Par Esther Benbassa, sénatrice EELV du Val-de-Marne, directrice d’études à l’EPHE (Sorbonne)
MARIAGE POUR TOUS – Journée électrique ce jeudi 11 avril au Sénat. La droite s’excite. Elle reprend ses litanies avec une énergie renouvelée.C’est ce jour-là que je vais présenter mes amendements sur la procréation médicalement assistée (PMA), le parent social, l’ouverture de l’adoption aux pacsés et la transcription sur les registres de l’état civil des enfants nés par gestation pour autrui (GPA) à l’étranger.
La France a peur
La tension monte chez ceux qui n’arrivent pas à accepter qu’une page a été tournée. Pas aujourd’hui, ni hier, mais il y a longtemps déjà. C’est en 1982, il y a plus de trente ans, que l’homosexualité était dépénalisée dans notre pays. Les temps ont changé, le monde a changé. Cette France que représentent, qu’incarnent ces barons et ces baronnes des territoires est comme un vieux souvenir, passé, jauni. Inoubliable, pourtant, pour beaucoup de Français encore. A l’instar de la grandeur de l’Empire colonial, et du chagrin de son effondrement. Cette France-là, celle des pieux souvenirs, n’est pas morte, elle est nombreuse encore, et elle a décidé de camper, de « stationner », si je puis dire, sur des convictions périmées, le plus souvent dépassées. Pour éviter d’avoir à regarder le présent. Et l’avenir.
L’extrême droite et la droite dures sont montées au créneau, faisant fructifier le mécontentement né de la crise, le cristallisant autour de ce mariage-pour-tous. Nouvelle guerre des Anciens et des Modernes. L’adoption non plus que le rejet de cette loi ne règleront la crise ni ne redonneront du travail aux chômeurs. Mais on a peur. Oui, la France, une certaine France a peur que s’écroule son modèle patriarcal et catholique. Ultime rempart d’une France des profondeurs. Paris, Marseille, Lyon, nos grandes villes ne sont qu’une partie de ce pays, ailleurs toujours traditionnel et conservateur.
Si ces sénateurs qui se battent bec et ongles contre ce projet de loi n’étaient pas l’émanation de cette France-là, je nourrirais moins de craintes. Pays des certitudes fanées. La « Famille » avec un grand F est l’une de ces certitudes. La mise en avant de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est qu’un subterfuge, une ruse, un artifice rhétorique. Pas un argument. Les familles homoparentales aussi aiment leurs enfants. Autant et peut-être parfois plus que les autres, tant les difficultés qu’elles ont dû surmonter ont été grandes. Mais comment faire comprendre cela à ceux qui ont décidé de ne pas comprendre?
Des religions et des couleurs
Le contexte est lourd. L’homophobie, larvée ou ouverte, n’en est qu’un aspect. Un nationalisme de mauvais aloi, une opposition farouche et de principe aux « institutions », le réveil de passions historiques comme le racisme et l’antisémitisme fusionnent ces jours-ci en un mélange détonnant. Accablée par de twits souvent violents, xénophobes, racistes et antisémites, je commence à prendre le pouls d’une atmosphère qui n’augure rien de bon si l’exécutif ne prend pas résolument les choses en main. Courriers injurieux, menaces, atteintes aux personnes et aux biens sont devenus un lot quotidien.
Même au Sénat, les choses peuvent tourner à l’aigre. Un sénateur, ancien villieriste, aujourd’hui UMP, que j’ai un peu chahuté, s’en prend à ma « couleur ». Lorsqu’il comprend qu’il lui faut se ressaisir, il s’enferre : il met en avant sa tolérance envers toutes les religions. Quel rapport cela a-t-il donc avec nos débats ? Ce n’est donc plus de ma « couleur », cette fois, qu’il est question, mais de ma « religion ». Dont je ne rougis pas d’ailleurs, mais que je ne pratique plus.
La tension monte d’un cran, certains collègues exigent des excuses. Nous n’aurons qu’une pirouette, ou plutôt deux, et même trois. C’est à ma couleur politique (vert) qu’il aurait fait allusion. Ou à celle de mes cheveux (rouge). Ou à celle de ma veste (jaune)… Allez savoir. J’ose le croire. Le Sénat reste et doit rester un espace de débat républicain, épargné par la confusion des genres. Il n’en a pas moins un moment montré, ce jeudi, un de ses visages cachés.
