Trente-un sénateurs socialistes ont signé, ce mercredi 10 août, une tribune dans le journal Le Monde afin de lancer une concertation sur la légalisation du cannabis avant de déposer une proposition de loi. Au Sénat, cette idée est pourtant loin de faire consensus.
« La situation est intenable. » Trente-un sénateurs socialistes ont lancé un cri d’alerte sur la situation du cannabis en France, ce mercredi 10 août, dans une tribune dans Le Monde. Affolés par des indicateurs français parmi les plus mauvais d’Europe – 18 millions de personnes ont déjà consommé du cannabis, et un million en fume régulièrement – les sénateurs appellent à sa légalisation.
Le sénateur porteur de cette tribune, Gilbert-Luc Devinaz, veut lancer un processus de concertation dans l’objectif de déposer une proposition de loi en faveur de la légalisation du cannabis. Pour le socialiste, il faut sortir du paradoxe français. « Malgré le fait que nous soyons le pays qui réprime le plus, nous sommes celui où la consommation est la plus importante. Soyons honnêtes, la prohibition est un échec. » Même s’il estime la légalisation pas entièrement satisfaisante, c’est pour lui, la moins mauvaise solution.
La vente du cannabis est interdite en France depuis une loi de 1971 de lutte contre la toxicomanie, dans la droite ligne de ce qu’il se passait la même année de l’autre côté de l’océan quand le président américain Nixon lançait officiellement sa « war on drugs ». Depuis le 1er septembre 2021, les consommateurs de drogue peuvent recevoir une amende 200 euros.
Aujourd’hui pourtant, certains États américains sont revenus sur l’interdiction et ont adopté soit une légalisation, soit une dépénalisation. C’est justement du modèle américain que dit s’être inspirée Esther Benbassa, sénatrice écologiste non inscrite de Paris, qui avait déposé pour la première fois une proposition de loi pour légaliser le cannabis en 2014. Se rappelant que ses collègues du PS n’avaient pas voté sa loi à l’époque Esther Benbassa se dit toutefois ravie. « C’est vrai que les socialistes réfléchissent à ce genre de loi quand ils sont dans l’opposition mais c’est bien qu’ils aient changé d’avis. »
Contrôler les produits et maîtriser la consommation
A quelques années d’intervalle, leurs arguments se recoupent. Légaliser permettrait de mieux contrôler les produits ainsi que les consommateurs, afin d’éviter davantage d’accidents. Alors que le taux en THC (la substance psychotrope) du cannabis a explosé ces dernières années en France, la légalisation pourrait permettre de déterminer un taux à respecter ainsi que la composition de la drogue. Elle s’accompagnerait également d’une barrière à l’âge qui pourrait réduire le nombre de jeunes consommateurs.
Selon le sénateur du Rhône, Gilbert-Luc Devinaz, passer de la prohibition à la légalisation serait aussi bénéfique en termes de sécurité publique. « Aujourd’hui le cannabis pourrit la vie de certains habitants, pas à cause des consommateurs, mais à cause des points de deal. » Réintégrer dans le circuit légal cette économie mettrait non seulement fin à une grande partie du trafic et à la violence associée, mais rapporterait aux finances publiques, assurent les défenseurs de cette solution. Selon une étude du Conseil d’Analyse Economique, c’est 2,8 milliards d’euros par an qui pourraient arriver dans les caisses de l’Etat. Des recettes que les sénateurs aimeraient voir réinvesties dans la prévention contre ce produit.
Autre point soutenu par les pro légalisation : alors que 14,7 % de la population carcérale est condamnée pour une infraction liée à la drogue, légaliser pourrait alléger le système judiciaire et carcéral.
Légaliser : un serpent de mer de la vie politique et sociétale
Quant à la dépénalisation, où l’usage et le trafic resteraient illégaux mais où les consommateurs ne risqueraient plus rien ? Ce serait trop hypocrite, juge Bernard Jomier, sénateur socialiste qui a signé la tribune. « Cela soulage l’institution judiciaire, mais ça ne change rien à la consommation notamment des jeunes, ni aux circuits économiques mafieux. »
Si les sénateurs socialistes signataires sont tombés d’accord en faveur de la légalisation plutôt que les autres formules, ce n’est pas le cas de tous. Même au sein des rangs socialistes au Sénat, la parole n’est pas unanime. Catherine Conconne, sénatrice de Martinique, qui se définit elle-même « anti-drogues » s’oppose radicalement à la dépénalisation ainsi qu’à la légalisation. Elle n’adhère pas aux arguments soutenus par sa famille politique. Pour celle qui a demandé une réactualisation d’une législation comparée, l’exemple des autres pays ayant adopté ces solutions n’est pas satisfaisant. « Il n’y a pas tant de progrès que cela », juge-t-elle.
Pour la sénatrice martiniquaise, c’est avant tout une question de santé. « Je n’envisage pas seulement cela d’un point de vue légal et pénal mais sous l’angle humain. Le cannabis est une drogue néfaste pour la santé. Trouvons les moyens de proposer aux personnes mal dans leurs peaux autre chose qu’un psychotrope avec des conséquences qui sont avérées. »
Sur la question de la santé mentale, elle est rejointe par la sénatrice Les Républicains, Pascale Gruny, qui assure qu’il n’y a pas besoin d’une légalisation mais plutôt d’une meilleure prise en charge des personnes addicts et avec des troubles psychiatriques. Pour la sénatrice LR de l’Aisne, ouvrir la porte à la légalisation du cannabis est inquiétant. « Et on s’arrêtera au cannabis ? Non, après on s’attaquera aux drogues dures. »
Pour le sénateur de Paris, Bernard Jomier, sous l’opposition de ses collègues à la légalisation se cache « un grand conservatisme » et une « posture politicienne ». « La prohibition n’est qu’un affichage politique qui ne règle rien et qui perpétue le développement d’une économie mafieuse et souterraine. »