Par C.Dubois
« Comment tisser la métropole parisienne en s’appuyant sur tous les territoires sans que le centre n’écrase la banlieue ? Les élus locaux du Val de Marne ont partagé ce lundi 24 septembre leur vision d’un Grand Paris pour le Val de Marne à l’occasion d’une table ronde arbitrée par les sénateurs Esther Benbassa (EELV) et Christian Cambon (UMP).
Un atelier qui se tenait dans le cadre d’une après-midi de réflexion sur la démocratie territoriale qui a réuni une soixantaine de maires, conseillers généraux et députés du département à l’initiative des six sénateurs du Val de Marne, afin de préparer les Etats généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat les 4 et 5 octobre. Pendant que deux autres ateliers s’intéressaient à la revitalisation de la démocratie locale avec les sénateurs Laurence Cohen (FG) et Luc Carbounas (PS) et aux compétences à attribuer à chaque échelon de collectivité locale avec Catherine Procaccia (UMP) et Christian Favier (FG), une vingtaine d’élus ont débattu du Grand Paris dans le Val de Marne, sous l’égide de Christian Cambon et Esther Benbassa.
Le Grand Paris ne doit pas phagocyter sa banlieue
«La centralité est passée dans la banlieue, pose d’entrée de jeu Jacques JP Martin, conseiller général – maire UMP de Nogent sur Mare et ancien président de Paris Métropole. Les autres métropoles se sont développées en avalant la banlieue. Si nous procédons de même, cela créera des inégalités nouvelles.» Un constat partagé par Christian Hervy, conseiller général – maire PCF- de Chevilly Larue : «Il faut éviter de bâtir un Grand Paris avec un centre de plus en plus riche bénéficiant d’infrastructures variées tandis que la population pauvre est rejetée de plus en plus loin, comme cela se passe aujourd’hui. De même, il faut éviter une construction qui s’inscrive systématiquement en concurrence avec les autres.» Une métropole pour quoi faire ? «L’important pour les habitants est de pouvoir facilement se cultiver, se former, se rendre au travail… », reprend l’édile de Chevilly.
Un Grand Paris des territoires
Au-delà de cette dualité centre-périphérie que les élus appellent à dépasser, Daniel Breuiller, conseiller général – maire EELV d’Arcueil, invite à ne pas penser la métropole en pôles d’attraction qu’il suffirait de relier entre eux mais à la construire à partir de tous les territoires, faisant un rapprochement avec le débat qui s’est tenu il y a deux ans entre les deux projets de nouveau réseau de transport public francilien, l’un proposé par l’Etat via la SGP (Société du Grand Paris) qui visait à relier au plus vite les grands pôles économiques, l’autre, préconisé par la région, qui renforçait davantage l’accès de proximité aux grands réseaux. «Le risque existe que ces nouvelles lignes de transport ne servent qu’à emmener plus vite des personnes travailler toujours plus loin», s’inquiète l’élu écologiste.
Privilégier les coopérations et l’expérimentation
Comment faire pour gouverner un Grand Paris des territoires ? «Nous devons réfléchir à un pilotage pluriel et multi-échelle, propose Jacques JP Martin. Notre défi est de partir des communes, départements et intercommunalités pour travailler de manière plus solidaire et transversale.» Pas question de supprimer des échelons de gouvernance. «Cela ne me parait pas possible de tirer un trait sur l’organisation existante actuellement. Il faut développer des coopérations mas je ne vois pas l’émergence d’un pouvoir local fort à brève échéance. Ce n’est pas à l’échelle de la métropole qu’on règle par exemple les questions sociales», note Christian Hervy. «Les maires doivent continuer à peser car ils représentent les habitants», insiste encore Nicolas Clodong, conseiller général de Saint Maur centre.
Tout le monde s’accorde en revanche sur l’intérêt des intercommunalités pour développer les coopérations et sur la nécessité de préférer l’expérimentation au placage d’une nouvelle structure. «Une commune ou une intercommunalité peut tout à fait être à l’origine d’un projet métropolitain comme un grand équipement culturel, pointe Pascal Salvodelli, conseiller général PCF d’Ivry sur Seine. Il faut aussi tenir compte des bassins de vie qui dépassent les frontières d’une intercommunalité.»
Si dans les discours, l’intercommunalité est plébiscitée, elle est en pratique encore loin d’être achevée dans le département. Aujourd’hui, le Val de Marne compte 7 communautés d’agglomération ou communautés de communes, qui ne représentent 29 communes sur les 47 du département. La dernière qui a été créée est celle de Vitry-Ivry-Choisy (voir article, et voir le projet de schéma départemental d’intercommunalité présenté fin 2011). A noter qu’en parallèle de cette réflexion sur les intercommunalités, la préparation des Contrats de développement territoriaux (CDT) destinés à accompagner la construction des gares du Grand Paris Express a aussi pour objet de renforcer les coopérations entre les communes (voir article sur les CDT dans le Val de Marne).
