Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel (mon intervention en séance, 31 juillet 2012)

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel (n° 712, 2011-2012)

Discussion générale

Mardi 31 juillet 2012

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les présidentes de commission et de délégation, mes chers collègues, une lecture comparative du texte initialement adopté par le Sénat et de celui qui a été voté par l’Assemblée nationale, qui s’est largement « coulé » dans le premier, rend manifestes d’emblée, et une nouvelle fois, les signes réconfortants d’une authentique collaboration parlementaire, par-delà les différences de sensibilité politique, et dans le souci exclusif de garantir aux victimes de harcèlement sexuel la possibilité de faire entendre leur souffrance et d’obtenir la sanction de leurs harceleurs.

Il était urgent que les deux chambres comblent le vide juridique créé du fait de l’abrogation par le Conseil constitutionnel, en vertu de sa décision du 4 mai 2012 consécutive à une question prioritaire de constitutionnalité, de l’article 222-33 du code pénal définissant le délit de harcèlement sexuel.

La qualité des débats au sein des deux assemblées a traduit tout le soin mis par les parlementaires pour aboutir à un texte qui, nous l’espérons toutes et tous, sera définitivement à l’abri d’une nouvelle abrogation par le Conseil constitutionnel.

Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, et leurs équipes ont été à la hauteur d’une tâche difficile, et ont su travailler la main dans la main avec les parlementaires. À ce titre, je tiens à rendre hommage à leur travail.

Les modifications de fond et les rectifications rédactionnelles apportées par nos collègues députés ont contribué à améliorer la structuration du texte et à accentuer sa précision. En substituant au mot « agissements » celui de « comportements », nos collègues députés n’ont finalement fait que revenir au texte de notre commission des lois. Ils ont également reproduit in extenso la définition du harcèlement sexuel dans le code du travail. L’alignement des peines applicables en cas de harcèlement moral sur les sanctions prévues pour le harcèlement sexuel constitue, de même, une avancée substantielle.

Parmi les ajouts effectués par nos collègues députés, l’obligation d’un affichage, sur le lieu de travail, des articles du code pénal relatifs au harcèlement sexuel ou moral, de même que les dispositions en faveur d’une meilleure protection des victimes, relève bien sûr d’une sage et utile prophylaxie sociale.

Toutefois, j’émettrai quelques réserves quant à la prolifération des affichages qui risquent de tapisser les murs de nos entreprises ou de nos administrations, et de perdre, par l’effet de l’excès ou de la banalisation, une part de leur efficacité. (M. Jacques Mézard acquiesce.)

Personnellement, j’aurais préféré que les articles du code pénal relatifs au harcèlement moral et sexuel – ainsi que les dispositions de protection – soient fournis individuellement par le service des ressources humaines à chaque salarié embauché, avec son contrat de travail, sur simple papier libre. De fait, prenons garde de ne pas tomber dans le piège de ces photographies de poumons abîmés par la cigarette que l’on affichait autrefois sur les murs des couloirs des écoles : non seulement ces clichés n’empêchaient personne de fumer mais ils finissaient par être banalisés par le regard, n’étant même plus vus au sens propre du terme.

Il y aurait peut-être plus de solennité à accompagner les contrats de semblables documents, au moment même de leur signature, dans un souci de responsabilisation accrue des employeurs et des employés. D’ailleurs, aux États-Unis, les employeurs sont tenus de répondre chaque année à un questionnaire informatique destiné à mesurer leur degré de compréhension des réalités du harcèlement sexuel.

Par ailleurs, pour être militante anti-discriminations depuis de nombreuses années, je suis tout à fait satisfaite que la transphobie ait été reconnue comme une forme de discrimination dans le code pénal, dans le code du sport, dans le code du travail, dans la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, au deuxième alinéa de l’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et dans la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Peut-être aurions-nous pu accorder une place au terme de « transgenres », comme les associations le suggéraient initialement. Néanmoins, je ne suis pas certaine que ce mot eût été aisément compris par les magistrats. En effet, l’usage de ce vocable est encore peu répandu en France, si ce n’est dans certains milieux militants ou dans la recherche en sciences sociales. Dans le monde anglo-saxon, les mots de gender et transgender ont sans doute acquis une autre visibilité et une autre légitimité que les termes de « genre » et « transgenre » dans notre pays.

