« Le respect des droits humains doit être au cœur de nos relations avec le gouvernement égyptien »

5 décembre 2020 | Le Monde

Alors que le président égyptien est en visite officielle en France les 7 et 8 décembre, un collectif d’eurodéputés écologistes, dans une tribune au « Monde », demande au gouvernement français de ne pas renouveler son partenariat économique avec l’Egypte – notamment la vente d’outils de surveillance et d’armes – et de faire pression pour que cesse la répression.

Le président Emmanuel Macron a prévu de recevoir les 7 et 8 décembre le président de la République arabe d’Egypte, Abdel Fattah Al-Sissi. Les ministres Florence Parly et Bruno Le Maire feront de même.

En tant que rapporteur permanent de la commission des affaires étrangères sur l’Egypte au Parlement européen, député.e.s européen.ne.s, sénateurs et sénatrices, nous nous inquiétons fortement de la place qui est ainsi faite sur la scène nationale française à un régime qui pratique en toute impunité une répression intolérable contre ses opposants politiques, ses journalistes, ses avocats, ses manifestants, ses blogueurs, ses défenseurs des droits humains, ses associations…

Inquiétude

Le respect des droits humains doit être au cœur de nos relations avec le gouvernement d’Abdel Fattah Al-Sissi et ne peut être négociable. La France, comme l’Europe, a le devoir de porter cette priorité.

Inquiet de la situation des droits humains en Egypte, le Parlement européen a adopté le 24 octobre 2019 une résolution d’urgence (2019/2880/RSP) appelant les autorités égyptiennes au respect du droit international et des dispositions de la Constitution égyptienne, et à mettre fin aux violences infligées à son propre peuple.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  « La France ne peut rester silencieuse face à l’escalade répressive du gouvernement égyptien »

Par cette résolution, la représentation européenne appelle aussi à ce que les Etats membres de l’Union respectent leurs engagements en « suspendant les licences d’exportation pour tout équipement susceptible d’être utilisé à des fins de répression intérieure », notamment les technologies de surveillance et autres équipements de sécurité pouvant faciliter la répression, y compris sur les réseaux sociaux.

Cette résolution du Parlement européen place le gouvernement français devant ses responsabilités. Ce dernier, qui a validé l’exportation de surveillance et de contrôle des foules et, en décembre 2018, au Caire, a coupé le ruban du premier Salon d’armement égyptien aux côtés d’Al-Sissi, ne peut réitérer de tels engagements.

Libération des prisonniers politiques

Profondément préoccupés par la situation en Egypte, en octobre, ce ne sont pas moins de 222 parlementaires européens, dont des député.e.s de la majorité gouvernementale, mais aussi 56 parlementaires américains, qui ont appelé de manière claire à la libération des prisonniers politiques, et signifié au président Al-Sissi que la détention de prisonniers d’opinion « contrevenait non seulement à nos intérêts communs mais aussi au fondement de nos relations ». Ce faisant, ces parlementaires ont signifié que des mesures pourraient être prises pour contraindre leurs gouvernements à cesser certaines coopérations avec l’Egypte.

Ramy Shaath, Alaa Abdelfattah, Sanaa Seif, Mohamed al-Baqer, Zyad el-Elaimy, Mahienour el-Massry, Haitham Mohammadein, Patrick Zaki, Ibrahim Ezz el-din, Ibrahim Metwally, Esraa Abdelfattah, Solafa Magdy, Hossam Al-Sayyad… La liste des noms des prisonniers politiques n’en finit plus de s’allonger. Récemment encore, pour mieux signifier son mépris en toute impunité, le régime égyptien arrêtait Gasser Abdel-Razek, Karim Ennarah et Mohamed Basheer immédiatement après leur rencontre avec des diplomates, y compris européens.Lire aussi  Le Parlement européen appelle à une révision des relations avec l’Egypte

En réduisant au silence ces trois employés de l’EIPR (Initiative égyptienne pour les droits personnels), une des rares organisations égyptiennes à encore faire valoir ouvertement les libertés fondamentales, le message adressé à l’Union européenne était sans équivoque. L’annonce de leur libération in extremis [le 3 décembre] ne peut servir de caution ni de monnaie d’échange. Leur situation juridique et les menaces qui pèsent sur leur association autant que sur leur travail sont loin d’être résolues.

