Les arguments de Ludovine de la Rochère mis à mal dans un débat sur Europe 1 (Yagg, 5 août 2014)

La présidente de la «Manif pour tous» a été contredite par la sociologue Dominique Mehl, le pédopsychiatre Gilles-Marie Valet et la sénatrice Esther Benbassa (EELV).

Le Grand Débat d’Europe 1 qui a eu lieu ce dimanche 3 août au sujet de la procréation médicalement assistée (PMA), de la gestation pour autrui (GPA), de la filiation et de l’homoparentalité fut l’occasion pour plusieurs invité.e.s de confronter leurs points de vue sur ces questions. Ludovine de la Rochère, présidente de la «Manif pour tous», le docteur Chadi Yazbeck, spécialiste des questions liées à la PMA, la sociologue Dominique Mehl, elle aussi spécialiste de cette question mais avec une autre perspective, le pédopsychiatre Gilles-Marie Valet, la sénatrice Esther Benbassa (EELV) et Marie, l’une des deux lesbiennes à l’origine du manifeste des 343 «fraudeuses», ont ainsi pu échanger.

DISCRIMINATION
Après la diffusion d’un reportage sur un couple de femmes ayant eu recours à une PMA, Ludovine de la Rochère a commenté qu’elle avait «les cheveux qui se dressent sur la tête» en entendant cette histoire… Avant de critiquer toute approche «sentimentaliste» fondée sur la subjectivité. Elle a souligné que si le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe figuraient parmi les 60 engagements de François Hollande – mesures contre lesquelles elle continue à lutter –, la PMA n’a été promise par le candidat à la présidentielle que dans une interview. La présidente de la «Manif pour tous» reproche aux partisan.e.s de l’égalité des droits de vouloir instaurer de l’égalité dans «des situations ontologiquement différentes». Et elle reproche notamment aux femmes qui recourent à une insémination en Belgique de choisir le donneur de sperme en fonction de la couleur de ses cheveux ou de ses yeux.

Des arguments balayés par Marie qui a fait remarquer qu’en France, lors d’une PMA, pour conserver l’illusion que le père stérile a un lien biologique avec son enfant, les médecins tentent de sélectionner un donneur qui lui ressemble physiquement et qui a le même groupe sanguin. Et face au docteur Chadi Yazbeck qui met en avant que l’accès à la PMA a jusqu’ici été réservé à des cas de stérilité médicalement constatée, la militante démontre que le droit français introduit en fait une discrimination: une femme stérile mariée à un homme peut recevoir une insémination, la même femme, si elle épouse une autre femme, n’y aura pas droit.

LA FILIATION EST «UNE CONSTRUCTION»
«Tout enfant naît d’un père et d’une mère!», a vivement réagi Ludovine de la Rochère. Une conception réductrice, fondée sur des considérations religieuses, a martelé Esther Benbassa en insistant pour que l’ouverture du mariage soit suivie de conséquences législatives pour que les couples homos puissent légalement avoir des enfants. C’est ce qu’elle compte mettre en œuvre dans une proposition de loi. Si la présidente de la «Manif pour tous» n’a eu de cesse de répéter que ses arguments n’avaient rien de religieux, son slogan a été mis à mal par le pédopsychiatre Gilles-Marie Valet. «On ne naît pas d’un père et d’une mère, mais d’un gamète femelle et d’un gamète mâle, a-t-il affirmé. On ne ne peut pas faire croire à un enfant qu’il est né de deux femmes, mais rien n’empêche cet enfant de développer cette filiation qui fait de lui le fils ou la fille de ce père, de cette mère, de cette autre mère ou de cet autre père.» Comme l’a rappelé Esther Benbassa, la filiation est «une construction».

«On respecte le désir d’enfant des hétérosexuel.le.s, mais ce même désir qui existe chez les couples de femmes devient un droit à l’enfant illégitime et l’enfant devient une chose», a abondé Marie pour critiquer la façon discriminante dont la «Manif pour tous» regarde les couples de même sexe par rapport aux couples hétérosexuels. «Tout enfant a droit à un père et une mère», s’est bornée à répéter Ludovine de la Rochère en assurant qu’elle n’a rien d’homophobe. Ce à quoi la militante a fait valoir que les célibataires ont accès à l’adoption depuis 1966. Ce n’est pourtant qu’en 2012, lorsqu’il a été question de mariage et d’adoption pour les couples de femmes et les couples d’hommes, que la «Manif pour tous» a vu le jour.

INCOHÉRENCE DE LA «MANIF POUR TOUS»
Le fameux «intérêt de l’enfant» dont se prévaut le mouvement varie donc selon les circonstances. Pour Ludovine de la Rochère, il ne faut pas reconnaître la nationalité française aux enfants de Français.es né.e.s par GPA à l’étranger. Elle assume d’avoir «un avis différent de celui de la CEDH» et estime que le fait pour ces enfants de ne pas avoir la même nationalité que leurs parents «ne les empêche pas de vivre». La Cour a pourtant jugé que cela pose problème lorsqu’il est question de succession mais aussi pour l’identité même de ces enfants dont la filiation à l’égard de leurs parents n’est pas reconnue. La position de Ludovine de la Rochère n’a pas manqué de faire réagir la sociologue Dominique Mehl, appelée à éclairer ce débat par son expertise. Dominique Mehl a jugé que la présidente de la «Manif pour tous» a une position incohérente en invoquant la défense de l’intérêt de l’enfant dans un cas, tout en ayant un brandissant un argument inverse dans un autre cas.

La situation a finalement été résumée par l’animateur du débat, Hervé Chabalier, qui a indiqué à Ludovine de la Rochère: «Vous avez des positions très claires, mais qui ne varient pas et sans aucune subtilité. La société change, mais avec vous toute évolution est bloquée.» Tout comme Marie des 343 «fraudeuses» Gilles-Marie Valet a finalement mis en lumière le fait que les questions qui font aujourd’hui débat «dépassent le fait d’être homosexuel.le ou hétérosexuel.le car la sexualité des parents n’a rien à voir avec la filiation». La sociologue Dominique Mehl a conclu l’émission par une référence à Robert Badinter qui s’était prononcé en 1985 pour «la liberté de procréer». «Je crois que c’est l’enjeu aujourd’hui», a-t-elle précisé en rappelant qu’une grande diversité caractérise aujourd’hui les familles françaises et que cette évolution n’a pas été jusqu’ici suivie d’effets en droit.

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Publié par
Journaliste de Yagg.