La gauche avait vaillamment décidé de garder le silence pour ne pas prolonger indéfiniment de vaines joutes oratoires. Les heures avançaient, il restait encore des dizaines et des dizaines d’amendements à examiner, donnant à des sénateurs et sénatrices qu’on avait fait venir exprès et qu’on n’avait quasiment jamais vus jusque-là dans l’hémicycle l’occasion de débiter leur couplet. Toujours plus ou moins le même. Un refrain, plutôt. Une rengaine. La gauche bouillait. Mais se taisait, stoïque.
Dans la Salle des conférences, là où se décide une partie de la politique de la France, à la buvette des sénateurs, où se négocient aussi pas mal de choses, règne une drôle d’ambiance. Jeunes collaborateurs venant nous soutenir. Sénateurs au visage fermé tendant à fuir les pro-mariage. La courtoisie est encore de mise, pourtant. Les femmes, sénatrices de droite ou de gauche, savent encore échanger. Se susurrer de petits compliments sur leur tenue. C’est qu’on commence à trouver le temps vraiment long.
Changement de rythme
Et puis, dans l’après-midi, soudain les choses se précipitent. Ou la droite, de plus en plus procédurière, continue à pinailler et on passe le week-end dans l’hémicycle. Ou on accélère. D’autant que le résultat est connu. La plupart des sénateurs ont l’habitude de rentrer dans leurs terres le jeudi. Il était sans doute possible de les convier à un peu plus de retenue. Ce qui fut fait. La faim, la fatigue, la perspective d’une fin de semaine bloquée à Paris, un sursaut de raison, et voilà que nous passons à la vitesse supérieure.
Le débit s’accélère, les prises de parole se font plus courtes. A minuit, tout le stock d’amendements était épuisé. On avait terminé. Les ministres étaient sur les genoux, les plus procéduriers des sénateurs avaient le regard perdu. Beaucoup s’étaient éclipsés. Aucune conviction n’avait résisté à l’envie de rentrer à la maison. Il fallait bien rentrer pour rendre compte, dimanche, dans les paroisses, des efforts qui avaient été déployés, hélas en vain, pour faire tenir debout la vieille France. Je m’étais moi aussi éclipsée un moment, histoire de m’aérer les neurones en participant à un rassemblement bon enfant organisé par les gays et lesbiennes pour nous soutenir devant Saint-Sulpice (chacun sa paroisse). Les manifestants attendaient anxieusement le verdict. Moi aussi j’étais lasse. Encore un tout petit peu combative tout de même.
A minuit, nous avons quitté l’hémicycle. La défaite des « anti » était scellée depuis longtemps. Nos collaborateurs étaient à bout. Ils avaient veillé des nuits entières. 7 jours passés dans l’hémicycle. Nous nous étions battus comme des lions pour que nos concitoyens gays et lesbiennes fassent un pas de plus, historique, vers l’égalité. Pour qu’ils puissent vivre en union libre, se pacser ou se marier. Et fonder des familles, s’ils le souhaitaient.
L’été sera gay
Le temps du sommeil fut court. Il avait été décidé que le scrutin aurait lieu le vendredi matin. Les explications de vote devaient commencer à 9h. Je craignais d’être en retard. J’étais en retard. Et le taxi que j’avais pris pour arriver plus vite au Palais du Luxembourg traînait insupportablement. Je savais que le projet de loi allait être voté. Mais j’étais émue. Les loges étaient pleines de jeunes gays et lesbiennes venus assister à ce grand jour. J’avais préparé mon explication de vote avec soin. Et plutôt que de revenir une nième fois sur des arguments déjà développés par moi et par d’autres, j’avais choisi de raconter un moment de vie vraie. D’évoquer l’histoire de l’un de mes amis gays. De parler de sa souffrance, pour insuffler un peu d’humanité, de chaleur, d’émotion, dans un espace où règnent les mots secs du droit. Un droit qui a d’abord pour mission de protéger les plus faibles.
La droite, amère, continuait de dire son amertume, et son incapacité à reconnaître la réalité de la société d’aujourd’hui. Enfin, la gauche unie s’exprimait. Elle était l’histoire en marche. Arrive l’heure du vote à main levée. Les mains du oui sont plus nombreuses que celles du non. Dehors, on annonce une violente manifestation anti-mariage-pour-tous organisée par les amis de la nommée Frigide Barjot, papesse du non et de la France d’hier.
A la sortie de l’hémicycle, les jeunes qui avaient écouté dans le silence les discours du matin m’embrassaient. J’étais bien contente de les retrouver. Ils avaient les cheveux de toutes les couleurs (eh oui !), certains pleuraient de joie. Après un déjeuner arrosé avec mon équipe, j’ai fini par regagner mes terres, moi aussi. Epuisée et heureuse.
Il faudra bientôt penser aux cadeaux des futurEs mariéEs. L’été sera gay.
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