Cet amendement fait suite aux déclarations de la présidente du syndicat étudiant, qui avait assumé que de telles réunions existaient, provoquant l’ire d’une grande partie de la classe politique.
Les sénateurs ont adopté à l’unanimité des exprimés, jeudi soir 1er avril, un « amendement UNEF » auquel Marlène Schiappa, ministre déléguée à la citoyenneté, après l’avoir combattu, ne s’est finalement pas opposée, bien qu’elle l’ait jugé inconstitutionnel.
Cet amendement crée un nouveau motif permettant au gouvernement de dissoudre une association par un décret pris en conseil des ministres. Il vise les associations ou groupements de fait « qui interdisent à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion ». Il a été adopté à l’occasion de la discussion en première lecture du projet de loi confortant le respect des principes de la République, plus connu sous l’appellation de projet contre le séparatisme.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Projet de loi « séparatisme » : le Sénat tenté de durcir le texte
En le présentant, Stéphane Le Rudulier (Les Républicains, Bouches-du-Rhône) a d’entrée ciblé « les journées non mixtes interdites aux blancs », à savoir les réunions en non-mixité entre « racisés » qui sont organisées au sein du syndicat étudiant UNEF. L’exposé des motifs de l’amendement cible les « associations racistes et dangereuses pour l’intérêt général » et les réunions « interdites aux blancs organisées par l’UNEF ».
« Racisme à rebours »
La présidente du syndicat étudiant, Mélanie Luce, avait expliqué le 17 mars sur Europe 1 : « Il y a des réunions non mixtes sur les discriminations, qu’elles concernent les femmes, les LGBT ou les questions de racisme. Ce sont des groupes de paroles internes à l’organisation. (…) Ce ne sont pas des réunions publiques. Toutes les personnes qui se sentent concernées peuvent venir, on n’a jamais refusé personne ».
L’amendement initial était plus large puisqu’il permettait la dissolution des associations qui organisent « des réunions syndicales ou publiques contraires aux principes républicains ». Interpellée sur le fait que des ministres avaient critiqué ces pratiques mais n’avaient pas agi à la suite de la polémique récente, Marlène Schiappa a exprimé son « opposition personnelle et celle du gouvernement à ce type de réunion ». Mais elle a aussi assuré que l’amendement était très probablement inconstitutionnel en ce qu’il permet de porter atteinte à la liberté d’association pour des motifs autres que ceux liés strictement à la préservation de l’ordre public.
L’amendement a tout de suite reçu le soutien de la droite sénatoriale. « Le racisme à rebours ne vaut pas mieux que le racisme tout court », a affirmé Philippe Bas (LR, Manche), estimant que si la législation existante avait été suffisante pour y répondre, le gouvernement « aurait certainement engagé la dissolution de l’UNEF ». « Les réactions ne sont que médiatiques et ne sont pas suivies d’effet », a aussi critiqué Stéphane Le Rudulier.
« C’est le procès des victimes, ici ? »
A gauche, trois sénatrices ont d’abord relevé que les réunions non mixtes de l’UNEF pouvaient peut-être exprimer autre chose qu’une pure démarche de séparation. Laurence Cohen (groupe communiste, Val-de-Marne), qui s’est abstenue lors du vote, a rappelé l’expérience de groupes de parole féministes où « des femmes ont dit des choses qu’elles n’auraient pas pu dire ailleurs. Je peux comprendre qu’à un moment donné il y ait besoin, pour exprimer ce que l’on vit, d’avoir des groupes de parole ». « C’est le procès des victimes, ici !, s’est indignée Sophie Taillé-Polian (groupe Ecologiste-solidarité et territoires, Val-de-Marne). Des gens se réunissent pour parler de leur vécu et ça ne vous pose pas question ? » « Faut-il aussi dissoudre les loges [maçonniques] féminines du Grand Orient, qui ont été créées parce que les loges masculines ne voulaient pas d’elles ? », a suavement glissé Esther Benbassa (Ecologiste, Paris).
Tout le monde n’avait cependant pas les mêmes indulgences, à gauche. Le premier, Jean-Pierre Sueur (PS, Loiret) a répliqué : « Toute séparation, toute discrimination, toute ségrégation liée à la couleur de la peau est inacceptable. » Après qu’une réécriture de l’amendement eut effacé la référence aux réunions « contraires aux principes républicains » pour ne laisser subsister la possibilité d’une dissolution que dans le cas des associations qui « interdisent à une personne ou un groupe de personnes en raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion », Patrick Kanner (Nord), président du groupe socialiste, a annoncé que son groupe se ralliait à l’amendement.
Cette rectification a aussi entraîné le vote du groupe Ecologiste-solidarité et territoire et celui du groupe communiste. Se retrouvant isolée dans son opposition, Marlène Schiappa s’en est finalement remise à la « sagesse » du Sénat, tout en se disant « pas convaincue » que l’amendement soit constitutionnel. Il a néanmoins été adopté à l’unanimité.