Par Marc Endeweld
11/11/12
Ils ont voté Hollande en le croyant sur parole à propos du mariage pour tous, de la PMA pour les homosexuelles ou de l’adoption pour les couples non mariés. Patatras, c’est une loi a minima qui se profile. Pendant que la gauche patauge dans ses contradictions.
Dans les clips de campagne de François Hollande apparaissait ici ou là l’emblème du mouvement homo, le drapeau arc-en-ciel. Lors de son discours de politique générale, début juillet, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait déclaré : “Au premier semestre 2013, le droit au mariage et à l’adoption sera ouvert à tous les couples, sans discrimination. Notre société évolue, les modes de vie et les mentalités changent. Des aspirations nouvelles s’affirment. Le gouvernement y répondra, au nom du principe d’égalité.”
Oui mais voilà, le gouvernement se réfugie aujourd’hui derrière l’engagement 31 du candidat Hollande – mariage et adoption pour les couples homosexuels, point barre – et feint d’avoir oublié ses autres promesses sur ce dossier. Résultat, dans le projet de loi sur “le mariage pour tous”, qui doit être présenté en Conseil des ministres ce mercredi 7 novembre, ne devraient figurer ni l’accès des couples lesbiens à la PMA, ni la création de présomption de parentalité (qui permettrait au conjoint d’être reconnu comme parent social), ni l’ouverture de l’adoption aux couples non mariés. Comme si la diversité des familles homoparentales n’était pas la préoccupation du gouvernement.
Pas de calendrier précis
Lors d’un meeting organisé par des associations LGBT, Najat Vallaud-Belkacem avait pourtant affirmé :
“Ce que nous voulons, c’est faire aboutir l’ensemble de ces droits dans un même élan.”
Au cours de sa campagne, François Hollande s’était engagé à plusieurs reprises à permettre l’accès à la PMA aux couples de femmes. Mieux, il figure en toutes lettres dans le projet 2012 du Parti socialiste.
Désormais, le gouvernement dit vouloir procéder par étapes, sans pour autant s’engager sur un calendrier précis, considérant que la question de la PMA relève d’une révision de la loi bioéthique – et non des articles du Code civil qui régit le mariage. La ministre déléguée à la famille, Dominique Bertinotti, n’avait-elle pas pourtant déclaré fin août, “si on le fait de façon concomitante, on apporte une réponse à nombre d’interrogations des familles. C’est quand même le but de la loi : s’adapter à la réalité du plus grand nombre” ? Au final, le gouvernement donne plutôt l’impression de céder aux franges les plus réactionnaires de la société, en ne tenant pas compte des réalités homoparentales d’aujourd’hui : difficultés pour adopter notamment dans les pays étrangers, couples de femmes qui partent en Belgique ou en Espagne pour procéder à des PMA (légalisées dans ces pays, voir carte p. 46), statut juridique des enfants nés à l’étranger de “mères porteuses” (la fameuse GPA, gestation pour autrui).
Au sein même du PS, c’est comme si ces questions n’avaient pas été tranchées préalablement. La position du parti se résumait jusqu’à présent à : oui à la PMA pour les couples de femmes, non à la GPA considérée par beaucoup comme une dangereuse marchandisation des corps et une régression sur le plan des droits des femmes. Pourtant, si le député du Nord Bernard Roman, en pointe sur les questions familiales, est très favorable au règlement immédiat de la question de la PMA – “Pas un pays au monde n’a procédé à l’ouverture du mariage sans intégrer la question de la PMA ! Ce serait totalement incohérent d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe sans la PMA, qui est déjà ouverte aux couples hétérosexuels selon certaines conditions. Cela ne relève donc pas de la loi bioéthique.” -, d’autres voix s’élèvent, et pas des moindres : le maire de Quimper, Bernard Poignant, explique ainsi tranquillement à Paris Match :
“Le gouvernement a tranché, il faut rester sur cette position. Si vous autorisez la PMA pour les couples de femmes, vous devez également autoriser l’accès à la gestation pour autrui aux couples d’hommes, sinon vous établissez une inégalité entre hommes et femmes.”
