L’intervention d’Esther Benbassa lors de la discussion générale sur le projet de loi de Programmation pour la ville et la cohésion urbaine (14 janvier 2014)

-Discussion générale-

Mardi 14 janvier 2014

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le rapporteur,

Monsieur le rapporteur pour avis,

Mes ChèrEs collègues,

 

Je me réjouis aujourd’hui, avec l’ensemble du groupe écologiste, de débattre de ce projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, une avancée, certes, encore bien timide pourtant, sur le chemin d’un réel changement. Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache, les auteurs du rapport que vous avez vous-même commandé, M. le Ministre, n’estiment-ils pas eux-mêmes que le PJL qui vient d’être voté à l’Assemblée Nationale et que nous examinons aujourd’hui, s’il comporte des points positifs, ne va pourtant pas assez loin ? Le 19 décembre dernier, ils intitulaient ainsi leur article publié sur Médiapart : « Les élus de la République ont-ils peur d’entendre les quartiers populaires ? » Si j’avais à répondre à cette question, quant à moi, je dirai oui ! Toutefois, il n’est pas trop tard pour mieux prêter l’oreille à ces voix qui montent des quartiers, et pour passer enfin des mots aux actes. Les habitants de ces territoires abandonnés avaient placé beaucoup d’espoir dans l’arrivée de la gauche au pouvoir. Aujourd’hui, ils sont déçus, et même amers. Beaucoup, à coup sûr, s’abstiendront aux élections des mois à venir. Une abstention qui sera l’expression d’un désespoir. Or nous savons où mène, à terme, ce désespoir.

Ce sont dans ces quartiers populaires, lieux de pauvreté, de misère, d’inégalité et de chômage, que la question de la participation des gens du terrain se pose de la manière la plus forte, la plus aiguë, la plus légitime : comme une nécessité. Le rapport qui vous a été soumis avance trente propositions pour – je cite – « inverser la démarche de la politique de la ville et passer d’une logique administrative et politique impulsée du haut vers une dynamique partant des habitants des quartiers populaires et de leur pouvoir d’agir. » Est-ce bien cela que nous voulons ?

A nous, législateurs, de faire de nos mots des passerelles vers l’action. Une action réellement en faveur de ces quartiers dont la souffrance se fait entendre périodiquement par des explosions de violence, par des émeutes qui sont en fait d’abord des cris d’alarme. Qui nous disent que les choses vont mal et qu’elles ne font que s’aggraver. Aucune force de police ne pourra jamais éteindre la souffrance qui consume ces quartiers depuis si longtemps. Réveillons-nous, écoutons-les. Le changement viendra d’abord des intéressés eux-mêmes, même si les pouvoirs publics doivent investir des deniers et consentir des efforts  pour mener ce changement à bien. Qui, mieux que les habitants de ces quartiers, sait donc ce qui ne va pas, ce qu’il convient de faire et comment le faire ? Il est temps que le « bas » donne enfin son avis et que le « haut » apprenne à l’entendre et à aller vers lui. Pour travailler ensemble, avec un peu d’humilité.

On ne peut pas nier que le PJL dont nous débattons ouvre de réelles pistes. Ainsi le principe de la co-construction. Mais ne faudrait-il pas plutôt parler de co-décision, reposant sur une représentation significative des citoyens dans toutes les instances ? L’enjeu, selon les auteurs du rapport que j’ai déjà cité, est en effet de partir de l’initiative des habitants, de la reconnaître lorsqu’elle existe  et de l’appuyer. Reste à savoir comment initier les habitants à cette démocratie participative, comment les mobiliser, quand on sait qu’ils sont happés par une lutte quotidienne pour leur survie économique, et empêtrés dans des problèmes complexes. Il y a là, pour les habitants aussi, un véritable défi à relever, pour que leurs désirs, leur volonté de construire ensemble se transforment en réalité. En fait, ce projet de loi, c’est aussi bien le « haut » que le « bas » qu’il incite à relever le défi.

A nous, sénatrices et sénateurs, à faire de sorte que ce PJL quitte le Sénat amendé et enrichi pour éviter un nième rendez-vous manqué avec les quartiers populaires.

Certes, dix ans exactement après la loi du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, le présent PJL marque la volonté du Gouvernement d’engager une nouvelle étape de la politique de la ville, surtout en direction des quartiers défavorisés.

Or les habitants de ces quartiers non seulement  ne doivent plus être stigmatisés mais ils doivent être considérés comme la richesse des territoires en cause et placés au cœur de notre politique de la ville. Nous avons déposé de nombreux amendements en ce sens et espérons fortement être entendus sur ces questions. Au premier rang de ces amendements, nous souhaitons que, dès l’alinéa 1 de l’article 1er, le rôle et la place des habitants soient reconnus.

Nous défendrons également l’idée que le droit à un environnement sain et de qualité doit être reconnu par la loi. En effet, ce sont dans ces quartiers, situés le plus souvent à proximité des voies rapides, des aéroports, et des zones industrielles, que les populations, outre les « handicaps » socio‑économiques, sont aussi le plus souvent exposées aux pollutions sonores et atmosphériques. Les objectifs environnementaux, au même titre que les objectifs sociaux, sont essentiels pour assurer le bien‑être et l’amélioration des conditions de vie des habitants. Ils doivent donc évidemment être pris en compte par la politique de la ville.

Nous espérons que les amendements adoptés nous permettront d’aboutir à une version de ce texte satisfaisante pour les premiers intéressés : les habitants de ces quartiers – et que le groupe écologiste pourra ainsi le voter, en attendant que ce PJL permette la mise en place d’une politique de la ville véritablement audacieuse qui fera honneur à la gauche et à la France.

Je vous remercie.