Au-delà de la répression de la société civile, les droits humains sont en récession constante en Egypte. La recrudescence des applications de la peine capitale nous alarme particulièrement. Au moins 71 détenus ont déjà été exécutés en 2020, la moitié de ces exécutions ont eu lieu depuis début octobre.

Un grand pays

Cet emballement incontrôlable ne semble pas à l’agenda des échanges de l’Elysée, pas plus que le caractère inéquitable des procès qui ont conduit au verdict. Or la France peut encore intervenir, notamment en soutien d’Isaiah al-Maqary, dont le procès a été entaché d’irrégularités sévères, et les aveux sous la torture ont été déclarés recevables.

Il est de la responsabilité du gouvernement français de signifier au régime égyptien qu’il doit respecter ses propres engagements en faveur des droits humains. Il est de sa responsabilité de ne pas oublier que toute coopération avec des pays tiers ne peut être fondée que sur le respect des valeurs universelles qui nous lient.

L’Egypte est un grand pays et peut faire face à la contestation en son sein par d’autres moyens que la répression, la violation des droits humains, la torture, les arrestations arbitraires. La libération de toutes les personnes détenues en Egypte pour avoir exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression et d’association ne peut qu’être exigée.

Quand les violations des droits humains par le gouvernement égyptien n’en finissent pas et que rien ne semble aujourd’hui les arrêter, la France, chantre des droits de l’homme, ne peut servir de caution. Convaincus que le sens de l’honneur et du devoir de nos dirigeants saura les préserver de la honte héritée de l’accueil réservé à Mouammar Kadhafi en son temps, nous les enjoignons à ne pas accueillir le président Al-Sissi sans conditions.

Poids de la trahison

Le président Emmanuel Macron, les ministres Florence Parly et Bruno Le Maire ne doivent pas faire porter à la France le poids de cette trahison à nos valeurs et à l’humanité. Legouvernement doit plus à notre pays qu’une évocation allusive des droits humains à la fin d’une conférence de presse. Ce serait cher payer la contribution égyptienne à la bonne santé de notre industrie de l’armement.

Après les déclarations des Nations unies, après les appels des parlementaires, après les condamnations innombrables de la communauté internationale, après, ce 2 décembre, le communiqué de 17 organisations de défense des droits humains, les dirigeants français ne peuvent rester sourds et se garder de mettre fin au soutien inconditionnel accordé au gouvernement égyptien.

Ils ne peuvent ignorer les appels à faire pression sur le gouvernement égyptien pour qu’il fasse cesser les exactions dans son pays et libère les militants et défenseurs des droits humains détenus arbitrairement. Ils ne peuvent entamer un partenariat économique et stratégique sans preuve tangible de changement.

Premier signataire : Mounir Satouri, rapporteur permanent sur l’Egypte pour la commission des affaires étrangères du Parlement européen ;

Cosignataires François Alfonsi, eurodéputé Groupe des Verts/Alliance libre européenne ; Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris ; Benoît Biteau, eurodéputé Verts/Alliance libre européenne ; Damien Carême, eurodéputé Verts/Alliance libre européenne ; David Cormand, eurodéputé Verts/Alliance libre européenne ; Gwendoline Delbos-Corfield, eurodéputée Verts/Alliance libre européenne ; Karima Delli, eurodéputée Verts/Alliance libre européenne ; Guillaume Gontard, sénateur, président du groupe écologiste, solidarité et territoires au Sénat ; Claude Gruffat, eurodéputé Verts/Alliance libre européenne ; Yannick Jadot, eurodéputé Verts/Alliance libre européenne ; Michèle Rivasi, eurodéputée Verts/Alliance libre européenne ; Caroline Roose, eurodéputée Verts/Alliance libre européenne ; Marie Toussaint, eurodéputée Verts/Alliance libre européenne ; Salima Yenbou, eurodéputée Verts/Alliance libre européenne.

Collectif

Lien de l’article : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/05/le-respect-des-droits-humains-doit-etre-au-c-ur-de-nos-relations-avec-le-gouvernement-egyptien_6062286_3232.html