L’intervention d’Esther Benbassa lors de la discussion générale sur la proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage (12 décembre 2013)

Discussion générale

Jeudi 12 décembre 2013

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Monsieur le rapporteur,

Monsieur le rapporteur pour avis,

Mes ChèrEs collègues,

 

Je dois vous dire, mes chèrEs collègues, que ma première réaction à la lecture de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a été la colère. Colère de voir les principes fondateurs de notre République bafoués au nom de l’électoralisme.

J’en tiens pour preuve que M. Hérisson, considéré comme un expert des gens du voyage, avait élaboré en 2011 un rapport ayant pour titre: « Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun » et appelant à une « amélioration de la gouvernance de la politique publique en faveur des gens du voyage ». La PPL qu’il a déposée à la veille des élections municipales porte un  titre de tonalité bien différente. Il s’agit cette fois de « renforcer les sanctions prévues dans la loi relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage ».

Comment expliquer ce revirement en l’espace de deux ans ? Comme le justifier, surtout, en ces temps où la lutte contre le racisme et la xénophobie est plus que jamais nécessaire, et quand nos concitoyens gens du voyage sont encore et toujours stigmatisés et discriminés ? Que vient faire aujourd’hui cette PPL, qui n’est pas pour arranger les choses? Les élections ont leurs raisons, dirai-je, que la raison ne connaît pas.

Le titre de cette PPL pourrait certes suggérer qu’en ce qui concerne l’accueil et l’habitat des gens du voyage toutes les parties prenantes, maires et gens du voyage, verraient leurs responsabilités renforcées. Ce serait se tromper. Il n’est en effet question ici que de sanctions à l’encontre des gens du voyage. Sur les maires qui ne respectent pas leurs obligations, pas une ligne. Pourtant dans son rapport de 2011, p. 39, M. Hérisson préconisait de poursuivre rapidement la création d’emplacements sur le territoire des EPCI pour atteindre l’objectif de 40 000 places  et de faire appel aux fonds européens.

Permettez-moi de vous rappeler que depuis le vote de la loi du 5 juillet 2000 dite « loi Besson », les procédures d’expulsion des gens du voyage ont été considérablement facilitées et les sanctions prévues alourdies à plusieurs reprises.

En 2003, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, faisait voter la loi de sécurité intérieure qui créait un délit d’installation en réunion en vue d’y établir une habitation, même temporaire. Les peines encourues étaient importantes : six mois d’emprisonnement, 3750 euros d’amende et la saisie possible des véhicules tracteurs.

En 2007, c’est la procédure d’évacuation qui est modifiée. De judiciaire elle devient administrative. En cas d’occupation illicite, le maire ou le propriétaire peuvent demander au Préfet qu’il mette en demeure les occupants de quitter les lieux. Cette mise en demeure est alors entourée de certaines garanties… qui sont toutes remises en cause par la proposition de loi que nous examinons !

L’arsenal juridique existe, les maires et représentants de l’Etat disposent de nombreuses prérogatives pour mettre fin aux occupations illicites. Mais la loi Besson prévoit, en contrepartie de ces prérogatives, l’obligation pour les communes de plus de 5000 habitants de disposer d’une aire d’accueil. Obligation qui est loin d’être remplie puisque la Cour des comptes, dans un rapport publié en octobre 2012, constate que le taux de réalisation des places en aires d’accueil prévues par les schémas départementaux n’était, fin 2010, que de 52 %.

Je défendrai de nombreux amendements au premier rang desquels ceux visant à abroger la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile, ni résidence fixe, une loi obsolète et indigne, source de stigmatisation et de discrimination pour nos concitoyens. C’est par ailleurs ce que préconisait M. Hérisson lui-même à la page 38 de son rapport de 2011, décidément mieux inspiré que la liste des sanctions de cette PPL.

Croit-on décidément qu’en période d’élections mieux vaut encore penser aux sanctions dont les Français seraient friands ? A force d’instrumentaliser, dans un tel esprit, et donc de stigmatiser, les minorités, ne nous étonnons pas de voir une parole raciste et xénophobe se déployer sans complexe. Ni de voir certains de nos concitoyens préférer aux partis démocratiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, un Front national finalement perçu comme à la fois plus actif et plus cohérent en ces matières.

D’autres amendements vous seront donc soumis qui ont pour objet d’inciter les communes à remplir leurs obligations en matière d’accueil des gens du voyage. Il me semble, en ce domaine comme en tant d’autres, que la réciprocité des obligations est une condition nécessaire au respect, par tous, du pacte républicain. Comment accepter que l’installation illicite soit punie de lourdes peines d’emprisonnement et d’amende alors que l’on trouve encore aux abords de certaines communes des panneaux « interdit aux forains et aux gens du voyage » ?

Cette PPL tend à faire des gens du voyages – nos concitoyens ! – des étrangers sur leur propre sol.  L’exclusion territoriale n’est que l’un des aspects de l’exclusion en général dont souffrent les gens du voyage, une belle dénomination qui ne fait pas oublier que ces Français sont encore et toujours des Français de seconde zone. Notre République égalitaire peut-elle indéfiniment tolérer impunément l’existence en son sein de sous-citoyens ?

Vous l’aurez compris, mes chèrEs collègues, le groupe écologiste ne saurait évidemment voter cette PPL en l’état.

Je vous remercie.