N° 579
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juin 2012 |
PROPOSITION DE LOI
relative à la définition et à la répression du harcèlement sexuel,
PRÉSENTÉE
Par Mme Esther BENBASSA, M. Jean-Vincent PLACÉ, Mmes Corinne BOUCHOUX, Aline ARCHIMBAUD, M. Jean DESESSARD, Mmes Leila AÏCHI, Marie-Christine BLANDIN, MM. Ronan DANTEC, André GATTOLIN et Joël LABBÉ,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Par une décision (2012-240 QPC) du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 222-33 du code pénal, qui définissait et réprimait ainsi le délit de harcèlement sexuel : « Le fait de harceler autrui, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende ».
Cet article, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, méconnaissait, selon le Conseil, le principe de légalité des délits et des peines.
Face au vide juridique qui résulte de cette décision, il appartient au législateur de définir à nouveau le délit de harcèlement sexuel, en déterminant de façon suffisamment précise les éléments constitutifs de l’infraction1, et en veillant à ne pas pour autant opter pour une définition trop restrictive, afin de garantir au mieux les droits des victimes.
L’abrogation de l’article 222-33 du code pénal, depuis le 5 mai 2012,2 a conduit à l’annulation des affaires en cours sur le fondement de cet article, privant ainsi les plaignants de recours pénal effectif3.
Les affaires de harcèlement sexuel dans le cadre des relations professionnelles ne sont toutefois pas concernées par cette abrogation, la décision du Conseil constitutionnel ne concernant ni la définition issue du code du travail, ni la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Il convient cependant d’éviter qu’une nouvelle inconstitutionnalité ne soit encourue dans ce domaine, et donc de veiller également à ce que soit davantage précisée la définition du harcèlement sexuel aussi bien dans le cadre professionnel que dans le secteur privé ou public.
En effet, concernant les salariés relevant du droit privé, l’article L. 1153-1 du code du travail dispose : « Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits ».4 L’article L. 1155-2 du même code réprime, quant à lui, le harcèlement, prévoyant une sanction d’un an d’emprisonnement et une amende de 15 000 €.
S’agissant des fonctionnaires, l’article 6 ter de la loi de 1983 précitée prévoit qu’aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être engagée à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération « 1° Le fait qu’il a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers ».
Ces deux définitions, relativement imprécises, risquent donc, à leur tour, d’être sanctionnées par le Conseil constitutionnel pour méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, s’il avait à en être saisi par voie de question prioritaire de constitutionnalité. Il appartient, dès lors, au législateur de s’en préoccuper également en adoptant de nouvelles définitions du harcèlement sexuel dans le cadre professionnel.
L’objet de la présente proposition de loi est de remédier à ces diverses lacunes. Elle vise ainsi à définir et réprimer le harcèlement sexuel, à la fois dans le code pénal, le code du travail et dans le droit applicable aux fonctionnaires.
Son article 1er propose de rétablir l’article 222-33 du code pénal dans une rédaction définissant les éléments constitutifs du harcèlement sexuel, tendant à se vouloir la plus protectrice possible des droits des victimes, tout en respectant nos exigences constitutionnelles. Cet article se veut également respectueux de l’échelle des peines, en intégrant les divers comportements répréhensibles dont peuvent être victimes les plaignants. Il prévoit deux définitions du harcèlement sexuel selon la nature et le but des actes commis. Les auditions d’associations de défense des droits des victimes et de professionnels du droit ont, en effet, permis de souligner l’existence de deux types de comportements pouvant être englobés sous la qualification pénale de harcèlement sexuel.
Une première catégorie de comportements consiste à imposer de façon répétée des agissements à caractère sexuel, qui ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne ou de créer une situation humiliante.5 L’article 1er de la proposition de loi définit, et réprime d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ce type de harcèlement sexuel (alinéa 1er du nouvel article 222-33 du code pénal). Il prévoit également quatre circonstances aggravantes tenant à l’auteur de l’infraction ou à la victime (alinéa 2 de l’article 222-33). Ainsi, lorsque l’infraction est commise par une personne abusant de son autorité, ou en réunion, ou envers une personne particulièrement vulnérable, ou encore lorsqu’elle est commise en raison de facteurs discriminants, les peines sont portées à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.
