POLITIQUE – L’intégration à la française est un processus, qui aujourd’hui a évolué, même si les pouvoirs publics et les politiciens mettent toujours en avant ce modèle en partie périmé, voire largement imaginaire. Sorte de doxa régulièrement invoquée, datant d’un passé où l’intégration allait de pair avec l’engouement que suscitaient encore les valeurs de la République. L’exemple le plus éloquent de ce modèle ancien est celui de la symbiose qu’élaborèrent les Juifs entre valeurs bibliques et valeurs républicaines, ce qu’on appelle ordinairement le franco-judaïsme. Une symbiose qui servit de formidable moteur à l’intégration pour ces Juifs devenus alors depuis peu citoyens français.
L’obsession assimilatrice
Le déclin progressif de l’attrait – et de l’effectivité – des valeurs de la République, l’incapacité de cette dernière à inclure des citoyens dont les parents, voire les grands parents, sont venus d’ailleurs ont débouché sur une forme d’obsession intégratrice et de discours sur l’intégration qui ne correspondent ni à la réalité vécue par ces citoyens, ni à la volonté réelle de la France de les inclure. En outre, dans le discours de bien des politiques, « intégration » a tout simplement pris le sens d' »assimilation ». Une assimilation dont l’histoire de la France ne présente pourtant aucun exemple, à aucune époque, y compris s’agissant des Juifs qu’on présente, probablement à tort, comme l’illustration par excellence d’une assimilation réussie.
Les Juifs français embrassèrent certes la foi républicaine, tout en conservant leur identité juive. La preuve en est que peu d’entre eux changèrent de patronyme avant la Seconde Guerre mondiale, et que peu d’entre eux se convertirent au christianisme. C’est après la Guerre qu’on allait assister à une hausse significative des changements de noms, voire des conversions religieuses. C’est ainsi quand la République avait clairement rompu son contrat avec les Juifs en les déportant que la confiance de ces derniers commença à faiblir, certains optant pour un effacement plus ou moins radical de leur identité, dans l’espoir de n’avoir plus à subir les conséquences du rejet que cette identité leur avait valu.
Pour les immigrés issus du monde européen chrétien – Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais -, l’intégration ne signifia pas non plus assimilation. Ils s’accommodèrent des deux cultures, en assurant même pour certains une transmission délibérée de la culture d’origine par divers moyens y compris les écoles du jeudi (puis du mercredi).
Le mythe de l’intégration à défaut d’inclusion
En fait, c’est bien un mythe de l’intégration que la France véhicule, précisément à une époque, la nôtre, où les revendications identitaires passent de plus en plus par la culture et la religion d’origine. Ce phénomène traverse tous les pays accueillant des immigrés, et il ne constitue pas un obstacle à leur inclusion, lorsque l’Etat hôte admet la nécessité d’une réciprocité de mouvement entre les deux partenaires – accueillis et accueillants. Si l’intégration suppose un acte individuel fort, l’inclusion demande un effort similaire aux pouvoirs publics. C’est dans la convergence de ces deux mouvements, sans qu’il soit exigé de quiconque d’effacer sa propre histoire familiale pour faire partie de la Nation, qu’il est permis d’espérer une cohabitation multiculturelle positive et fructueuse.
Accuser des jeunes nés en France issus de familles venues d’ailleurs de ne pas s’intégrer est inintelligible pour les premiers concernés eux-mêmes, qui se sentent, et qui sont, pleinement français par la langue qu’ils parlent, leurs modes de vie et de pensée. Le fait même de demander la construction de mosquées visibles, de porter des signes distinctifs de la religion d’origine, de revendiquer la pratique de cette religion en toute quiétude est un signe même d’intégration. La preuve que ces gens ne se sentent pas étrangers à un pays où ils veulent vivre comme tous les citoyens, quoique en restant fidèles à une foi spécifique, comme l’autorise la loi de 1905, et à condition qu’on ne la colore pas à tout prix a posteriori d’un laïcisme qui lui est en réalité étranger.
En fait, lorsqu’on parle d’intégration, peut-on, doit-on demander à ces citoyens de gommer toute spécificité culturelle et religieuse, et surtout, pour être clair, de ne plus être (visiblement) musulmans? Absurde, irréaliste exigence dans un pays devenu irréversiblement multiculturel, et qui est multireligieux depuis si longtemps.
L’islam comme « mal »
Les actes terroristes récemment perpétrés par de jeunes français musulmans n’ont fait qu’entretenir et exacerber une islamophobie qui traverse la société française tout entière, d’autant plus depuis que les politiques de droite et d’extrême droite l’ont incluse, à mots couverts ou non, dans leur agenda politique. Peu ou prou comme cela fut le cas à la fin du XIXe siècle et dans l’entre-deux-guerres avec l’antisémitisme.