J’émettrai une ultime réserve concernant le libellé du sixième alinéa de l’article 2 quater dans la mouture de l’Assemblée nationale : l’accumulation des mots risque de rendre légèrement confuse la lecture du texte dans le code de procédure pénale. Ainsi peut-on lire cette formule : « des mœurs ou de l’orientation ou l’identité sexuelle ». Pour plus de clarté, il aurait sans doute été opportun de la rédiger ainsi : « des mœurs, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ».

En tout état de cause, sur la question de l’« identité sexuelle », la discussion conduite au Sénat, qui a impliqué les représentantes et les représentants de tous les groupes politiques, avait été exemplaire et avait témoigné de la volonté commune de réprimer la transphobie en droit français.

Enfin, la transphobie constitue désormais une forme pleinement reconnue de discrimination. Pour ma part, je me réjouis de cette heureuse rencontre entre les réflexions des législateurs et les attentes de la société civile.

Bien sûr, l’article 7 ajouté par les députés, en maintenant la compétence de la juridiction correctionnelle pour statuer sur une demande d’indemnisation, permet d’apporter une solution aux effets induits par l’abrogation résultant de la décision du Conseil constitutionnel en date du 4 mai 2012. Même si certains peuvent encore considérer ce dispositif comme fragile, il donne tout de même la possibilité aux tribunaux pénaux de demeurer compétents sur la demande de réparation de la partie civile dont ils auraient été saisis, alors que l’action publique est éteinte.

De surcroît, l’article 7 précise que ce dispositif n’est applicable qu’aux demandes d’indemnisation formulées avant la clôture des débats. Ainsi, les auteurs de harcèlement sexuel ne pourront plus se prévaloir de la seule décision du Conseil constitutionnel, tandis que les victimes pourront obtenir la réparation civile des préjudices subis. Cette évolution n’empêchera pas, naturellement, une personne accusée indûment de harcèlement sexuel de se défendre en invoquant l’article 226-10 du code pénal, réprimant la dénonciation calomnieuse. (Mme la garde des sceaux acquiesce.)

Madame la garde des sceaux, vous trouverez certainement la solution pour que les décisions des tribunaux puissent être appliquées par les divers conseils disciplinaires, au sein des institutions dont ils relèvent.

Vous l’aurez compris, le groupe écologiste se félicite de l’adoption par la commission mixte paritaire des dispositions du projet de loi restant encore en discussion, et ses membres voteront évidemment les conclusions qui nous sont soumises.

Pour conclure, en cette dernière séance de notre session extraordinaire, puis-je vous confesser que nos débats autour du harcèlement sexuel m’ont appris ou réappris, à moi, professeur d’université, toute la modestie que nous devons conserver devant les mots ? Dans une société qui se dit moderne, progressiste et démocratique, la loi est là, aussi et sans doute avant tout, pour défendre celles et ceux qui se trouvent momentanément en situation de faiblesse et de précarité. Or, pour ceux-là et pour celles-là, tout peut se jouer sur un simple mot, sur une simple formule.

C’est une évidence, me répondrez-vous ? Pas si sûr. J’ai beaucoup écrit dans ma vie, mais ces dix premiers mois au Sénat n’auront pas été de trop pour m’imprégner de cette vérité à la fois toute simple et essentielle. Peut-être savais-je déjà tout cela vaguement, mais désormais, je l’ai appris clairement, et grâce à vous tous. Merci, chers collègues, de m’avoir dispensé cette belle leçon, à mon âge avancé (Dénégations amusées sur plusieurs travées de l’UMP et du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On ne peut pas vous laisser dire cela !

Mme Esther Benbassa. … mais il n’y a pas d’âge pour apprendre, n’est-ce pas ? (Applaudissements.)

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