L’intervention d’Esther Benbassa dans le cadre du débat sur l’immigration professionnelle et étudiante (24 avril 2013)

Discussion générale

 Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Monsieur le Ministre,

Mes chèr-E-s collègues,

Le présent débat rompt avec des années de politique brutale, illustrée, entre autres, par la tristement célèbre « circulaire Guéant », contre laquelle le Sénat, sous la houlette de notre collègue Bariza Khiari, avait voté une résolution il y a plus d’un an, et que vous-même, M. le Ministre, avez abrogée dès votre entrée en fonction.

En termes nouveaux, à la fois en amont d’une réforme en profondeur du CESEDA, et en aval de l’adoption, en novembre dernier, du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, ce débat invite à penser l’élaboration de véritables stratégies, prenant en compte à la fois trois paramètres essentiels : 1) la nécessité d’une maîtrise éclairée des flux migratoires dans le contexte de crise actuel ; 2) l’objectif, essentiel, d’une stimulation de notre dynamisme économique ; et 3) l’ambition, tout aussi légitime, d’un renforcement de l’attractivité et du rayonnement de notre culture, ainsi que de notre enseignement supérieur et de notre de recherche.

En ce qui me concerne, si vous me le permettez, j’interviendrai dans ce débat à la fois comme parlementaire et comme professeur d’université, focalisant ainsi mon attention sur l’immigration étudiante, laquelle représente tout de même environ la moitié de l’immigration légale annuelle issue des pays non membres de l’Union européenne.

Entre 2007 et 2011, le nombre d’étudiants étrangers admis au séjour en France a augmenté de 40%, passant de 46 663 à 64 558. 2012 a été marquée par un important reflux, de presque 10%, avec seulement 59 000 entrées sur le territoire. En 2011, 288 500 étudiants étrangers étaient inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur français. 81,4% d’entre eux étaient extracommunautaires. Ils représentaient 11% des inscriptions en licence, 19% des inscriptions en master et 41,3% des inscriptions en doctorat, lequel est une porte d’entrée dans le monde de la recherche.

Ce dernier taux, élevé, témoigne, dans certains secteurs, du dynamisme de la recherche française, qui reste compétitive par rapport aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne, mais dont l’attractivité, ne nous leurrons pas, est aussi liée au coût très bas des frais de scolarité en France comparativement à ceux pratiqués dans ces deux pays. De fait, plus des trois quarts des étudiants étrangers en France sont inscrits à l’Université. Viennent seulement ensuite les écoles de commerce et d’ingénieurs.

Si 18,6% de ces étudiants sont issus de l’Union européenne, la majorité vient de pays attachés historiquement et linguistiquement à la France, à savoir du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Il apparaît plus difficile d’attirer les élites des pays émergents, même si la Chine fournit 10,3% du contingent. Les femmes sont majoritaires (52,9%) parmi les étudiants étrangers venant de tous les continents – sauf l’Afrique, où elles ne représentent que 42,8%.

Ce constat, nuancé, doit l’être encore d’une autre façon. Qui dit immigration dit aussi fuite des cerveaux. On sait par exemple que la moitié des migrants hautement qualifiés se concentre aux Etats-Unis. L’émigration qualifiée n’induit cependant un préjudice pour le pays source que lorsqu’elle se transforme en émigration durable. Pour volontariste qu’elle doit être, notre politique ne saurait, en la matière, faire fi de cet aspect des choses.

Cela étant dit, la France doit indéniablement se donner les moyens de devenir une destination de premier choix pour l’immigration de haut potentiel en augmentant les moyens alloués à la coopération universitaire et en créant des antennes des établissements d’enseignement supérieur à l’étranger. De nombreux pays ont développé des stratégies de recrutement d’étudiants internationaux avec des objectifs ambitieux. Certains sont même entrés en compétition pour attirer des étudiants au niveau de masters et doctorats. Ce n’est pas encore notre cas. Chaque établissement d’enseignement supérieur doit pouvoir définir sa propre politique internationale dans le cadre des grandes orientations définies par l’Etat, Campus France pouvant ensuite aider ces établissements à atteindre leurs objectifs.

Notre pays doit aussi impérativement améliorer les conditions d’accueil, souvent déplorables, réservées aussi bien aux étudiants qu’à la main d’œuvre hautement qualifiée. La généralisation du titre de séjour pluriannuel pourrait être un élément important de cette amélioration. De même la création d’un titre de séjour permanent pour les doctorants.

Pour que l’immigration estudiantine donne tous les résultats qu’on est en droit d’en attendre, il serait tout aussi indiqué d’améliorer le processus de sélection et d’orientation de ces étudiants, afin de limiter leur taux d’échec, plus élevé que celui des étudiants français. Il n’est sans doute pas tout à fait normal qu’un étudiant recalé à l’entrée de l’Université de Rabat puisse venir poursuivre ses études, sans autre forme de procès, à l’Université Paris-Sorbonne, laquelle, de son côté,  ne pratique pas la sélection…

De même, pourquoi ne pas s’assurer que les étudiants étrangers participent aux coûts réels de la formation, en proportion, bien sûr, de leurs ressources et des bourses françaises ou étrangères dont ils bénéficient ?

Compte tenu de la prédominance de l’anglais dans le monde, nos universités pourraient dispenser des enseignements dans cette langue, tout en faisant de la maîtrise du français une condition non négociable à l’obtention du diplôme. Nombre de pays de l’Est européen, délivrant leurs enseignements en anglais, attirent de nombreux étudiants venus du monde entier pour y suivre des études médicales ou dentaires. Faisons de même – en y ajoutant, toutefois, l’exigence d’une connaissance réelle de notre langue en fin de parcours.

Pour que les compétences de ces étudiants, une fois diplômés, puissent s’exercer dans notre pays, et pour qu’ils puissent les importer ensuite efficacement dans leur pays d’origine lorsqu’ils décident d’y retourner, il paraît enfin urgent d’élaborer une législation claire et stable relative au changement de statut d’étudiant en salarié. Malgré l’assouplissement de l’interprétation du droit en la matière, certaines situations injustes et injustifiables perdurent. Les demandes d’intervention dont je suis saisie régulièrement en témoignent cruellement.

La France, son économie, son industrie, sa recherche, ont besoin de compétences et de talents dans tous les domaines. Elles ont plus que jamais besoin de jeunes et de moins jeunes habités par un projet, ayant le goût des défis, capables d’enthousiasme et de courage. L’immigration étudiante et l’immigration professionnelle, qui ne représente malheureusement qu’une faible part de l’immigration globale, peuvent leur en fournir. A nous de les accueillir, de les former, de les accompagner. Qu’ils décident de rester sur notre sol et de partager nos destinées. Ou de rentrer dans leur pays, contribuant à notre rayonnement, attestant, à leur façon, de la grandeur du nôtre.

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