Ce sont à propos des enfants de ces Maghrébins et Noirs musulmans qu’on évoque la non-intégration comme un mal qui minerait la société française. Qui parle, en revanche, des Arabes chrétiens ? Le malaise de classe s’est reporté sur le malaise religieux que provoque l’islam aujourd’hui en France. Les efforts déployés par l’exécutif actuel pour trouver des remèdes concrets à cette situation sont problématiques à plus d’un titre, tant la perception du soi-disant « mal » a pris des proportions nationales. Les mesures préconisées, tardives, sont le plus souvent incomplètes et mal ciblées, tant le spectre du FN hante les responsables en place.
Les discriminations, preuves d’une inclusion ratée
Les discriminations sont la preuve patente et le prolongement naturel de cette inclusion ratée depuis des décennies. Elles continuent à empêcher une partie des citoyens, issus de familles non françaises, mais dûment enracinés en France, de jouir pleinement de leur citoyenneté. Elles démontrent, rappellent, aggravent jour après jour une différence et une infériorité de statut intolérables. C’est précisément ce décalage dans le traitement des populations qui empêche leur pleine appropriation des valeurs de la République.
Le rapport d’information que moi-même et mon collègue Jean-René Lecerf (sénateur UMP) avons élaboré en 2014 après l’audition d’une cinquantaine de personnalités et représentants d’organismes, rapport intitulé La lutte contre les discriminations: de l’incantation à l’action, formule un certain nombre de suggestions dont, notamment celles-ci :
Introduction, une fois tous les cinq ans, dans le recensement, d’une question sur le pays de naissance des ascendants et la nationalité antérieure afin d’obtenir des résultats mesurables sur l’ampleur des discriminations et leur déploiement.
Conforter le cadre juridique de la lutte contre les discriminations en toilettant le droit de la discrimination et en renforçant les voies de droit ouvertes à la victime de discrimination en créant une action collective devant le tribunal de grande instance en vue de constater l’existence de discriminations à l’ encontre de plusieurs salariés discriminés et d’ordonner à l’employeur de prendre des mesures de nature à faire cesser cette situation.
Envisager l’extension du recours collectif en matière de discrimination à d’autres champs juridiques et ouvrir la saisine du juge à toute association habilitée ou à tout collectif de demandeurs.
Conférer une base légale à la pratique des carrés confessionnels notamment musulmans dans les cimetières. Suggestion qui a provoqué un vif débat dans la Commission avant le vote du rapport.
Améliorer la formation des différents acteurs de la lutte contre les discriminations, particulièrement des fonctionnaires et des magistrats.
Expérimenter la remise d’un récépissé lors des contrôles d’identité et dresser un bilan de son application. Ce contrôle, source d’humiliation et qui porte toujours sur le même type de personne : jeune, noir, maghrébin, masculin, est une discrimination au faciès exclusive.
Mieux faire connaître auprès du public la mission de lutte contre les discriminations du Défenseur des droits.
En dernier lieu, pour assurer une connaissance mutuelle des religions pour un meilleur vivre-ensemble, la mise en place d’un enseignement laïc systématique du fait religieux a été suggérée. Encore un point qui a suscité de vifs débats et qui a, avec la demande relative aux carrés musulmans, bloqué le vote en première session de la publication de ce rapport (une première au Sénat). Ce vote n’a pu avoir lieu qu’une semaine plus tard, sous une pression médiatique favorable. Il convient de rappeler que le premier rapport se prononçant en faveur d’un tel enseignement date tout de même de 2002 (rédigé par Régis Debray à la demande de Jack Lang, alors ministre de l’Education nationale) et qu’il existe déjà à l’Ecole pratique des hautes études (Sorbonne) un institut (Institut européen en science des religions, IESR) dédié à la formation des enseignants sur la base du volontariat.
Les discriminations, frein à l’intégration républicaine
Le déni de l’existence même des discriminations exprimé lors des débats en Commission des Lois au Sénat démontre une fois de plus qu’il faudra mener encore un long travail pédagogique en direction des responsables politiques pour leur faire reconnaître que ces discriminations, hélas bien réelles, sont le frein principal à l’inclusion de celles et de ceux à qui on reproche avec tant de légèreté, ou d’hypocrisie, leur prétendue non-intégration. Aucune politique de la ville ne suffira à débloquer la situation si les pouvoirs publics ne mènent pas une véritable campagne de lutte systématique et efficace contre les discriminations face au logement, à l’emploi, à la santé, etc.
Il faudra beaucoup de volontarisme et d’opiniâtreté à l’Etat, aux élus locaux, aux institutions, pour convaincre la société toute entière du mal profond que constituent, pour elle, ces discriminations, et de la nécessité de lutter contre elles, dans la durée. Encore faudrait-il pour cela faire comprendre à nombre de responsables politiques que la répression, à elle seule, ne suffira jamais à mettre un terme au repli dans la radicalité religieuse que nous observons, certes porteurs de grands dangers. La République, pour s’imposer, doit aussi se faire aimer. Et incarner elle-même concrètement les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité dans lesquelles elles exige à raison que tous ses enfants se reconnaissent.
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