Officiellement simple “chargé de mission” à l’Élysée, Bernard Poignant joue en fait un rôle très important auprès de François Hollande, organisant régulièrement des déjeuners avec des élus de province ou des acteurs de la “société civile”. On peut se faire une idée de ses convictions en lisant son blog. Le 12 décembre 2010, il y écrivait un post intitulé “Maman, papa, bébé”, dans lequel il expliquait : “Le dernier dossier le plus délicat concerne l’homoparentalité. Aujourd’hui, chacun vit en couple comme il l’entend. Même la polygamie est présente bien que la loi l’interdise. Et il existerait de 50 000 à 150 000 enfants vivant en France dans des familles polygames sans que personne exige une loi pour légaliser ce type d’alliance.” Un amalgame digne de la droite la plus dure.
“Un débat de génération”
À l’Assemblée nationale, certains députés socialistes ne cachent donc plus leurs réticences. Le 17 octobre, Armand Jung déclarait lors d’une traditionnelle réunion de groupe : “Je voudrais rappeler aux associations homosexuelles que le mariage c’est aussi la fidélité.” Et le député d’interpeller Bruno Le Roux, président du groupe socialiste : “Pourquoi déposer des amendements qui ne sont pas dans l’engagement 31 ?” Réponse de Le Roux : “La tranche d’impôt à 75 % ne figure pas non plus dans les engagements, et pourtant cela ne nous empêche pas de la considérer comme un engagement du président de la République.” Un autre député a même demandé s’il y aurait une “clause de conscience” pour les élus qui ne souhaitent pas procéder à des mariages ! Et certains sont contre l’adoption.
“Il y a un débat de génération, reconnaît le jeune député Erwann Binet, futur rapporteur de la loi, mais je n’ose imaginer un retournement sur le sujet. Le débat a déjà eu lieu par le passé, et le Parti a tranché.”
Les députés Bernard Roman, Olivier Dussopt ou Patrick Bloche seraient prêts à déposer des amendements, notamment pour intégrer la question de la PMA. Encore faut-il que le gouvernement ne fasse pas obstruction lors des débats…“Comme sur les autres sujets sociétaux qui ne coûtent pas beaucoup d’argent, le gouvernement a la tentation de ne pas laisser l’autonomie aux législateurs”, critique ainsi la sénatrice écolo Esther Benbassa, qui avait déposé en septembre une proposition de loi progressiste incluant l’accès à la PMA, le statut du tiers, et même la reconnaissance des enfants nés à l’étranger par GPA. “À ce jour, je n’ai reçu aucun coup de fil de Matignon”, conteste Erwann Binet. De son côté, le député écolo Noël Mamère, qui avait procédé en 2004 à un mariage entre deux hommes, déplore : “Pour l’instant, il n’y a aucun dialogue avec les socialistes sur cette question. Nous ne sommes associés à rien du tout.”
Pour les militants LGBT, le comportement actuel du gouvernement réactive de mauvais souvenirs. En effet, en 1998, le jour J du vote du Pacs, sur les bancs de l’Assemblée, il y avait plus de députés présents à droite qu’à gauche. La proposition de loi avait été rejetée, et adoptée seulement un an plus tard. Président d’Act Up entre 1997 et 1999, Philippe Mangeot estime qu’aujourd’hui “les socialistes ont besoin de ce débat sur le mariage pour se démarquer de la droite au moment où ils reculent sur à peu près tout. Mais leur mollesse à y aller est symptomatique de la montée en puissance du courant de pensée de la ‘gauche populaire’ qui ne cesse d’opposer des revendications qui seraient pleinement sociales, davantage prioritaires, et d’autres qui ne seraient que ‘sociétales”, conclut Mangeot.
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