Loi asile et immigration: faut-il vraiment allonger la durée de séjour maximum dans les centres de rétention? On a posé la question sur place
Alors que le projet de loi arrive ce lundi à l’Assemblée, « Le HuffPost » a suivi la sénatrice Esther Benbassa pour interroger associations, migrants et forces de l’ordre.
IMMIGRATION – Faut-il vraiment allonger la durée de séjour maximum dans les centres de rétention? C’est en tout cas ce que prévoit la loi asile et immigration, qui arrive ce lundi 16 avril à l’Assemblée nationale. Mais cette mesure fait débat au sein de la majorité présidentielle comme dans les centres de rétention.
Les centres de rétention administratifs (CRA) accueillent les migrants qui ne disposent pas de papiers adéquats pour rester sur le territoire français et qui sont donc visés par une procédure d’éloignement. Ces centres doivent donner à l’administration française le temps de se retourner avant de renvoyer les ressortissants dans leurs pays d’origine quand cela est possible. Si ce n’est pas le cas, ils sont simplement relâchés, dans un délai maximum de 45 jours après leur arrivée au centre. Un laps de temps jugé insuffisant par Gérard Collomb, qui souhaite l’étendre à 90 voire 135 jours.
Mais dans un projet de loi globalement décrié, ce point en particulier fait grincer des dents. L’orateur du projet de loi Florent Boudié (LREM) estime qu’il y a « utilité dans un certain nombre de cas d’aller vers une durée allongée ». Mais il a cependant fait voter un amendement permettant de séquencer ce délai et de limiter la durée de rétention à 90 jours maximum en ciblant « les cas pour lesquels l’augmentation de la durée de rétention est utile à l’efficacité de l’éloignement. » Mais même limité de la sorte, cette mesure est-il vraiment utile? Le HuffPost a suivi la sénatrice écologiste de Paris Esther Benbassa, très dubitative face à ce projet de loi, lors de sa visite inopinée au centre de rétention administratif de Coquelles, à cinq kilomètres de Calais, pour interroger ceux qui sont directement concernés par cette mesure.
En moyenne, la durée de rétention est inférieure à 45 jours
La ville de Calais est devenue un point de passage pour les migrants désireux de rallier le Royaume-Uni. Et le CRA de Coquelles est donc particulièrement exposé. Il accueille majoritairement des Albanais, mais aussi des Afghans, des Irakiens, des Soudanais et des Erythréens, autant de ressortissants issus de pays considérés comme « à risques ».
Et c’est justement cette spécificité qui fait douter France Terre d’Asile, qui opère sur le site, de l’efficacité de l’allongement des délais. Car comme l’explique Adrien Chhim, conseiller juridique pour l’association dans notre vidéo ci-dessous, les consulats de ces pays ne délivrent quasiment jamais de laissez-passer consulaire, document indispensable au rapatriement du ressortissant dans son pays d’origine.
« Décourager les personnes qui cherchent asile »
« À plusieurs reprises, nous avons demandé aux personnels du CRA en combien de jours en moyenne ils renvoient chez elles ou expulsent les migrants du centre. Tous nous disent entre 8 jours et 12 jours. Alors si les gens sont expulsés ou libérés dans ce délai, pourquoi arriver à 90 jours? Pourquoi fait-on ce texte, si ce n’est pas pour réprimer et décourager surtout les personnes qui cherchent asile chez nous ou qui veulent passer en Angleterre? Cela dépasse la logique », s’indigne Esther Benbassa.
Selon le rapport 2016 publié par La Cimade, seul 0,5% des rétentions s’étendaient au-delà de 33 jours. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté Adeline Hazzan préconisait la même année la réduction à 32 jours de la durée maximale de rétention, estimant que « dans la pratique, dès lors qu’une reconduite n’est pas intervenue dans les quinze premiers jours de la rétention, elle sera dans la grande majorité des cas définitivement impossible. »
Le risque de la surpopulation?
Au-delà de l’aspect répressif du texte dénoncé par ses opposants, allonger le délai de rétention ne serait pas sans conséquence: sur la vie personnelle de certains migrants d’une part, mais aussi sur l’organisation des CRA d’autre part, et particulièrement sur la question de surpopulation.
Lors de la visite de la sénatrice Benbassa, le CRA de Coquelle était rempli à « 95% » de ses capacités », nous indique les agents sur place. Soit 77 personnes sur une capacité totale de 79 places, pour quasiment autant de policiers. Mais si l’augmentation des délais est appliquée, la question de la surpopulation pourrait devenir problématique. « Oui, c’est peut-être une des limites », reconnaît un des officiers sur place, sous couvert d’anonymat.
Fin 2017 déjà, sans évoquer de « surpopulation », les associations alertaient sur l’explosion du nombre de personnes « retenues » dans les CRA. En mars, Gérard Collomb a annoncé que le gouvernement était « en train d’ouvrir 200 places supplémentaires de CRA » pour répondre à l’augmentation du nombre de procédures d’éloignement. Le centre de Coquelles doit d’ailleurs être agrandi pour atteindre une capacité de 90 places, précisent d’ailleurs les agents sur place.
Des conditions de rétention… qui rappelle la détention
Mais la question du nombre de places n’est pas le seul point commun avec l’univers carcéral français. Si le projet de loi Collomb est voté en l’état, les migrants pourraient passer jusqu’à trois mois dans les centres de rétention. Et si ces derniers sont, comme le répètent les agents sur place, différents des prisons, cet avis n’est pas partagé par tous, et surtout pas par les « retenus » du centre de Coquelles.
Après sa visite dans le centre, Esther Benbassa en dresse un bilan mitigé. La sénatrice, qui a déjà visité à plusieurs reprises des centres de rétentions, estime que celui-ci « n’est pas le pire » mais souligne plusieurs problèmes, comme le montre notre vidéo ci-dessous. Chez les retenus, le constat est plus amer: l’un d’entre eux se plaint ainsi de souffrir de stress et d’anxiété et affirme avoir demandé l’aide d’un psychologue. En vain, pour l’instant.
En février, plusieurs députés LREM ont visité un CRA de Seine-et-Marne pour se faire une opinion avant l’arrivée du texte dans l’hémicycle. Leurs retours sont éloquents: « On a des locaux sales et déshumanisés, sans lieu de vie », affirmait alors la député LREM Yaël Braun-Pivet, tandis que sa collègue Naïma Moutchou s’indignait: « Il n’est pas question que les gens passent trois mois dans des conditions pareilles. »
Vendredi 13 avril, le député LREM du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin a pour sa part annoncé qu’il ne votera pas pour la loi portée par son parti, en dépit du rappel à l’ordre du chef de file des députés Richard Ferrand. Il regrette ne pas avoir réussi « à convaincre la majorité qu’il fallait faire évoluer le texte » sur certains points ‘ »pourtant centraux »… comme le maintien à 45 jours pour la durée maximale de rétention.