Un second type d’agissements correspond à une autre conception du harcèlement sexuel. Ces comportements peuvent avoir pour finalité d’obtenir des actes de nature sexuelle, ou peuvent également être commis sous la contrainte ou la menace. Il en va notamment ainsi de certaines formes de « chantages » sexuels. Ils sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende, y compris lorsque l’acte n’a pas été réitéré (alinéa 3 de l’article 222-33). La Commission européenne, dans sa recommandation n° 92/131 du 27 novembre 1991, précise qu’ « un seul incident de harcèlement peut constituer à lui seul le harcèlement sexuel, s’il est suffisamment grave ». L’article 1er de la proposition de loi prévoit également d’insérer (à l’alinéa 4 de l’article 222-33) les quatre circonstances aggravantes, précédemment évoquées, tenant à l’auteur de l’infraction ou à la victime. Si l’une de ces circonstances est réalisée, les peines encourues pour le délit défini à l’alinéa 3 de l’article 222-33 sont alors portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
L’article 2 permet d’élargir la liste des associations pouvant se porter partie civile en matière de violences sexuelles à celles dont l’objet statutaire comporte la lutte contre le harcèlement sexuel.
L’article 3 étend les deux nouvelles définitions pénales aux dispositions du code du travail relatives au harcèlement sexuel, afin de prévenir le risque d’insécurité juridique et d’éviter qu’elles ne soient également, à terme, abrogées par voie de QPC.
Il intègre, également, les stagiaires et apprentis à la liste des personnes protégées de sanctions disciplinaires pour avoir subi ou refusé de subir des agissements relevant du harcèlement sexuel (article L. 1153-2 du code du travail). Ce texte étend aussi, à ces derniers, la protection accordée aux témoins de faits de harcèlement sexuel (article L. 1153-3). Enfin, cet article 3 reprend, dans le code du travail, les peines prévues par le code pénal.
L’article 4 procède de la même logique quant aux dispositions du statut général des fonctionnaires, et incorpore ainsi les nouvelles définitions pénales du harcèlement sexuel au 1° de l’article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article 222-33 du code pénal est ainsi rétabli :
« Art. 222-33 – I. – Le harcèlement sexuel est le fait, réitéré, d’imposer à autrui, par intimidation ou pression, des gestes ou des mots à caractère sexuel qui portent atteinte à sa dignité ou qui créent un contexte hostile, dégradant ou humiliant. Il est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
« Il est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende lorsqu’il est commis :
« 1° Par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
« 2° À l’égard d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, à sa situation économique, ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ;
« 3° Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ;
« 4° À raison de l’origine d’une personne, de son sexe, de son apparence physique, de ses moeurs, de son orientation ou son identité sexuelle, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une race, une nation ou une religion déterminée.
« II. – Les faits définis au premier alinéa sont également punis de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende s’ils sont commis en usant de contraintes ou de menaces, ou, qu’ils ont pour but d’obtenir des actes de nature sexuelle, y compris lorsqu’ils n’ont pas été réitérés.
« Les peines encourues sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque les faits définis au II sont commis dans les conditions définies aux 1°, 2°, 3° et 4° du I du présent article. »
Article 2
À la première phrase de l’article 2-2 du code de procédure pénale, après les mots : « dont l’objet statutaire comporte la lutte contre les violences sexuelles » sont insérés les mots : « ou contre le harcèlement sexuel. »
Article 3
Le code du travail est ainsi modifié :
I – L’article L.1153-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1153-1 – Sont interdits les agissements constitutifs du harcèlement sexuel tels que définis à l’article 222-33 du code pénal. »
II – À l’article L. 1153-2, après les mots « en entreprise », sont insérés les mots : « , aucune personne en période de formation ou en période de stage ».
III – À l’article L. 1153-3, après le mot « salarié », sont insérés les mots : « , aucune personne en période de formation ou en période de stage ».
IV – Le premier alinéa de l’article L. 1155-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1155-2 – Les faits de harcèlement moral et sexuel, définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, sont punis des peines prévues aux articles 222-33-2 et 222-33 du code pénal. »
Article 4
Le 1° de l’article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi rédigé :
« 1° Le fait qu’il a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement sexuel de toute personne tels que définis à l’article 222-33 du code pénal ; ».
1 Dans sa rédaction initiale, telle qu’issue de la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992, l’article 222-33 du code pénal disposait : « Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confère ses fonctions est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende». Cette définition, nécessitant la réunion de nombreux éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel, ayant conduit au classement sans suite de plaintes, à des non-lieux ou relaxes, a été élargie par le législateur via la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Le législateur de 1998 a ainsi ajouté aux trois types de comportements répréhensibles, prévus en 1992, un quatrième consistant en « de graves pressions ». La loi du 17 janvier 2002 précitée a ensuite opté pour la suppression des types de pressions, ne retenant comme élément matériel de l’infraction que son but (« obtenir des faveurs de nature sexuelle »).
2 Date de la publication de la décision (2012-240) QPC du Conseil constitutionnel.
3 Sauf à ce que les faits puissent être requalifiés, ce qui ne sera possible que dans de rares hypothèses.
4 L’article L.1151-1 du code du travail dispose « Les dispositions du présent titre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu’à leurs salariés. Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé. »
5 Il peut par exemple en aller ainsi de remarques, messages, ou gestes, obscènes ou sexistes, qui créent un climat dégradant.