pas certaines critiques à l’égard de l’exécutif. « Il y a quand même un relatif abandon des pouvoirs publics par rapport aux parlementaires sur les mesures de sécurité à prendre » estime l’élu, « c’est un peu léger. Quand vous êtes ministre, il ne peut pas vous arriver grand-chose. Mais quand vous êtes parlementaire, il peut vous arriver n’importe quoi ».
« Je vois des députés LREM qui sont assez affectés » raconte-t-il, notamment pour les novices de la politique qui n’avaient pas imaginé vivre cela une seconde. « S’il y a eu des mesures récemment, c’est tardif » ajoute encore André Gattolin, qui insiste :
« On n’a pas pris, au plus au niveau, la mesure de l’ampleur du risque qui court. Je n’ai reçu aucune consigne, aucun message de la part du préfet, de mesures de prudence à adopter comme ne pas donner son agenda de déplacement ».
Esther Benbassa, sénatrice EELV, « désapprouve la violence » aussi. Face à cette incompréhension entre élus et Français, elle appelle plutôt à se rendre dans les cortèges, ce qu’elle a fait samedi dernier à Paris et presque chaque week-end. « Les gilets jaunes sont infiltrés par l’extrême droite parce que les cadres de gauche, y compris de mon parti, n’ont pas voulu se rapprocher trop de ce mouvement qu’ils n’arrivent pas à cerner, car le peuple fait peur ». Au début, « je ne mettais pas mon écharpe tricolore car j’ai eu peur d’être attaquée. Mais certains m’ont dit de le faire, car ils sont fiers que je sois là. Depuis, à chaque fois, je porte mon écharpe. Et pendant des heures, les gens me parlent de leurs revendications » raconte la sénatrice du groupe CRCE.
« Nous ne sommes pas vus comme des gens de convictions »
Cette violence profite d’un fond d’antiparlementarisme, bien ancré depuis plusieurs années. Comment l’expliquer ? « Le désamour à l’endroit des politiques n’est nullement nouveau » souligne Esther Benbassa.
« Je ne dirais pas que c’est entièrement infondé. Souvent, nous ne sommes pas vus comme des gens de convictions. Nous sommes dans la parole, avec beaucoup de promesses, nous restons au-dessus des préoccupations des Français. Et il y a ces cas de trahisons de politiques qui passent d’un parti à l’autre » analyse Esther Benbassa. Elle ajoute que « ce désamour vient aussi de l’ignorance. Les gens ne savent pas que le travail se fait beaucoup en commission. Mais l’affaire Benalla a redoré un peu notre activité ».
« Pédagogie sur le travail parlementaire »
Patrick Kanner plaide pour faire « de la pédagogie. Le travail parlementaire se concentre du mardi au jeudi au Parlement. Après, on est en circonscription. Et cette présence sur le terrain est importante ».
Que ce soit dans les réunions du grand débat ou dans les cahiers de doléances, les critiques contre les élus, qui seraient privilégiés ou trop absents du Parlement, reviennent régulièrement. Des sanctions financières pour lutter contre l’absentéisme ont d’ailleurs été mises en place au Sénat en 2015. « Ça s’est beaucoup amélioré. Le non-cumul a favorisé la présence. En commission des lois, il y a toujours beaucoup de monde, comme aux questions d’actualité » souligne Patrick Kanner. Le président de groupe rappelle qu’« il faut être, député comme sénateur, exemplaire en termes de probité, de présence, de disponibilité ».
« Les parlementaires ont trop longtemps baissé la tête »
Sophie Primas met en garde sur la comptabilité de la présence. « Si vous n’êtes pas en séance mais sur le terrain, vous êtes comptés parmi les absents et vous vous faites étrier. Le lien avec le territoire n’est pas pris en considération ».
Elle continue son coup de gueule : « Cette façon de traquer les parlementaires, c’est extrêmement pervers. Cela a créé un sentiment chez les citoyens que les parlementaires sont trop payés. Il faut arrêter de baisser la tête, les parlementaires ont trop longtemps baissé la tête ».
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