La lutte contre le chômage est désormais une « cause nationale ». L’emploi est même « le seul rassemblement qui convienne », a déclaré François Hollande en visite en Chine, jeudi soir. Compréhensible, alors qu’il n’y a jamais eu autant de chômeurs en France. Façon aussi de tourner la page du mariage gay et des tensions qu’il a suscitées. Mais pas seulement : les réformes sociétales vont désormais passer au second plan.
Exit, par exemple, la procréation médicalement assistée (PMA) : c’est le Premier ministre qui le confirme à demi-mots. Interrogé par 20 Minutes vendredi sur l’enterrement de cette mesure qui devait être inscrite dans la loi famille, Jean-Marc Ayrault répond laconiquement : « On ne va pas ouvrir tous les jours un nouveau débat. Il y a un rythme pour chaque réforme. Je ne veux pas réformer en passant en force. Plus que jamais, je veux rassembler les Français autour de la bataille de l’emploi ». Ne pas rajouter de la tension à la crispation, « apaiser » la société alors que PMA et GPA ont pollué les débats sur le mariage pour tous à l’Assemblée, au Sénat et dans la rue.
« Tout ça, c’est des paroles »
Pour l’écologiste Esther Benbassa, pas de surprise : « Il aurait fallu qu’elle soit incluse dans la loi sur le mariage. Je ne vois pas l’intérêt de ce mariage sans la PMA », explique la sénatrice. « C’est dommage parce qu’il était prévisible que le gouvernement n’ouvrirait pas de nouvelle bataille sur ce sujet ». Selon elle, tenir cette promesse est « toujours possible, peut-être dans un an, quand les esprits se seront calmés ». Jean-Pierre Michel (PS) va même plus loin : « C’est inévitable. Politiquement, le gouvernement choisira le moment pour le faire, mais ça viendra. Ce n’est pas possible autrement ». Le rapporteur du texte au Sénat accueille ce retard avec sagesse : « Tout ça, c’est des paroles ». Pour Esther Benbassa, il ne s’agit pas nécessairement d’un manque de courage politique : « On n’en est même plus là. Maintenant, il faut sauver les meubles. Donc on oublie aussi le droit de vote des étrangers, la fin de vie digne, l’amnistie sociale… »
Promesse de campagne, le droit de vote des étrangers aux élections locales avait, un temps, été envisagé dans le cadre d’une réforme constitutionnelle. Impossible de trouver une majorité des trois cinquièmes sur la question, qui passe une nouvelle fois à la trappe. La question de la fin de vie pourrait connaître le même sort. Depuis la remise du rapport Sicard en décembre, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a été saisi et devait remettre son avis en avril. Il le fera finalement en juin, et le gouvernement a promis de légiférer. « On est sans nouvelles de ce texte, et personne n’a pour l’instant lancé de SOS », raille le sénateur UMP Roger Karoutchi. L’Assemblée nationale a d’ailleurs rejeté, jeudi, une proposition de loi de Jean Léonetti (UMP), visant à améliorer son propre texte de 2005… L’arbitrage sur la modulation des allocations familiales en fonction du revenu a, lui, été repoussé à l’automne. Et le gouvernement vient tout juste de fusiller la loi d’amnistie sociale, provoquant l’ire des élus communistes et Front de Gauche.
Sénatrice et porte-parole du PS, Laurence Rossignol s’étrangle : « Quand on fait des réformes de société, on nous accuse de créer des leurres pour masquer la bataille économique et sociale ; et quand on s’occupe d’emploi, on nous accuse d’abandonner les réformes de société ! » Selon elle, « il ne faut pas que la mobilisation contre le mariage ait tué, vitrifié la suite des réformes sociétales qu’on doit mener. Ce n’est pas parce que ça n’a pas été facile qu’on doit oublier le reste : ce serait accorder à ceux qui y sont opposés une victoire par anticipation ». Cela dit, elle soutient le gouvernement dans son offensive sur l’emploi : « En faire une cause nationale, c’est créer l’union de toutes les forces sociales autour de cette bataille. Les outils sont là, mais les bénéficiaires ne s’en saisissent pas assez. Il y a une prudence de la part des entreprises, une certaine circonspection et un délai d’observation. On ne change pas de politique, on ne fait pas de zigzags sur ce qui a été mis en place. Mais toutes les grandes lois sur l’emploi qu’on a faites ont été masquées par le mariage pour tous. Là, on remet au premier plan ce qui a été fait et, parfois, mal vu ».
« Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? »
Pas convaincu, Roger Karoutchi dénonce un « effet d’annonce » : « A moins que François Hollande nous dise : « Je me suis planté, les mesures que j’ai prises ne sont pas efficaces et voilà de nouvelles mesures sur la compétitivité des entreprises, pour créer de l’emploi ». Moi, j’aurais espéré que le gouvernement fasse de l’emploi la priorité depuis le début ». « On a perdu beaucoup, beaucoup de temps. Il a déjà gâché son quinquennat, cette première année est cataclysmique », juge-t-il, demandant d’autres actions en matière « de logement et de fiscalité ».
Ce changement de priorités permettra-t-il d’amorcer le « nouveau temps du quinquennat » que réclame le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone ? Le pari est risqué, s’inquiète Esther Benbassa : « Les socialistes sont en train de perdre leurs électeurs, ils oublient une partie de leur ADN. Je comprends l’importance du chômage, mais on ne va pas parler que de ça pendant quatre ans. Il faut prendre des mesures mais aussi poursuivre les réformes sociétales. Tout va de pair ».
L’opposition, elle, devrait s’en réjouir. Elle n’a cessé de dénoncer la discussion, au Parlement, de textes « pas prioritaires » et « mal ficelés ». « Il faut qu’on arrête de faire perdre du temps aux pouvoirs publics, au Parlement », lance Roger Karoutchi, qui accuse un calendrier parlementaire « déséquilibré » : « Il y a des semaines où sincèrement, on vole notre salaire de sénateur ou de député parce qu’on fiche rien, on se demande pourquoi on est venus, on erre dans la salle des conférences [du Sénat] à la recherche d’un hypothétique journaliste pour enfin avoir une activité. Et puis il y a des semaines où il faut siéger jour et nuit, samedi compris. Qu’est-ce que c’est ce cirque ? »