Ci-dessous, quelques citations extraites du débat du 7 février dernier tenu au Sénat sur une proposition de loi visant « à harmoniser les délais de prescriptions pour les provocations à la haine, insultes ou propos diffamatoires à caractère discriminatoire ».
La logique du projet de loi est la suivante : les propos discriminatoires à raison de l’orientation sexuelle ou du handicap bénéficient d’un délai de trois mois, alors que celles fondées sur la discrimination raciale, ethnique ou religieuse sont sous le coup d’un délai de prescription dérogatoire à la loi de la presse d’un an, depuis une loi de 2004. La proposition de loi vise donc à harmoniser le délai de prescription à un an pour ces deux catégories d’infraction.
La quasi-totalité des interventions en séance (à l’exception notable de celle du sénateur Jean-Yves Leconte qui refuse de s’enfermer dans ses certitudes et pose d’importantes questions) font état d’une approche conservatrice à l’égard d’Internet. Les sénateurs y voient un espace de menace, à l’image de la ministre Vallaud Belkacem qui paraphrase Nicolas Sarkozy lorsqu’elle déclare : « Internet ne doit pas être une zone de non-droit » (de manière générale, ces positions font écho à la conception « exceptionnaliste » d’Internet retenue par la CEDH, qui elle aussi tend à faire d’Internet un espace dangereux. Voir « Internet dans la jurisprudence de la CEDH »).
La proposition de loi en question avait été déposée à l’Assemblée nationale par Catherine Quéré et Jean-Marc Ayrault, et adoptée par les députés le 22 novembre 2011 à une écrasante majorité (473 voix pour, 4 contre). Le Sénat l’a adoptée à son tour en première lecture, à l’issue de ce débat dont voici un petit « best-of »…
Esther Benbassa (écologiste), rapporteur de la proposition de loi :
- Internet a cette faculté de transcender les frontières et de défier les lois, de nous ramener à la fragilité de notre pouvoir, avec cette superbe insolente que lui confèrent son « immortalité » et son universalité. Vous comprendrez qu’il est urgent, aujourd’hui, d’élaborer une loi sur la liberté d’Internet, à l’instar de la loi sur la liberté de la presse de 1881.
- Un article publié en mai 2011 par l’université de Montréal nous apprend que, en France, 49 % des décisions judiciaires liées à Internet sont rendues pour diffamation, contre 15 % aux États-Unis et au Canada. Comment expliquer ce décalage ? Les Français seraient-ils, moins que d’autres, capables d’autocontrôle ? Internet aurait-il ouvert chez nous, plus qu’ailleurs, un espace échappant définitivement à tout cadrage
- En certaines circonstances, et quelles que soient leurs cibles, les mots se transforment en véritables armes. Ils peuvent tuer. (Note: Réaction aux propos de NVB selon lesquels le nombre de suicides de jeunes homosexuels est en forte augmentation).
- Certes, le premier article de la Déclaration des droits américaine – le Bill of Rights – ne met pas de limite à la liberté d’expression. Cet amendement à la Constitution des États-Unis est entré dans les mœurs américaines, ainsi que l’éducation qui va avec et qui s’est ensuivie au fil des siècles. Bien entendu, les Américains ne sont pas pour autant des citoyens parfaits, mais on peut penser ou espérer que la pédagogie qui en a découlé a permis d’encadrer plus ou moins une liberté en principe totale (…). Dans un pays comme le nôtre, où la menace de la sanction est brandie très tôt dans l’existence d’un enfant et continue d’encadrer en toute occasion la vie des adultes, bref, dans le contexte français, il semble pour le moins peu judicieux, quand bien même on le regretterait, de se prévaloir de l’exemple nord-américain pour laisser impunis les discours racistes, homophobes, sexistes ou autres, qui envahissent la « toile ».
- Les victimes de ces infractions bénéficieraient toutes d’une protection comparable, Internet ayant multiplié les infractions commises à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité sexuelle et, dans une moindre mesure, du handicap.
- Internet offre ainsi à tout particulier la possibilité de donner une publicité à des diffamations, à des provocations ou à des injures, en bénéficiant des garanties de la loi de 1881, sans pour autant être soumis à la déontologie des journalistes. Cette situation avait déjà été soulignée dans le rapport d’information n° 338 sur le régime des prescriptions civiles et pénales du 20 juin 2007, rédigé par nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung. Une des justifications de la brièveté des délais tenait au caractère éphémère de l’infraction. Avec Internet, cette argumentation n’est plus aussi recevable : l’infraction ne disparaît plus avec le temps. Le temps bref qui avait pu être celui de la presse imprimée s’est paradoxalement allongé indéfiniment avec l’apparition d’Internet.
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