Loi Sécurité globale : le Sénat veut imposer sa version du texte

Cette loi portée par le ministère de l’intérieur et votée par l’Assemblée nationale en décembre a été vivement contestée par les défenseurs des libertés publiques. Les sénateurs, qui l’examinent à partir de mardi, veulent notamment réécrire son article 24, portant sur la diffusion d’images des forces de l’ordre.

Les sénateurs ont commencé, mardi 16 mars, l’examen de la proposition de loi relative à la sécurité globale, quatre mois après son adoption par les députés. Ce texte, porté par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale et voulu par le ministère de l’intérieur, à la demande de certains syndicats de police, avait été l’objet de vives contestations à l’automne, notamment contre l’article 24, qui prévoyait de sanctionner, dans le cadre de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, « la diffusion malveillante » d’images de forces de l’ordre.

Les syndicats de journalistes comme des milliers de personnes s’étaient alors mobilisés pendant plusieurs semaines contre la mesure. Mardi encore, ils étaient quelques centaines de manifestants, rassemblés devant le Sénat pour réclamer le retrait du texte jugé « liberticide, à l’appel de la coordination Stop loi sécurité globale ». Plusieurs élus étaient également présents, dont la sénatrice écologiste Esther Benbassa, le sénateur communiste Pierre Laurent ou le député Eric Coquerel (La France insoumise).

Pour tenter de mettre fin à la controverse et à une potentielle entrave au droit d’informer, le Sénat, à majorité de droite, s’était engagé à réécrire l’article polémique. C’est chose faite. La nouvelle rédaction de l’article 24 entend définitivement l’extraire de la loi de 1881 pour l’adosser au code pénal. La réécriture proposée par les sénateurs de la commission des lois passe par la création d’un nouveau délit en lieu et place de celui envisagé dans la première version des députés.

Il est désormais question d’un délit de « provocation à l’identification », censée « exonérer les journalistes et la diffusion de leurs images », selon Loïc Hervé, sénateur (Union centriste) de la Haute-Savoie et rapporteur du texte. « Le Sénat a fait évoluer le texte dans le sens des libertés publiques, beaucoup plus que ne l’était celui de l’Assemblée nationale », affirme-t-il.

De son côté, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a défendu « une proposition de loi importante qui va renforcer considérablement la confiance qu’a la nation dans ses forces de l’ordre ». Il a réaffirmé « toute la volonté » du gouvernement de conserver dans le texte l’article 24, tout en disant s’en remettre à la « sagesse » des parlementaires « pour pouvoir avoir la meilleure rédaction possible ».

A gauche, les sénateurs socialistes, écologistes et communistes demeurent sceptiques et comptent s’opposer à la proposition de loi. Plusieurs amendements de suppression de l’article 24 ont été déposés, parmi les 350 soumis à la séance publique. « La provocation à l’identification, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est très large. On ne comprend pas bien ce que ça apporte », rétorque le sénateur (Parti socialiste) de Saône-et-Loire,Jérôme Durain, qui dénonce « un problème de cohérence avec le droit existant et l’article 18 du projet de loi confortant les principes républicains », visant à protéger les membres de la fonction publique. Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, à majorité communiste, devait défendre, dès l’ouverture des débats, une motion de censure pour rejeter la proposition de loi.

« Inégalités territoriales »

Hormis l’article 24, les articles concernant l’usage des caméras-piétons, des drones, et la fin des crédits de remise de peine pour les infractions contre les forces de l’ordre, ont eux aussi été remaniés, en accord avec les recommandations des juristes et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, saisie cette fois-ci.

Ces modifications ont été suivies de près par le ministère de l’intérieur, qui a veillé à négocier avec les rapporteurs du texte. Mais ces derniers entendent défendre leurs travaux jusqu’au bout, alors que le gouvernement a déposé des amendements pour rétablir une partie du texte, adoptée par les députés. Notamment à l’article 1, qui prévoit l’élargissement des prérogatives des policiers municipaux à titre expérimental, porté de trois à cinq ans par les sénateurs. Dans leur version, les agents n’auront plus la possibilité de réaliser des saisies ou de constater des délits de consommation de stupéfiant.

Malgré ces modifications, une partie du groupe centriste et quelques élus du parti Les Républicains (LR) expriment leur opposition à cette partie du texte. « Certains y voient le début d’un transfert de charge et la création d’inégalités territoriales entre les communes qui ont les moyens de se payer une police municipale et celles qui n’en ont pas », explique le sénateur (LR) du Nord Marc-Philippe Daubresse, également corapporteur du texte. Une partie des syndicats de police se dit inquiète face à ces modifications dont elle estime qu’elles amoindrissent la portée du texte. En commission des lois, les sénateurs ont renoncé à modifier une autre disposition polémique, l’article 25 de la proposition de loi qui prévoit d’autoriser le port d’armes hors service pour les policiers et gendarmes dans les établissements recevant du public.Lire aussi les réactions : « Un outil pour permettre aux forces de l’ordre de cacher leurs dérapages »

Le Sénat devrait adopter sans encombre sa version de la proposition de loi « sécurité globale », mais sa mouture définitive repose sur l’accord qui sera trouvé en commission mixte paritaire avec les députés, début avril.

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