L’union des gauches ripe sur le référendum ADP

Les partis de gauche peinent à s’entendre sur la portée du vote contre la privatisation, qui a débuté mercredi à minuit. Ils ont neuf mois pour recueillir 4,7 millions de signatures.

Olivier Faure (PS), Raphael Glucksmann et Claire Nouvian (Place publique) le 16 mars à Paris.
Olivier Faure (PS), Raphael Glucksmann et Claire Nouvian (Place publique) le 16 mars à Paris. THOMAS SAMSON / AFP

C’est une occasion inespérée de se revoir et de se reparler. La campagne pour le recueil des signatures en vue d’un référendum sur la privatisation de Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris) a débuté le 13 juin à minuit. Les signataires du projet de loi référendaire, du parti Les Républicains (LR) à La France insoumise (LFI) en passant par le Parti communiste français (PCF) et le Parti socialiste (PS), ont neuf mois pour recueillir 4,7 millions de signatures – soit 17 000 par jour –, qui est le seuil validant la procédure. « 4,7 millions, c’est l’Everest ! », concède Julien Bayou, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts.

Les opposants à la privatisation d’ADP veulent aller vite. Un meeting unitaire est d’ailleurs prévu le 19 juin à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) pour lancer l’opération, sous la houlette du PCF. Et les premiers flyers sont arrivés dans certaines boîtes aux lettres. « Ensemble faisons décoller le référendum », proclament les initiateurs.

« Infliger une défaite au gouvernement »

Surtout, cette campagne va permettre à la gauche, divisée plus que jamais lors des récentes élections européennes, de remiliter ensemble, avec un même objectif : obtenir enfin une victoire après une mobilisation sociale. Tous appellent au rassemblement autour de combats communs, permettant de dépasser les structures politiques et d’impliquer les citoyens. Un peu à l’image de la victoire du non au traité constitutionnel européen en 2005.

Cependant, les responsables de gauche avancent avec prudence. Il ne s’agit surtout pas qu’un seul camp confisque ce vote et que cela décourage les électeurs de droite. « Il faut que l’on reste dans l’idée de fédérer le peuple sans tomber dans l’union nationale », rappelle Eric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denis qui représente le mouvement populiste de gauche dans cette campagne. Il ajoute : « Il faut qu’il y ait des signaux qui montrent que l’on se rassemble pour l’intérêt général et que l’on dépasse nos divergences. » Son collègue Alexis Corbière complète : « Cette campagne permet d’appuyer notre message sur la démocratie et la souveraineté populaire. Cela peut être un cadre d’action et de rassemblement pour infliger une défaite au gouvernement. »

Insoumis et communistes s’accordent pour ne pas laisser la droite de côté et l’impliquer dans toutes les initiatives. Avec une référence en tête : le Conseil national de la Résistance, où l’on retrouvait après-guerre gaullistes et communistes. D’ailleurs, un nouveau CNR va être mis en place, pour cette fois la « coordination nationale du référendum ». « On ne peut pas résumer cette campagne à une alliance des gauches, estime le député communiste Stéphane Peu. La campagne sera déclinée de manière autonome, mais des initiatives communes avec la droite auront lieu. C’est important face à un gouvernement qui incarne le libéralisme mondialisé que l’on montre notre attachement aux services publics et à notre modèle social. » Mais Stéphane Peu le reconnaît : « Cela va être l’occasion pour la gauche de battre les estrades ensemble, ce qui n’est pas arrivé depuis longtemps, c’est positif alors que nous sommes affaiblis et émiettés. »

« Jeu de dominos »

A gauche, tout le monde sera donc de la partie, malgré les divergences qui peuvent rapidement se faire jour.

C’est le cas d’EELV dont la sénatrice Esther Benbassa a signé le projet de loi référendaire. « On n’a pas de vérité révélée sur le public et le privé, avertit Julien Bayou. La SNCF publique a privilégié le TGV sur les petites lignes, EDF, c’était le tout-nucléaire, par exemple. Mais évidemment que c’est un sujet essentiel : cela concerne les vols de nuit, les rotations, donc l’utilisation du kérosène et la pollution afférente… On ne peut pas laisser cela au privé. »

M. Bayou reste prudent sur le déroulement des opérations : « La plate-forme ne doit pas être confisquée par tel ou tel. »

Le PS, à l’initiative de la proposition de RIP, ne cache pas qu’il veut faire de cette bataille le premier « combat commun de la gauche ». Si les dirigeants socialistes cherchent à faire la campagne la plus large possible, ce sera principalement avec les forces… de gauche. « Tous les élus de droite sont bienvenus, assure Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, mais LR est dans une forme d’indécision et je ne crois pas à une campagne gauche-droite. C’est à l’initiative de la gauche que ce référendum a vu le jour. »

Pour M. Faure, c’est une belle occasion pour répondre à l’aspiration à l’unité : « On peut retrouver l’ensemble de la gauche sur ce combat commun qui peut en augurer d’autres. » Le PS veut ainsi élargir le discours sur l’ensemble des services publics, car ADP ne serait que le début d’un démantèlement plus large voulu par le gouvernement. « Ça commence par Aéroports de Paris, puis La Française des jeux, et ça se prolonge par les barrages hydroélectriques. Il faut expliquer que derrière ce jeu de dominos il y a la volonté de La République en marche de tout transformer en marché », observe le patron des socialistes.

Une chose est sûre : la proposition de François Ruffin qui veut faire du référendum un vote anti-Macron ne fait pas l’unanimité. « Ça ne peut pas être l’objet principal. Mais cela peut être complémentaire », tempère M. Coquerel. « Il faut rester sur le thème, estime Alexis Corbière. On va forcément se confronter à la vision d’Emmanuel Macron et du gouvernement. »

Chez Génération.s, ce doute est partagé. Benjamin Lucas, le secrétaire général de l’organisation de Benoît Hamon, explique que son mouvement participera au « front commun », mais reste prudent sur l’objectif : « Je ne pense pas qu’il faille tout mélanger ni instrumentaliser le référendum. Il faut garder son objectif initial, même si tout ce qui est unitaire nous réjouit. » Stéphane Peu n’en pense pas moins : « Je suis assez réservé sur l’aspect “référendum anti-Macron”. Prenons les choses dans l’ordre, c’est d’abord une campagne pour obtenir un référendum. Ensuite, c’est la question des services publics, de la captation par le privé de monopoles d’Etat. »

Un long chemin avant un référendum

Le dispositif de recueil des signatures pour le référendum d’initiative partagée (RIP) contre la privatisation du groupe ADP (Aéroports de Paris) doit être présenté le 13 juin par le ministère de l’intérieur. Ce dispositif sera ouvert pendant 9 mois. Les promoteurs du référendum doivent recueillir le soutien de 10 % des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit 4 717 396 Français, a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 mai, validant la proposition de loi référendaire déposée le 10 avril par 248 parlementaires de tous bords politiques.

Si le nombre de signataires est atteint, le Parlement devra, dans un délai de 6 mois, se prononcer sur cette proposition de loi. Si l’Assemblée nationale et le Sénat mettent tous deux ce texte à leur ordre du jour, le référendum n’aura pas lieu. Mais si une seule des deux chambres se prononce, ou aucune d’entre elles, alors le président de la République sera tenu de l’organiser. La privatisation d’ADP, dont le capital est détenu à 50,6 % par l’Etat, a été adoptée par le Parlement le 11 avril lors du vote de la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), promulguée le 22 mai.