Rééquilibrer les disparités sociales et économiques
Le rééquilibrage entre l’Ouest parisien, qui concentre l’activité économique et les emplois, et l’Est parisien, a évidemment été posée par les élus du Val de Marne qui ne se sont toutefois pas arrêtés à ce seul clivage. Daniel Breuiller a évoqué le rééquilibrage Nord Sud et plusieurs élus ont insisté sur les poches de pauvreté dans l’ensemble de la métropole. «La région parisienne est l’une des plus riches d’Europe mais elle est traversée par de profondes inégalités urbaines qui se traduisent par des inégalités sociales», rappelle Jacques JP Martin. «Le Grand Paris n’est pas un coffre-fort. Il y a des zones très riches mais aussi de très pauvres, et le statu quo n’est pas possible car les inégalités continuent de se creuser. S’il y a une émeute dans une ville de banlieue, c’est l’image de l’entière métropole qui sera touchée», note Daniel Breuiller. «Toutes les métropoles suscitent un sous-prolétariat, Shanghaï, Tokyo et autres n’en sont pas exemptes», tempère sur ce point Serge Lagauche, ancien sénateur PS du Val de Marne actuellement vice-président de la communauté d’agglomération de Plaine Centrale. «Je ne suis pas partisan d’un rééquilibrage à l’Est, nous avons suffisamment de moyens pour nous débrouiller nous-mêmes», note de son côté Jean-Pierre Spilbauer, maire UMP de Bry sur Marne. Pour Christian Hervy, la réflexion sur le développement économique du territoire ne doit pas omettre la place de l’industrie, «sinon, c’est du baratin ou des emplois aidés !»
Concernant le rééquilibrage, les élus de droite ou de gauche se méfient néanmoins des mesures générales proposées par l’Etat. A gauche, Daniel Breuiller s’interroge sur les milliers de m2 de bureaux prévus autour des futures gares, qui risquent de ne pas tous voir le jour. A droite, Jacques Leroy, conseiller général UMP et premier adjoint au maire de Saint Maur des Fossés, plaide son impossibilité à construire des logements sociaux dans sa commune, compte-tenu de la non-disponibilité du foncier et de son coût. Le système de péréquation basé sur les richesses économiques des départements sans tenir compte de leurs charges est également dénoncé. «Il n’est pas normal que la Seine Saint Denis contribue !», s’indigne Alain Blavat, conseiller général PS de Cachan.
Quelle lisibilité pour les citoyens ?
Quelle lisibilité du Grand Paris pour les citoyens alors que s’enchevêtrent différents échelons de gouvernance? Jean-Pierre Spilbauer témoigne de la difficulté à expliquer le principe du CDT à ses concitoyens, et énumère toutes les enquêtes publiques sur lesquelles ces derniers vont devoir se prononcer, entre les lignes rouge et orange du Grand Paris Express, le SDRIF (Schéma directeur de la région Ile de France) et encore l’Est TVM. Daniel Guérin, conseiller général MRC de Villeneuve le Roi s’inquiète pour sa part de la pluralité des opérateurs du Grand Paris Express, entre la Société du Grand Paris (SGP), le Syndicat des transports d’Ile de France (STIF) et les éventuels partenaires privés.
L’incontournable question des transports
Comme l’illustrent ces derniers exemples, les projets concrets du Grand Paris concernent essentiellement le transport. Autour de la table, les élus voudraient pourtant dépasser cette seule question. «Le Grand Paris est trop orienté transport», regrette ainsi Daniel Guérin. Mais le sujet revient à chaque détour de la conversation. «Le Grand Paris n’est pas seulement un réseau de transport mais le réseau de transport en est la colonne vertébrale», admet Jacques JP Martin. «La semaine dernière, il y avait 300 personnes à Bry sur Marne à la réunion d’enquête publique concernant la future gare de Champigny-Bry-Villiers (ligne rouge du Grand Paris Express). Et les habitants n’ont pas manqué de rappeler leur problème immédiat : le RER A bondé !», témoigne Jean-Pierre Spilbauer. Et la ligne A qui trimballe chaque jour 1 million de Franciliens n’est pas seule en cause. En novembre 2011, le Conseil général du Val de Marne avait voté à l’unanimité des vœux pour améliorer les RER A, B, C et D. (voir article) Quant au E, un élu s’inquiète de son prolongement, non seulement à l’Ouest mais aussi à l’Est, pour desservir les Seine et Marnais.
La question de la ligne orange du Grand Paris Express, cette branche qui partira de la ligne périphérique rouge pour rejoindre Champigny au nord de Paris en passant par Nogent-Le Perreux, Val de Fontenay, Rosny sous Bois…, et qui devrait être directement financée par le STIF, soucie aussi les élus, tout comme le prolongement de la ligne 14 vers le sud.
La question du Grand Paris aéroportuaire concerne aussi très directement le Val de Marne. «Le déplacement aérien reste actuellement un impensé. Il faut réfléchir à la gouvernance partagée des territoires et des aéroports», pointe Christian Hervy. (voir ce sujet le débat sur l’avenir d’Orly)
Inscrivant le débat dans une perspective géographique plus large, Daniel Wappler, maire de Villecresnes, invite pour sa part à penser la métropole parisienne dans l’Europe, en fonction de l’évolution de cette dernière… »